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Les conséquences de l’annulation d’un plan de départs volontaires

La nullité qui affecte un plan de départs volontaires ne répondant pas aux exigences légales s’étend à tous les actes subséquents, en ce compris la convention de rupture du contrat de travail consécutive à un départ volontaire lorsqu’il a une cause économique et s’inscrit dans un processus de réduction des effectifs, exclusif de tout licenciement, peu important que le salarié n’ait pas été partie ou représenté à l’action en nullité dudit plan.

par Hugues Cirayle 22 novembre 2018

La Samaritaine, célèbre grand magasin parisien, a donné son nom, avant de fermer ses portes en 2005 pour cause de travaux, à un arrêt de principe de la chambre sociale selon lequel « la nullité qui affecte le plan social s’étend à tous les actes subséquents et qu’en particulier les licenciements prononcés par l’employeur, qui constituent la suite et la conséquence de la procédure de licenciement collectif, sont eux-mêmes nuls » (Soc. 13 févr. 1997, n° 96-41.874 P, D. 1997. 171 , note A. Lyon-Caen ; Dr. soc. 1997. 249, concl. P. de Caigny ; ibid. 256, note G. Couturier ; ibid. 331, étude T. Grumbach ; ibid. 341, étude F. Favennec-Héry ). Cette décision a par la suite été confirmée à plusieurs reprises (Soc. 28 mars 2000, n° 98-40.228 P, D. 2001. 35 , note A. Cristau ; Dr. soc. 2000. 597, note P.-H. Antonmattei ; Soc. 15 juin 2005, n° 03-48.105 P).

La généralité de la formule choisie par la Cour de cassation laissait présager que la nullité toucherait l’ensemble des mesures individuelles prises en application du plan annulé, au-delà des seuls licenciements subséquents. La chambre sociale appliquait là une théorie bien connue des civilistes propre au régime des nullités, la théorie de l’accessoire impliquant l’annulation en cascade des actes juridiques qui découlent de la mise en œuvre d’un acte juridique fondateur annulé.

Le présage a été confirmé avec force par la Cour de cassation dans une décision du 15 mai 2013 relative aux départs volontaires subséquents à un plan de sauvegarde de l’emploi annulé (Soc. 15 mai 2013, n° 11-26.414 P, Dalloz actualité, 6 juin 2016, obs. B. Ines ; RDT 2013. 485, obs. M. Kocher ; RJS 7/2013, n° 527. 471 ; JCP S 2013. 1361, obs. P. Morvan) : « Mais attendu qu’aux termes de l’article L. 1235-10 du code du travail, la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l’article L. 1233-61 et s’intégrant au plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par l’employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés ; qu’il en résulte que la nullité qui affecte un plan de sauvegarde de l’emploi ne répondant pas aux exigences légales, s’étend à tous les actes subséquents et qu’en particulier la rupture du contrat de travail consécutive à un départ volontaire lorsqu’il a une cause économique et s’inscrit dans un processus de réduction des effectifs donnant lieu à l’établissement de ce plan, est elle-même nulle ».

L’article L. 1235-10 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, sanctionnait effectivement par la nullité le plan de sauvegarde de l’emploi à défaut d’intégration d’un plan de reclassement et de présentation de ce plan aux représentants du personnel. Poursuivant la logique de ce texte, la Cour de cassation n’a donc pas cantonné la nullité au seul plan mais l’a élargie à l’ensemble des actes subséquents.

Une position inverse aurait été difficilement compréhensible. Pourtant, que n’a-t-on pas reproché à la Cour de cassation à la suite de ces décisions ? P. Morvan soulignait notamment que « de ce qu’une pluralité de départs volontaires ayant une cause économique commande l’élaboration d’un PSE, il ne peut être déduit logiquement, en sens inverse, que la nullité de ce même PSE entraîne l’annulation de ces départs volontaires » (JCP S 2013. 1361). Cependant, dans un contexte de compression des effectifs pour motif économique, il n’est pas contestable que les licenciements collectifs notifiés par l’employeur comme les conventions de rupture amiable concluent entre l’employeur et les salariés trouvent leur fondement juridique dans le seul plan de sauvegarde de l’emploi mis en œuvre en application de l’article L. 1233-61 du code du travail.

