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Le droit aux congés payés au sens du droit communautaire

Le travailleur n’a pas l’obligation de prendre d’abord ses congés avant de savoir s’il a le droit d’être rémunéré au titre de ces derniers. C’est pourquoi le travailleur doit pouvoir reporter et cumuler ses droits au congé annuel payé non pris lorsque l’employeur refuse de les rémunérer.

par Wolfgang Fraissele 19 décembre 2017

La présente décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est l’occasion de rappeler deux principes essentiels en matière du droit au congé des salariés : l’impérativité d’une prise effective du congé et son annualité. En effet, la prise effective du congé qui se caractérise par une suspension des obligations du salarié de se tenir à la disposition de son employeur est d’ordre public. Cette impérativité rend impossible le remplacement de l’exercice du congé par le paiement d’une indemnité. La directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 rappelle cette exigence en son article 7 : « congé annuel : les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ». En ce sens, il revient à la charge de l’employeur de faire connaître les dates des congés et à plus forte raison de ne pas refuser la prise du congé acquis par le salarié qui la demande. Il ne saurait de même imposer au salarié une promesse de report dans le but de faire prendre à ce dernier l’intégralité de ses droits pendant une période de préavis de rupture du contrat de travail. Le non-respect des dispositions précitées justifierait que le salarié engage une action sur le fondement de l’article 1240 du code civil afin de solliciter l’indemnisation de son préjudice (Soc. 6 mai 2002, n° 00-43.655, RJS 7/2002, n° 828 [2e esp.] ; 1er févr. 1968, Bull. civ. V, n° 77 ; 19 oct. 1977, n° 76-40.684, Bull. civ. V, n° 546 ; 20 janv. 1982, n° 80-40.103, Bull. civ. V, n° 27 ; 11 oct. 1995, n° 92-41.359, RJS 1/1996, n° 31 ; 7 nov. 1995, n° 92-40.878, RJS 1/1996, n+ 31 ; 30 janv. 1996, n° 92-45.168, JS UIMM 1996-597, p. 284 ; 26 oct. 2004, n° 02-44.776 ; 12 oct. 2005, n° 03-47.922).

La présente décision concerne un travailleur qui percevait uniquement des commissions dans le cadre de son contrat de travailleur indépendant, effectif sur la période du 1er juin 1999 au 6 octobre 2012. Au cours de cette relation de travail, lorsqu’il prenait des congés, ces derniers n’étaient pas rémunérés. À la fin de cette relation de travail, le travailleur a réclamé à son employeur le versement des indemnités financières pour ses congés annuels, pris et non payés ainsi que non pris, correspondant à la totalité de la période pendant laquelle il a travaillé. L’employeur refuse de faire droit à la demande de ce dernier au motif qu’il avait le statut de travailleur indépendant. Le travailleur a donc introduit un recours devant le tribunal du travail qui lui donne raison en considérant qu’il devait être qualifié de travailleur au sens de la directive 2003/88. À la suite de l’appel du jugement, la cour d’appel confirme l’existence du droit au congé annuel. Concernant les indemnités, l’employeur soutient que le travailleur n’était pas en droit de reporter des périodes de congés annuels non pris sur une nouvelle année de référence, de sorte que sa demande d’indemnités correspondante aux congés annuels non pris serait prescrite. Le travailleur soutient au contraire que le droit au paiement d’une indemnité financière pour congé annuel non pris ne prend naissance qu’à la fin de la relation de travail. Cette juridiction constatant que le droit du Royaume-Uni ne permet pas le report d’un congé annuel au-delà de la période de référence éprouve des doutes quant à la compatibilité de ces dispositions avec le droit de l’Union. Dans ces conditions, elle décide de surseoir à statuer afin de former plusieurs questions préjudicielles à la CJUE. Les cinq questions posées reviennent à savoir, en premier lieu, si le fait que le travailleur doive d’abord prendre son congé avant de pouvoir savoir s’il a droit d’être rémunéré au titre de ce congé est compatible avec le droit de l’Union et, en second lieu, si le travailleur est en droit de reporter et de cumuler des droits au congé annuel jusqu’au moment où sa relation de travail prend fin.

S’agissant de la première question, après avoir rappelé que le droit au congé annuel payé doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union européenne notamment au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la CJUE précise sans ambiguïté que les travailleurs ne doivent pas être confrontés à des circonstances de nature à susciter de l’incertitude quant à la jouissance de leur droit à se reposer ainsi qu’à disposer d’une période de détente et de loisirs. Il n’est donc pas conforme au droit de l’Union d’imposer au travailleur de prendre d’abord ses congés avant de savoir s’il pourra être rémunéré au titre de ces derniers.

Pour répondre à la seconde série de questions, la Cour de justice rappelle que la directive n° 2003/88 ne permet pas aux États membres d’exclure la naissance du droit au congé annuel payé ni de prévoir que le droit au congé annuel s’éteint à l’expiration de la période de référence lorsque le travailleur a été placé dans l’impossibilité de les prendre. En l’espèce, elle relève que l’employeur avait considéré par erreur que l’absence de droit à congé payé alors qu’il incombe pourtant à celui-ci de rechercher toute information relative à ses obligations en la matière. Par conséquent, elle estime que l’employeur qui ne met pas un travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé doit en assumer les conséquences. Il peut être relevé à cet égard la conformité des décisions rendues par la chambre sociale qui, en substance, précisent qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement (Soc. 23 oct. 2013, n° 11-16.032, Bull. civ. V, n° 247 ; Dalloz actualité, 12 nov. 2013, obs. W. Fraisse ; ibid. 2014. 302, chron. P. Flores, F. Ducloz, C. Sommé, E. Wurtz, S. Mariette et A. Contamine ; Dr. soc. 2014. 11, chron. S. Tournaux ; ibid. 77, obs. F. Canut ; 23 oct. 2013, n° 11-26.318, D. 2014. 302, chron. P. Flores, F. Ducloz, C. Sommé, E. Wurtz, S. Mariette et A. Contamine ; RJS 1/14, n° 65 ; 12 févr. 2014, n° 12-29.542 ; 18 mars 2015, n° 13-17.763, RJS 6/15, n° 418 ; 16 déc. 2015, n° 14-11.294, Dalloz actualité, 12 janv. 2016, obs. M. Peyronnet ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ).