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La coûteuse machine à expulser les étrangers

Dans le cadre du Printemps de l’évaluation, deux députés se sont penchés sur les expulsions d’étranger. Le coût moyen d’un éloignement forcé est estimé à 13 794 €, environ quatre fois plus qu’un retour aidé. Le rapport détaille les lourdeurs de cette politique d’expulsion et souligne certaines évolutions.

par Pierre Januelle 11 juin 2019

13 800 € pour une expulsion

Présenté jeudi en commission des finances, le rapport des députés Modem et LREM Jean-Noël Barrot et Alexandre Holroyd fait un bilan complet de cette politique. En 2018, il y a eu 30 276 départs d’étrangers en situation irrégulière depuis la métropole (26 783 en 2017). Un chiffre qui se décompose en 7 754 départs spontanés, 15 677 éloignements forcés et 6 845 éloignements aidés. Il y a également eu 18 283 éloignements forcés depuis l’outre-mer (et 464 aidés). À cela, il faut ajouter 4 128 réacheminements réalisés depuis les zones d’attente.

Les deux rapporteurs estiment le coût global de la politique d’éloignement forcé des étrangers à 468,5 millions d’euros en 2018. Détaillé dans le rapport, ce calcul est décomposé en trois phases : le coût de l’interpellation des étrangers en situation irrégulière est de 92 millions d’euros. Celui de la surveillance et du contentieux est de 348 millions d’euros. Enfin, le coût des éloignements est évalué à 42 millions d’euros. Sur l’ensemble du territoire, le coût moyen d’un éloignement forcé est de 13 800 €. Celui d’un retour aidé est entre 2 500 € et 3 900 € (selon que l’on utilise les chiffres de l’OFII ou de la PAF, qui sont différents).

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Dans le détail, cette politique commence par l’interpellation. En 2018, 110 691 étrangers ont été contrôlés en situation irrégulière en métropole (plus de la moitié par la PAF). Ces contrôles ont abouti à 103 852 obligations de quitter le territoire français (OQTF), 1 232 interdictions du territoire et 243 expulsions.


Dix premières nationalités concernées par les OQTF
 

Dix premières nationalités ayant fait l’objet d’un éloignement forcé
 
1. Algériens (12 990) 1. Albanais (2 112)
2. Albanais (8 585) 2. Roumains (1 909)
3. Marocains (7 481) 3. Algériens (1 525)
4. Tunisiens (6 307) 4. Marocains (1 161)
5. Irakiens (3 878) 5. Tunisiens (777)
6. Maliens (3 430) 6. Afghans (522)
7. Roumains (2 933) 7. Moldaves (248)
8. Pakistanais (2 926) 8. Bulgares (188)
9. Ivoiriens (2 914) 9. Chinois (102)
10. Congolais (RDC) (2 788) 10. Turcs (94)

Mais, si le taux d’exécution des OQTF n’est que de 12 %, les juridictions administratives ont enregistré 81 473 affaires en matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière en 2017, alors que les juridictions judiciaires rendaient 48 370 décisions (dont 30 % de cours d’appel).

Seuls 40 % des étrangers retenus et 10 % des assignés sont expulsés

En 2018, sur les 24 531 personnes qui ont été retenues dans des centres de rétention en métropole (durée moyenne : quinze jours), seules 9 782 ont été éloignées : cette proportion de 40 % est en baisse mais elle aurait augmenté de dix points depuis début 2019. « Un taux limité au regard du coût de la rétention. » Les députés soulignent que, dans la région sud, les décisions de placement « prennent moins en compte les possibilités d’éloignement effectif et reposent largement sur la volonté de maintenir l’ordre public et de dissiper tout sentiment d’impunité au sein des communautés étrangères les moins aisément "éloignables" ».

Le nombre d’assignés à résidence a quadruplé en deux ans pour passer à 18 300. Mais seuls 10,5 % des personnes assignées sont éloignées… Pour développer cette politique, le ministère s’appuie de manière croissante sur les centres de préparation au retour (CPAR), dans lesquels des étrangers peuvent être assignés. En moins de quatre ans, seize centres, représentant 900 places, ont été ouverts.

Les rapporteurs expliquent les faibles taux d’expulsion par la difficulté à obtenir des laissez-passer consulaires (le rapport détaille les chiffres par pays). Par ailleurs, pour les sortants de prison ensuite retenus en CRA, « un nombre important a été placé sans que les démarches administratives préalables aient été engagées » durant la détention.

Le rapport comptabilise 3 200 refus d’embarquer de la part des étrangers ou des commandants de bord (une centaine). Des difficultés d’organisation d’escortes et des compagnies aériennes expliquent aussi 3 000 expulsions inabouties. À ce sujet, les députés critiquent le recours à des vols commerciaux réguliers, dont le marché est « jugé trop rigide, onéreux et insuffisamment réactif ». Ils suggèrent de recourir plus régulièrement à l’affrètement de charters, comme ce fut le cas pour l’expulsion d’une soixantaine de Sri-Lankais depuis la Réunion en février 2019.

Plus de retours aidés… Et d’effet d’aubaine ?

Les rapporteurs soulignent l’efficacité des retours aidés, en hausse due à une augmentation du montant alloué à l’aide. Mais les députés notent que cette croissance provient des ressortissants originaires de pays dispensés de visa ou traités comme tels (Kosovo), dont la part est passée en deux ans de 24 % à 56 %. Cela fait craindre des effets d’aubaine d’étrangers aidés qui reviendraient rapidement. Des abus avaient conduit à une réduction drastique de retours aidés il y a cinq ans. Les rapporteurs regrettent qu’aucune étude n’ait été menée « pour mesurer la réalité du maintien durable dans le pays d’origine ». Tout juste sait-on que 1 350 personnes qui avaient bénéficié d’une aide au retour en ont redemandé une, alors qu’ils ne peuvent pas la percevoir deux fois.

Enfin, si les rapporteurs sont favorables aux salles d’audience délocalisées à côté des centres de rétentions, ils sont plus mitigés sur les vidéo-audiences, dont le développement est encouragé par la loi Collomb : « elles posent de réelles questions en matière de déroulement de la procédure juridictionnelle » et nécessitent « des installations techniques performantes ». Ils appellent à une réelle expérimentation avant toute généralisation.