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Droit des entreprises en difficulté et excès de pouvoir : vers l’infini et au-delà

Sous l’empire de la loi de 1985, les jugements par lesquels le tribunal a statué contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire dans la limite de ses attributions ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Or, il n’est dérogé à cette règle qu’en cas d’excès de pouvoir. À ce propos, l’erreur commise par un tribunal, qui fait courir le délai d’opposition contre une ordonnance du juge-commissaire à compter de la date à laquelle la lettre de notification de ladite ordonnance a été présentée au débiteur et non à la date à laquelle il en a eu effectivement connaissance, pour en déduire que ledit délai était expiré lorsque le débiteur a fait opposition à l’ordonnance, de sorte que son recours était irrecevable, constitue un excès de pouvoir.

Puisque les enjeux de la faillite impliquent une certaine célérité de la procédure, le droit des entreprises en difficulté est historiquement connu pour la restriction des voies de recours qu’il implique.

Ce faisant, bien qu’aujourd’hui cet aspect soit en net recul, certaines législations antérieures de notre matière produisaient parfois une telle atteinte aux droits de la défense que la jurisprudence a dû imaginer d’autres recours perçus comme autant de moyens de lutte contre l’« ivresse du pouvoir » que telles ou telles décisions pouvaient constituer (G. Bolard, L’appel-nullité, D. 1988. 177).

Dans ce contexte, le droit des entreprises en difficulté a été un terreau fertile pour le développement des recours en nullité, ou dit autrement, des recours restaurés (P. Cagnoli, Essai d’analyse processuelle du droit des entreprises en difficulté, LGDJ, 2002, nos 476 s.) : voies de recours contra legem ouverts par le juge là où la loi prône la fermeture et tendant à obtenir, non pas que l’affaire soit rejugée, mais « simplement » qu’elle le soit avec une décision digne de ce nom (F. Pérochon et alii, Entreprises en difficulté,  12e éd., LGDJ, 2024, n° 2288). Pour cela, la décision entachée d’irrégularité doit purement et simplement être annulée.

Traditionnellement, deux sortes d’irrégularités étaient perçues comme assez graves pour justifier de l’exercice d’un recours en nullité : la violation d’un principe fondamental de procédure ou un excès de pouvoir du juge. Puis, un célèbre arrêt rendu en chambre mixte du 28 janvier 2005 a finalement réservé l’exercice d’un recours nullité à la seule hypothèse d’un excès de pouvoir (Cass., ch. mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153 P, D. 2005. 386, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2006. 545, obs. P. Julien et N. Fricero ; AJDI 2005. 414 ).

L’appréhension de la notion d’excès de pouvoir n’est pas chose aisée. D’un côté, il a pu être écrit que la jurisprudence avait tendance à en retenir une conception étroite et, en bref, l’excès de pouvoir n’était classiquement rien d’autre que la méconnaissance par le juge de l’étendue de son pouvoir de juger (C. de Lajarte-Moukoko, L’appel-nullité. Le point sur les conditions d’ouverture, BJE janv. 2014. 53). Par exemple, pour la Cour de cassation, ni la méconnaissance de la loyauté des débats ni la violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme n’ont pu constituer un excès de pouvoir (Com. 12 juill. 2011, n° 09-71.764 P, Dalloz actualité, 20 juill. 2011, obs. A. Lienhard).

D’un autre côté, il a brillamment été montré que la notion connaissait « un fabuleux destin » ; en pleine expansion, les frontières de l’excès de pouvoir ne cessent aujourd’hui d’être repoussées, jusqu’à y voir peut-être une certaine autonomisation de la notion (T. Goujon-Béthan, Le fabuleux destin de l’excès de pouvoir, in Mélanges en l’honneur de Nathalie Fricero. Procédure civile sans frontières, Dalloz, LGDJ, 2024, p. 307 s.).

C’est dans le sillage de ce dernier constat que nous paraît s’inscrire l’arrêt ici rapporté.

En jugeant que le prononcé de l’irrecevabilité d’un recours ayant pour source une erreur du tribunal dans la computation des délais constitue un excès de pouvoir du juge, la Cour de cassation nous paraît élargir un peu plus encore la conception retenue de l’excès de pouvoir… Vers l’infini et au-delà !

L’affaire et quelques mots sur le droit applicable

Les faits ayant conduit à l’arrêt sous commentaire sont assez simples. Courant 2003, un débiteur est placé dans les liens d’une procédure de liquidation judiciaire soumise, par conséquent, à la législation de la loi du 25 janvier 1985.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, une vingtaine d’années plus tard, la procédure étant toujours en cours (!), le 31 mars 2022, sur requête du liquidateur, le juge-commissaire a ordonné une expertise aux fins d’évaluation de quatre biens immobiliers appartenant au débiteur.

Ce dernier a formé un recours à l’encontre de cette ordonnance. Hélas, par un jugement du 4 juillet 2022, le tribunal l’a déclaré irrecevable faute de ne pas avoir respecté le délai pour former son opposition. Pour rappel, ce délai est de dix jours à compter de la notification adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception conformément à l’article R. 621-21, alinéa 3, du code de commerce dans sa rédaction alors applicable aux faits de l’espèce (notons que la rédaction de ce texte n’a pas été modifiée au fil des réformes, mais se situe désormais au 4e alinéa du même article).

Pour le tribunal, le délai d’opposition avait commencé à courir à compter de la date à laquelle la lettre recommandée de notification de ladite ordonnance avait été présentée au débiteur – et non à la date à laquelle il en avait eu effectivement connaissance – pour en déduire que ledit délai était expiré lorsque le débiteur a fait opposition à l’ordonnance de sorte que son recours était irrecevable comme tardif.

À vrai dire, l’affaire aurait pu s’arrêter là. En effet, sous l’empire de la loi n° 85-98...

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