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Contamination par le virus de l’hépatite C : délimitation de la réparation

En application du principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime, les juges du fond ne peuvent pas indemniser deux fois un même chef de préjudice ni la crainte de la victime de retomber malade après guérison sans caractériser l’existence d’un tel risque.

par Anaïs Hacenele 16 janvier 2019

C’est une nouvelle affaire de contamination par le virus de l’hépatite C qui a donné lieu à l’arrêt de cassation rendu le 28 novembre 2018.

Si elle se termine plutôt bien en ce que la victime a pu guérir, elle est toutefois l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler certaines règles élémentaires du droit à réparation. D’une part, qu’il est limité à une réparation sans profit pour la victime. D’autre part, qu’il est conditionné à la preuve de l’existence du préjudice indemnisé.

À la suite de trois séances de sclérose de varices pratiquées par un médecin dont plusieurs patients ont été contaminés par le virus de l’hépatite C et d’un dépistage, la victime a su qu’elle était, elle aussi, contaminée. Le praticien étant décédé entre-temps, elle a donc assigné en réparation ses héritiers. 

La sclérothérapie était bien la cause de la contamination. Le contentieux ne portait pas sur l’imputation matérielle du dommage au fait générateur mais sur le montant de l’indemnisation.

• Dans un premier temps, la cour d’appel de Bordeaux a condamné les héritiers du médecin à réparer à la fois les souffrances endurées et le préjudice spécifique de contamination par les virus de l’hépatite C en précisant ce qu’il comprenait notamment les souffrances provoquées par les soins et traitements subis pour combattre la contamination ou en réduire les effets.

Sur ce premier point, la Cour de cassation censure la décision d’appel au visa de l’article 1147 ancien du code civil et du principe de réparation intégral du préjudice. Elle constate qu’en condamnant les héritiers à verser une indemnité à la victime au titre des souffrances endurées et une indemnité au titre du préjudice spécifique de contamination incluant aussi ces souffrances, les éléments d’un même préjudice ont été réparés deux fois.

Le principe de la réparation intégrale consiste à « rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et [de] replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu » (Civ. 2e, 25 mai 1960, Bull. civ. II, n° 342), tout en condamnant son enrichissement. Or une double indemnisation pour un même préjudice entraîne un tel profit.

Doctrinal et jurisprudentiel, ce principe, qui découlerait naturellement de l’article 1240 du code civil, est consacré dans le projet de réforme de la responsabilité civile : « la réparation a pour objet de replacer la victime autant qu’il est possible dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable n’avait pas eu lieu. Il ne doit en résulter pour elle ni perte ni profit ».

• Dans un second temps, les juges du fond ont décidé que, si elle était guérie, la crainte de cette maladie et des affections opportunistes, présentes depuis quatorze ans, devait être réparée. Ils en ont donc tenu compte pour fixer l’indemnité qu’ils lui ont allouée au titre du préjudice spécifique de contamination.

Sur ce second point, les juges d’appel sont une nouvelle fois censurés par la première chambre civile au visa des mêmes texte et principe. La Cour leur reproche de ne pas avoir caractérisé l’existence, après la guérison, d’un risque d’altération de l’état de santé lié à la contamination qui justifierait sa réparation. En un mot, si l’existence d’un tel risque n’est pas établie, il n’est pas possible de réparer l’anxiété qui en découle.

Il est constant, en matière de responsabilité civile, qu’un dommage corporel soit générateur d’un préjudice moral tenant au stress et à l’angoisse subis par la victime notamment en matière de contamination par un virus (P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2018, n° 6432.22. ; et plus particulièrement en matière de contamination par le VIH, v. G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2013, p. 55). Dans ce cas, le préjudice moral découle directement d’une atteinte à l’intégrité physique de la victime.

Il n’est pas autonome contrairement au préjudice d’anxiété consacré dans le contentieux de l’amiante qui, lui, ne résulte pas toujours d’une atteinte préalable à l’intégrité physique de la victime. Bien qu’exposée à l’amiante, cette dernière n’est pas nécessairement affectée par une maladie qui y serait liée. Le risque d’atteinte corporelle ne s’est donc pas toujours réalisé. Pour autant, le droit considère qu’elle a tout de même subi une atteinte dont le siège est purement psychologique.

