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Des conséquences de la non-transposition de certains pans de la directive 93/13/CEE

La Cour de justice de l’Union européenne vient répondre à plusieurs questions préjudicielles sur le contrôle des clauses abusives, notamment à la suite de l’absence de transposition par la loi grecque de l’exception concernant les clauses reproduisant des dispositions impératives. 

La Cour de justice de l’Union européenne est particulièrement vigilante quant à l’interprétation de la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives (v. à ce titre, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 131, nos 96 s.). Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler des arrêts rendus ces derniers mois tant par la Cour de Justice elle-même (CJUE 5 mars 2020, aff. C-679/18, Dalloz actualité, 22 avr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 537 ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole ; ibid. 35, chron. K. De La Asuncion Planes ) que par la Cour de cassation transmettant des renvois préjudiciels à ce sujet (Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154 FS-B, Dalloz actualité, 23 juin 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1619 , note A. Etienney-de Sainte Marie ). L’arrêt rendu le 21 décembre 2021, Trapeza Peiraios par la Cour de justice de l’Union européenne ne contredit pas ce constat.

Les faits ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la sixième chambre de la Cour prennent place en Grèce. Deux consommateurs résidant dans cet État membre concluent avec une banque grecque un contrat de prêt immobilier dont les remboursements s’échelonnent sur trente ans. Le contrat est libellé initialement en euros. Mais par deux avenants en date du 26 mars 2007 et du 25 juin 2007, les parties décident de modifier la devise du contrat en une devise étrangère, à savoir des francs suisses. Les deux avenants stipulent également que le remboursement du solde restant dû sera réalisé en francs suisses et que les intérêts seront calculés selon un taux fixe pendant une année puis selon un taux variable sur la base du taux LIBOR en francs suisses à 360 jours. Pour faciliter la lecture de ce commentaire, nous reproduisons ci-dessous les deux clauses concernées sur le changement de devise :

Clause 4.5 de l’avenant :
« [l]e remboursement du prêt par le débiteur se fera soit dans la même devise, soit dans l’équivalent en euros du montant en francs suisses, cet équivalent étant calculé au jour du paiement de la mensualité sur la base du cours de la devise concernée tel qu’il ressort du marché interbancaire des changes. Ce cours sera supérieur au cours effectif auquel la Banque vend le franc suisse et qui figure au Bulletin quotidien des cours de change de la Banque »

Clause 8.1 § 3 de l’avenant :
« en cas de résiliation du contrat de prêt, en plus des conséquences prévues par ailleurs dans la présente, la Banque se réserve le droit (sans y être obligée) de convertir la totalité du solde restant dû en euros, au cours effectif auquel la Banque vend le franc suisse et qui figure au Bulletin quotidien des cours de change de la Banque au jour de la conversion, et d’assortir le solde restant dû d’intérêts de retard composés du taux de base de la Banque en vigueur pour les prêts immobiliers, de la marge et du prélèvement au titre de la loi 128/75 et majorés de 2,5 points de pourcentage. Si un taux d’intérêt supérieur est en vigueur, c’est lui qui s’appliquera ».

On comprend, à la lecture de l’arrêt, que ces clauses reprennent, en substance, le contenu de l’article 291 du Code civil grec qui permet à « l’emprunteur, sauf convention contraire, de s’acquitter, en Grèce, de sa dette libellée en devise étrangère soit dans cette devise, soit dans la monnaie nationale au cours de change de ladite devise qui est en vigueur au lieu et à la date du paiement » (§ 16 de l’arrêt). Par acte du 17 septembre 2018, les deux emprunteurs assignent l’établissement bancaire devant le Polymeles Protodikeio Athinon (l’équivalent du Tribunal de grande instance, du ressort d’Athènes en l’espèce) afin d’obtenir l’annulation des avenants et de rétablir la situation qui existait au moment du contrat initial. Les demandeurs faisaient valoir que les clauses 4.5 et 8.1 § 3 reproduites ci-avant étaient des clauses abusives. Ils avançaient également que la banque les aurait incités à modifier le prêt et notamment la devise de remboursement alors qu’ils ne disposaient pas des connaissances nécessaires pour en percevoir le risque. Le Tribunal saisi vient fort logiquement à se que sur la possibilité même de contrôler le caractère abusif de la clause puisque sont exclues du contrôle les clauses qui reflètent les dispositions législatives ou réglementaires impératives (art. 1er, § 2, de la dir. 93/13/CEE). Une difficulté s’additionnait avec l’absence de transposition explicite de ce dernier article en droit grec, du moins de manière directe...

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