S’agissant plus particulièrement des ruptures amiables de contrat de travail intervenues dans un contexte de réduction des effectifs pour motif économique et mis en œuvre en application d’un accord collectif, la Cour de cassation leur a très tôt reconnu une valeur juridique dans le silence des textes (Soc. 13 sept. 2005, n° 04-40.135 P, D. 2005. 2409, et les obs. ; ibid. 2006. 29, obs. Centre de recherche en droit social de l’IETL, Université Lumière Lyon 2 ; ibid. 410, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, P. Lokiec et E. Peskine ; Dr. soc. 2005. 1059, obs. G. Couturier ), exclusive de la mise en œuvre d’un licenciement pour motif économique (Soc. 24 mai 2006, n° 04-44.605 P). Ces ruptures échappent également à l’encadrement par le législateur du 20 juin 2008 des ruptures conventionnelles par les articles L. 1237-11 et suivants du code du travail. Rappelons à cet égard que depuis cette date, un employeur et un salarié ne peuvent plus conclure une convention de rupture amiable de contrat de travail, en dehors de la procédure légale de rupture conventionnelle (Soc. 15 oct. 2014, n° 11-22.251 P, D. 2014. 2118 ; ibid. 2015. 104, chron. E. Wurtz, F. Ducloz, S. Mariette, N. Sabotier et P. Flores ; Dr. soc. 2014. 1066, obs. J. Mouly ; ibid. 2015. 32, étude G. Couturier ; RDT 2014. 752, obs. L. Bento de Carvalho ; JCP S 2014. 1436, obs. G. Loiseau), sauf dans les hypothèses limitativement visées à l’article L. 1237-16 du code du travail, à savoir en présence d’un accord de gestion prévisionnelle de l’emploi, d’un plan de sauvegarde de l’emploi et d’un accord portant rupture conventionnelle collective. Il résulte de ces dispositions que dans l’hypothèse où un départ volontaire interviendrait après mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi annulé, la rupture amiable du contrat de travail se trouverait privée de sa cause justificative. A défaut de cause justificative, la rupture amiable du contrat ne pourrait subsister de manière autonome et devrait nécessairement être annulée puisqu’elle aurait strictement dû intervenir dans le cadre des dispositions légales propres à la rupture conventionnelle en l’absence d’un plan valable.

La solution dégagée par la Cour de cassation se trouve ainsi justifiée non seulement en application de la théorie des nullités, mais également au regard des règles propres au droit du travail. Partant, l’arrêt sous examen était l’occasion pour la Cour de cassation de poursuivre la construction juridique entreprise par l’arrêt Samaritaine, dans un contexte où il est reproché à la chambre sociale de déconstruire, parfois sans justification, des constructions jurisprudentielles acquises de longues dates.

En l’espèce, en raison de difficultés économiques affectant l’industrie automobile, la société Altran Technologies a mis en œuvre en 2009 un plan de départs volontaires pour motif économique autonome, intégré à un plan de sauvegarde de l’emploi exclusif de tout licenciement et prévoyant l’accompagnement des salariés en vue d’un reclassement externe. Il convient à cet égard de rappeler que depuis l’arrêt Renault, la Cour de cassation a validé les plans de sauvegarde de l’emploi qui ne comprennent pas de plan de reclassement interne à défaut de licenciement (Soc. 26 oct. 2010, n° 09-15.187 P, D. 2010. 2653, obs. L. Perrin ; ibid. 2011. 1246, obs. G. Borenfreund, E. Dockès, O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, T. Pasquier, I. Odoul-Asorey et M. Sweeney ; Dr. soc. 2010. 1164, note F. Favennec-Héry ; RDT 2010. 704, étude F. Géa ; Sem. soc. Lamy 2010, n° 1465, p. 9, rapp. P. Bailly et note E. Dockès ; JCP S 2010. 1483, obs. G. Loiseau). En application de ce plan de départs volontaires, plusieurs salariés ont signé en septembre 2009 une convention de rupture d’un commun accord du contrat de travail pour motif économique.

Un comité d’établissement de l’entreprise a entretemps saisi le tribunal de grande instance de Toulouse qui a ordonné en référé la suspension du plan par ordonnance du 17 septembre 2009 et a, au fond, annulé ce plan par jugement du 15 octobre 2009 en raison de l’insuffisance des mesures de reclassement externe. Quatorze salariés ont ensuite saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 24 mars 2011 aux fins d’obtenir l’annulation de leur convention de rupture amiable, la requalification des ruptures en licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de l’employeur au paiement de diverses sommes. Par jugements du 12 mars 2012, le conseil de prud’hommes a débouté les salariés de toutes leurs demandes. Par arrêts du 22 février 2017, la cour d’appel de Paris a infirmé ces jugements puis a jugé que l’annulation du plan de départs volontaires a entraîné la nullité des conventions de ruptures et que la rupture des contrats de travail devenues sans cause s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur s’est pourvu en cassation et a soulevé deux questions principales.

Il a d’abord affirmé que les salariés ne pouvaient se prévaloir de la nullité du plan de départs volontaires obtenu par un comité d’établissement dans un litige où ils n’étaient ni parties à l’instance ni représentés. Une décision, isolée, allait dans le sens de cette affirmation (Soc. 21 oct. 2009, n° 08-41.987 P, RJS 1/2010, n° 25). Cependant, dans l’arrêt Samaritaine, les salariés avaient pu obtenir la nullité des licenciements après que le comité d’entreprise et un syndicat aient obtenu l’annulation du plan litigieux dans une instance distincte. Si, en principe, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet du jugement, la nullité d’un plan de sauvegarde de l’emploi ou d’un plan de départs volontaires ne peut produire un effet relatif. La nullité est totale et emporte nécessairement l’annulation, sans condition, de l’ensemble des actes subséquents qui ne peuvent survivre sans l’acte originel. C’est ce qui est confirmé par la Cour de cassation dans l’arrêt sous examen : « La nullité qui affecte un plan de départs volontaires ne répondant pas aux exigences légales s’étend à tous les actes subséquents (…) peu important que le salarié n’ait pas été partie ou représenté à l’action en nullité dudit plan ».