En 2010, en reconnaissant le préjudice moral d’anxiété et qu’il ouvre droit à réparation lorsqu’un certain nombre de conditions sont réunies, la Cour de cassation en a fait un dommage autonome, indépendant de toute atteinte préalable (Soc. 11 mai 2010, n° 09-42.241, Bull. civ. V, n° 106 ; Dalloz actualité, 4 juin 2010, obs. B. Ines , note C. Bernard ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2010. 839, avis J. Duplat ; RTD civ. 2010. 564, obs. P. Jourdain ; JS Lamy 2010. 279, obs. M. Hautefort ; JCP 2010, n° 568, obs. Miara ; ibid. n° 733, note Colonna et Renaux-Personnic ; ibid. n° 1015, obs. C. Bloch).

En l’espèce, le préjudice moral résultait de la continuité, malgré la guérison, de la crainte de la maladie et était inclus dans l’indemnité du préjudice spécifique de contamination.

La frontière entre préjudice moral lié à l’angoisse résultant de la contamination et préjudice d’anxiété totalement autonome parce que la victime est désormais guérie est ténue.

La Cour de cassation a accepté que le préjudice d’anxiété soit réparé au titre du préjudice spécifique de contamination par le virus de l’hépatite C dans le cas où la victime n’était pas encore guérie en rejetant le pourvoi contre l’arrêt relevant que « l’hépatite paraissait paisible pour l’instant, mais que l’évolution de cette affection pouvait être sournoise, la victime devant se soumettre à une surveillance régulière, […] l’anxiété résultant de cette mesure et la nécessité d’une surveillance médicale devaient être indemnisés » (Civ. 1re, 9 juill. 1996, n° 94-12.868, Bull. civ. n° 306). Elle a reconnu que les souffrances physiques en raison de la biopsie hépatique et du traitement médicamenteux et le préjudice moral dû notamment à l’anxiété engendrée par le fait de se savoir porteur du virus constituaient deux chefs de préjudices distincts (Civ. 2e, 12 juill. 2007, n° 06-14.180, Dalloz jurisprudence). Elle a également accepté la réparation de l’inquiétude de la victime pour son avenir (Civ. 2e, 19 nov. 2009, n° 08-15.853, RDSS 2010. 156, obs. D. Cristol ; RTD civ. 2010. 117, obs. P. Jourdain ).

De son côté, le Conseil d’État a consacré le préjudice d’inquiétude résultant de la prise en compte, par la victime, de la conscience d’être atteinte d’une maladie grave comme l’hépatite C et sa réparation même en cas de guérison (CE 27 mai 2015, n° 371697, M. A…, Dalloz actualité, 8 juin 2015, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2015. 1072 ; ibid. 2340 , note H.-B. Pouillaude ; D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; RDSS 2015. 734, obs. D. Cristol ; adde M. Bartolocci, Le préjudice d’anxiété en droit public, RFDA 2018. 153 ).

Qu’il s’agisse de la décision rendue par la Cour de cassation de 1996 ou celle du Conseil d’État de 2015, l’inquiétude découlait de l’existence de la contamination et de la maladie. Dans le premier cas, la victime était toujours malade, dans le second, bien que guérie, l’inquiétude éprouvée portait sur la période pendant laquelle elle était encore malade.

En l’espèce, la victime est guérie, on n’est donc pas dans la même situation que dans l’affaire de 1996, mais la crainte porte sur une période postérieure à la guérison, on n’est donc pas non plus dans la même situation qu’en 2015. Cette crainte est donc liée à la contamination mais pas à la maladie.

Pour qu’il soit réparable, la Cour de cassation précise que l’existence du risque de déclarer à nouveau la maladie, une fois guérie, doit être caractérisée par les juges du fond. Autrement dit, pour que le préjudice soit direct et certain le risque de retomber malade doit réellement exister (pour un rappel de l’exigence du caractère direct et certain du préjudice d’anxiété, v. l’affaire du Médiator, CE 9 nov. 2016, nos 393108, 393902, 393904, Dalloz actualité, 15 nov. 2016, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2017. 426 , note S. Brimo ; ibid. 2016. 2134 ; D. 2016. 2346, obs. C. du Conseil d’État ; ibid. 2017. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RDSS 2016. 1162, obs. J. Peigné ; JCP 2016. 1251. obs. J.-C. Rotoullié ; ibid. 2017. 58, note J.-C. Rotouillé ; ibid. 2017. 257, obs. M. Bacache). Il ne s’agit ici que du rappel d’une condition nécessaire à l’indemnisation et à la fixation de son montant. 

Par cette décision, la première chambre civile s’est assurée du respect du principe de la réparation intégrale. Elle a donc veillé à ce que la victime n’obtienne pas de double indemnisation pour un même chef de préjudice ni de réparation pour un préjudice dont l’existence n’est pas avérée.