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Les conséquences de l’état de fuite du prévenu

Le prévenu en état de fuite au cours de l’information n’a pas le statut de partie à la procédure et ne peut, par conséquent, se prévaloir des nullités de cette procédure.

par Méryl Recotilletle 7 juin 2018

Le droit national semble clair sur le statut du fugitif : bien qu’elle fasse l’objet d’un renvoi devant la juridiction de jugement, la personne en fuite n’est pas considérée comme une partie à la procédure. Cette position constante de la Cour de cassation a été réaffirmée dans un arrêt du 15 mai 2018. En l’espèce, une information judiciaire a été ouverte pour viols sur personne vulnérable. Le juge d’instruction, après requalification, a renvoyé le prévenu en fuite devant le tribunal correctionnel pour agressions sexuelles sur personne vulnérable. À l’audience, il était représenté par un avocat qui disposait d’un mandat à cette fin. Une exception de nullité de l’ordonnance de renvoi a été soulevée pour le prévenu au motif qu’il n’a pas été mis en examen. Le tribunal correctionnel a rejeté cette exception de nullité et a déclaré le prévenu coupable, le condamnant à trois ans d’emprisonnement avec mandat d’arrêt. La cour d’appel a confirmé ce jugement ce qui a conduit le prévenu à former un pourvoi en cassation. Le demandeur a principalement remis en cause l’état de fuite et les conséquences qui en ont découlé.

En premier lieu, la Cour de cassation devait se prononcer sur l’état de fuite du prévenu. Toute la question était de savoir à partir de quand un individu est « en fuite ». L’enjeu est de parvenir à distinguer le simple individu non comparant du véritable fugitif ? Même s’il n’existe pas de définition substantielle de la fuite, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a dégagé au fil de sa jurisprudence quelques éléments de caractérisation. Tout d’abord, l’intéressé doit avoir la connaissance des poursuites engagées contre lui (CEDH 12 févr. 1985, Colozza c/ Italie, n° 9024/80, § 32 ; 28 août 1991, F.C.B c/ Italie, n° 12151/86, §§ 33-35 ; 12 oct. 1992, T. c/ Italie, n° 14104/88, §§ 27-30). La seconde exigence émise par la Cour européenne, qui découle naturellement de la première, est celle d’une soustraction délibérée de l’individu (CEDH 12 févr. 1985, Colozza c/ Italie, préc., § 28 ; 28 août 1991, F.C.B c/ Italie, préc., § 33 ; 12 oct. 1992, T. c/ Italie, préc., § 27 ; 14 juin 2001, Medenica c/ Suisse, n° 20491/92, § 26 ; 16 oct. 2001, Eliazer c/ Pays-Bas, n° 38055/97, § 33). Ainsi, la fuite est suffisamment caractérisée dès lors que l’individu savait qu’une procédure pénale était dirigée contre lui, qu’il connaissait la nature et la cause de l’accusation et qu’il n’avait pas l’intention de prendre part au procès ou entendait se soustraire aux poursuites (CEDH 1er mars 2006, Sejdovic c/ Italie, n° 56581/00, §§ 99-101 ; Rev. UE 2015. 353, étude M. Mezaguer ). La Cour européenne des droits de l’homme procède à une appréciation in concreto de la démonstration d’un état de fuite par les autorités et ses exigences sont élevées. Par exemple, elle n’admet pas que les autorités déduisent la fuite d’une personne de sa simple absence de son lieu de résidence habituel ou du domicile de ses parents (CEDH 11 oct. 2012, Abdelali c/ France, n° 43353/07, § 54, Dalloz actualité, 25 oct. 2012, obs. O. Bachelet ; RSC 2013. 117, obs. J. Danet ; ibid. 155, obs. D. Roets  ; Procédures 2012, n° 370, obs. A.-S. Chavent-Leclère). La Cour attache une importance particulière aux diligences des autorités pour retrouver la personne (CEDH 12 oct. 2017, Cafagna c/ Italie, n° 26073/13, § 41, AJ pénal 2017. 552, obs. M. Recotillet ). Ces éléments ne constituent que des éléments d’appréciation de sorte que la CEDH attend de nos juridictions qu’elles précisent les éléments retenus comme « constitutifs d’une fuite » (CEDH 2 févr. 2017, Ait Abbou c/ France, n° 44921/13, § 65). C’est ce qu’ont tenté de faire les juges du fond dans l’arrêt qui nous préoccupe. Tenant compte de la jurisprudence européenne, ils ont tout d’abord relevé que le prévenu avait été entendu au cours de l’enquête initiale mais qu’il n’a pas déféré à la convocation du juge d’instruction ni à celle de l’expert. Les juges ont ajouté que les investigations diligentées par les gendarmes en vue de localiser le prévenu en exécution du mandat de recherches se sont avérées infructueuses. Plusieurs courriers ont été laissés à son domicile à l’état d’abandon et de nombreuses réquisitions ont été adressées en vain. Son épouse a déclaré qu’il était reparti dans le Nord de la France sans pouvoir fournir aucune adresse et que les proches de la victime n’avaient plus de nouvelles de lui. Les juges ont alors déduit l’état de fuite de ces éléments et la Cour de cassation souscrit à leur analyse. Selon elle, le prévenu se savait recherché, il s’était soustrait volontairement à la procédure d’information et il se trouvait par conséquent en fuite au cours de celle-ci. Dans le présent cas de figure, nous observons une motivation assez dense de l’état de fuite mais nous pouvons nous demander si les juges ont effectivement précisé les éléments constitutifs d’une fuite comme la Cour européenne l’a souhaité. Quoi qu’il en soit, l’état de fuite est manifestement caractérisé en l’espèce et plusieurs conséquences procédurales en découlent. Ceci nous amène au second temps du raisonnement de la Cour de cassation relatif aux conséquences de l’état de fuite ainsi caractérisé.

Un mandat d’arrêt a été délivré à l’encontre du prévenu (Cons. const. 27 févr. 2015, n° 2014-452 QPC, D. 2015. 490 ). Il a été suivi de deux procès-verbaux de recherches infructueuses. Depuis la loi du 15 juin 2000, la délivrance d’un mandat d’arrêt n’entraîne plus automatiquement le statut de mis en examen et donc « il ne ressort aucune attribution du statut de partie » (C. Guery, Mandats et suspects, AJ pénal 2004. 356). Toutefois, selon l’article 134 du code de procédure pénale, lorsque la personne qui a fait l’objet d’un mandat d’arrêt n’est pas saisie et qu’un procès-verbal de recherches infructueuses est adressé au magistrat instructeur, la personne est alors considérée comme mise en examen pour l’application de l’article 176 du code de procédure pénale, c’est-à-dire qu’elle peut être renvoyée, sans jamais avoir été entendue, devant une juridiction de jugement. En l’espèce, le prévenu étant introuvable, il n’avait pas la qualité de partie au sens de l’article 175 du code de procédure pénale et le juge d’instruction a rendu une ordonnance de renvoi qui n’a pu lui être notifiée. L’intéressé a alors cherché à remettre en cause son renvoi devant une juridiction de jugement en arguant qu’il n’avait pas été mis en examen. À l’instar des juges du fond, la Cour de cassation a appliqué sa jurisprudence constante en la matière. Selon cette dernière, le prévenu en fuite et qui n’a pas le statut de partie à la procédure ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 385 du code de procédure pénale, l’ordonnance de renvoi ayant purgé, s’il en existait, tous les vices de procédure, conformément aux dispositions de l’article 179 de ce code (V. not. Crim. 3 avr. 2007, n° 06-89.315, Bull. crim. n° 103 ; D. 2007. 1206 ; ibid. 2008. 2757, obs. J. Pradel ; Just. & cass. 2008. 249, note P. Mathonnet ; AJ pénal 2007. 428 , note J. Leblois-Happe ; RSC 2007. 834, obs. R. Finielz ; JCP n° 16, 18 avr. 2007. Act. 183, obs. J.-Y. Maréchal ; CEDH 2 févr. 2017, Ait Abbou c/ France, préc. ; 28 janv. 2017, El Idrissi c/ France, n° 29803/15, § 43 ; Crim. 11 janv. 2017, n° 16-80.619, publié au Bulletin, Dalloz actualité, 23 févr. 2017, obs. L. Priou-Alibert ; Dr. pénal 2017, n° 49, note A. Maron et M. Haas ; Procédures 2017, n° 46, note A.-S. Chavent-Leclère).

Ensuite, la Cour de cassation s’est prononcée sur le respect de l’exigence déduite de la combinaison des articles 706-47 et 706-47-1 du code de procédure pénale : avant toute condamnation pour agressions sexuelles, le prévenu doit être soumis à une expertise médicale. L’état de fuite ne cesse lorsque le prévenu comparaît personnellement et non parce qu’il est représenté par un avocat. Ainsi, à partir du moment où il a personnellement comparu en cause d’appel, les juges du second degré ne pouvaient pas condamner le prévenu pour agressions sexuelles sans avoir ordonné l’expertise médicale prévue, en cas de poursuites exercées de ce chef d’infraction.

Enfin, le prévenu a remis en question la caractérisation de l’infraction. D’une part, selon lui, l’état de fuite n’a que des incidences procédurales et en vertu du principe de la présomption d’innocence, cet état de fuite ne peut être retenu comme un élément faisant présumer de la culpabilité. Or, comme le prévenu l’a souligné, la cour d’appel a considéré que l’état de fuite du prévenu achevait de « démontrer son implication dans les faits d’agressions sexuelles ». D’autre part, les juges n’auraient pas caractérisé en quoi les agressions sexuelles ont été commises avec violence, contrainte, menace ou surprise ni le caractère volontaire des gestes reprochés. La Cour de cassation a répondu indirectement sur ces points : elle a cassé l’arrêt d’appel « en ses seules dispositions relatives à la culpabilité et à la peine ». La Cour de cassation aurait-elle essayé de réfréner la conception selon laquelle la fuite serait un aveu de culpabilité ? Les parties sont renvoyées devant la cour d’appel, aussi nous verrons comment cette dernière réceptionnera la décision de la Haute cour.