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Des dangers de la transmission universelle de patrimoine à l’égard de la caution omnibus

La chambre commerciale rappelle que la caution de l’ensemble des engagements d’une société absorbante est tenue des dettes des sociétés absorbées et que la banque créancière n’a pas l’obligation d’informer la caution des conséquences de la transmission universelle des patrimoines d’autres sociétés à la société garantie qui les a absorbées.

par Jean-Denis Pellierle 7 mars 2018

La caution, lorsqu’elle s’oblige à garantir l’ensemble des dettes du débiteur, ne mesure pas forcément la potentielle ampleur de son engagement, comme l’illustre l’arrêt sous commentaire.

En l’espèce, une banque avait conclu avec une société (Réaction graphique) une convention de compte courant et lui avait consenti une ouverture de crédit de 57 000 €, ainsi qu’une ligne d’escompte dans la limite de 60 000 €. Le cogérant de cette société s’était rendu caution solidaire de l’ensemble des engagements de celle-ci à hauteur de la somme de 74 100 € pour une durée de dix ans. Par la suite, la société débitrice a absorbé deux sociétés (B’Com 26 et Camhi éditions) qui bénéficiaient de plusieurs crédits consentis par la même banque. Cette dernière s’est prévalue de l’exigibilité anticipée de ces crédits en raison de la dissolution de ces sociétés et a clôturé le compte de la société débitrice principale, laquelle a finalement été mise en liquidation judiciaire. La banque ayant assigné la caution en paiement, celle-ci a recherché sa responsabilité pour manquement à son devoir de mise en garde et, contestant être tenue de garantir les concours accordés à d’autres sociétés avant leur absorption par la société débitrice, a demandé que son obligation soit limitée au montant du découvert bancaire. Sur ces deux points, elle n’a obtenu pas gain de cause devant les juges du fond (Paris, 18 mars 2016, n° 14/21560), ce qui a motivé un pourvoi en cassation.

Tout d’abord, la caution fait valoir que le cautionnement ne se présume pas et ne peut s’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté, conformément à l’article 2292 du code civil. Corrélativement, le cautionnement de dettes futures ne peut valoir que pour des dettes consenties par le débiteur clairement identifié dans l’acte de cautionnement et non pour des dettes consenties par des entités tierces, ultérieurement absorbées par le débiteur identifié au jour de l’engagement de la caution.

L’argument ne convainc pas la chambre commerciale, qui considère « qu’après avoir relevé que M. X… s’était rendu caution de l’ensemble des engagements, présents ou futurs, de la société Réaction graphique à l’égard de la banque dans la limite de 74 100 € et pour une durée de dix ans, l’arrêt retient exactement qu’il est mal fondé à contester être tenu des créances de la banque sur la société Réaction graphique résultant des crédits octroyés en 2011 aux sociétés B’Com 26 et Camhi éditions, qu’elle a absorbées en juillet 2012 et dont la dissolution sans liquidation a entraîné la transmission universelle de leur patrimoine à la société Réaction graphique ; que le moyen n’est pas fondé ».

Cette solution est tout à fait justifiée et classique (v. déjà en ce sens, en cas d’absorption par la société créancière, Com. 17 juill. 2001, n° 98-12.004, D. 2001. 2414, obs. A. Lienhard ; 27 oct. 1980, n° 79-10.004). L’article L. 236-3, I, du code de commerce dispose en effet, en sa première partie, que « la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l’opération ». Il est par conséquent logique que la caution soit également tenue des dettes des sociétés absorbées dans la mesure où elle s’est engagée à garantir l’ensemble des engagements de la société absorbante et que la personnalité juridique de cette dernière ne se trouve nullement affectée. Il en va autrement dans l’hypothèse où la société débitrice est absorbée, « l’obligation de couverture » étant alors appelée à s’éteindre (sur l’ensemble de ces questions, v. A. Barthez et D. Houtcieff, Traité de droit civil, in J. Ghestin (dir.), Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, nos 1024 s. ; P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. La publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 250). Telle est du moins l’analyse devenue classique à la suite des travaux de Mouly (C. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, préf. M. Cabrillac, Litec, 1981), que l’avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’association Henri Capitant, dévoilé en septembre 2017 propose de consacrer (art. 1844-4-1, al. 1er : « En cas de dissolution de la société débitrice ou créancière par l’effet d’une fusion, d’une scission ou de la cause prévue à l’article 1844-5, alinéa 3, du présent code, la caution demeure tenue pour les dettes nées avant que l’opération ne soit devenue opposable aux tiers ; elle ne garantit celles qui sont nées postérieurement que si elle y a consenti, par avance ou à l’occasion de cette opération »).

La situation n’en demeure pas moins fort dangereuse pour la caution, raison pour laquelle on aurait pu imaginer que la Cour de cassation se laisse convaincre par le second moyen, selon lequel la banque a vis-à-vis de la caution une obligation de mise en garde et d’information (sur la distinction entre l’information et la mise en garde, v. L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés. La publicité foncière, 11e éd., LGDJ, 2017, n° 287 ; M. Mignot, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 3e éd., LGDJ, coll. « Cours », 2017, n° 241) ; qu’en jugeant que la banque n’avait commis aucun manquement à ce titre en n’informant pas la caution des conséquences pour elle de la transmission universelle de patrimoine résultant de l’absorption des sociétés B’Com 26 et Camhi éditions par la société Réaction graphique, débitrice principale, au motif que la banque n’avait « aucune obligation à cet égard », la cour d’appel aurait méconnu la portée des obligations de la banque et violé l’article 1147 du code civil (devenu l’art. 1231-1 après la réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016). 

Là encore, la chambre commerciale approuve les juges du fond en considérant que « l’arrêt énonce exactement que la banque n’a pas l’obligation d’informer la caution, qui s’est engagée à garantir l’ensemble des engagements d’une société à son égard, des conséquences de la transmission universelle des patrimoines d’autres sociétés à la société garantie qui les a absorbées ; que le moyen n’est pas fondé ». Une fois de plus, la solution se justifie pleinement au regard de la loi et de la jurisprudence, non seulement parce que les dettes des sociétés absorbées avaient été transmises à la société débitrice, mais encore parce que la caution était indéniablement avertie (v. à ce sujet M. Mignot, op. cit., n° 241). La cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 18 mars 2016 précité, considère d’ailleurs au sujet du cogérant de la société débitrice « qu’à la date de son engagement en 2010, il était manifestement une caution avertie, compte tenu de ses fonctions et de son expérience, et que la Société Générale n’avait pas de devoir de mise en garde à son égard ; que la banque n’avait également pas de devoir de mise en garde en l’absence de disproportion de son engagement avec ses biens et revenus ». Toutefois, cet arrêt révèle également que la caution n’était plus gérante de la société débitrice à la suite de sa fusion avec les autres sociétés et qu’elle était totalement ignorante des crédits consentis à ces dernières par la banque et du sort de la société débitrice après la transmission universelle de patrimoine. Il est vrai, cependant, qu’aux termes de l’engagement souscrit, il était prévu à l’article IX que la caution pouvait décider à tout moment de révoquer son engagement moyennant un préavis de quatre-vingt-dix jours, faculté qu’elle n’avait pas exercée…

Par où l’on voit que le cautionnement omnibus peut s’avérer particulièrement dangereux, même pour une caution censée être avertie.