Il a ensuite soutenu que l’annulation du plan de départs volontaires n’emporte pas l’annulation des départs volontaires. On l’a vu, cette affirmation ne pouvait sérieusement prospérer, d’autant plus qu’un arrêt récent rendu sous la présidence de l’ancien président de la chambre sociale M. Frouin rappelait la constance de la jurisprudence initiée par l’arrêt Samaritaine (Soc. 19 mai 2016, n° 15-12.137 P, RJS 8-9/201, n° 563). C’est ce qui est confirmé par l’arrêt commenté rendu également sous la présidence de M. Frouin qui étend ainsi la jurisprudence Samaritaine aux plans de départ volontaire dits autonomes.

La portée de cette décision est sujette aujourd’hui à interrogation. D’abord, la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 conditionne désormais la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi au contrôle préalable de l’administration. Le nouvel article L. 1235-10 du code du travail dispose dans ce cas que la nullité n’est encourue qu’à défaut de projet mis en œuvre sans autorisation ou qu’en cas d’annulation de la décision de validation ou d’homologation de l’administration en raison de l’insuffisance du plan. En présence d’un accord majoritaire conclu entre l’employeur et les organisations syndicales, homologué par l’administration, la possibilité d’obtenir l’annulation du plan s’en trouve fortement réduite. Ensuite, les ordonnances dites Macron ont créé la nouvelle procédure de rupture conventionnelle collective. Si certains auteurs (Dr. soc. 2018. 26, note P. Morvan ) et le Ministère du Travail, gêné de ne pas avoir identifié la problématique avant que la doctrine ne s’en saisisse, ont affirmé que cette nouvelle procédure ne serait pas exclusive de la mise en œuvre des plans de départs volontaires autonomes, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui l’entreprise qui entend mettre en œuvre un tel plan, en lieu et place d’une procédure de rupture conventionnelle collective ou après échec des négociations d’un d’accord en ce sens avec les organisations syndicales, encourent le risque d’une annulation. Le juge serait dans ce cas, à raison, tenté d’appliquer la jurisprudence protectrice de la Cour de cassation qui interdit les ruptures amiables du contrat de travail en dehors de la procédure de rupture conventionnelle. La procédure de rupture conventionnelle collective a eu pour objet d’encadrer les ruptures amiables qui intervenaient dans les plans de départs volontaires par un contrôle de l’autorité administrative (V. en ce sens, Dr. ouvrier 2017. 649, obs. R. Dalmasso, qui estime que les plans de départs volontaires autonomes sont absorbés par les ruptures conventionnelles collectives). Il n’existe aucune raison sérieuse d’affirmer que les plans de départs volontaires autonomes coexisteraient avec la nouvelle procédure de rupture conventionnelle collective dont l’objet, selon les dispositions de l’article L. 1237-19-1 du code du travail, est également de prévoir dans l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective des mesures « visant à faciliter l’accompagnement et le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents », sous le contrôle de l’autorité administrative. Signalons, à cet égard, que le contentieux propre à ces accords ne fait que commencer, avec une première décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 16 octobre 2018 selon laquelle l’existence d’un motif économique à l’origine de la procédure de rupture conventionnelle collective ne serait pas, en soi, de nature à entacher d’illégalité l’accord de rupture conventionnelle.

Enfin, il convient de rappeler qu’un contentieux engagé en vue d’obtenir l’annulation d’un plan de sauvegarde de l’emploi ou d’un plan de départs volontaires n’est pas sans incidence sur les droits indemnitaires des salariés. L’annulation du plan oblige d’abord le salarié à restituer les sommes perçues sur son fondement, lesquelles doivent venir, par compensation, en déduction de sa créance indemnitaire, si l’employeur le demande (Soc. 28 mars 2012, n° 11-30.034 P, D. 2012. 1013 ; Dr. soc. 2012. 746, obs. C. Radé ). Ensuite, si le salarié peut obtenir sa réintégration après annulation du plan et le paiement des salaires dus durant la période d’éviction, ce paiement interviendra après déduction des revenus tirés d’une autre activité et du revenu de remplacement servi durant la période d’éviction (Soc. 19 janv. 2010, n° 08-43.449, RJS 4/2010, n° 327 ; 23 sept. 2014, n° 13-15.655). Une telle action ne doit donc pas être menée à la légère.

Le propriétaire de La Samaritaine a annoncé la fin des travaux et l’ouverture prochaine du grand magasin parisien, de sorte que La Samaritaine, tout comme l’arrêt qui porte aujourd’hui son nom, semblent avoir de beaux jours devant eux.