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Du droit de connaître son juge en ses noms et qualités

La convocation adressée par le commissaire du gouvernement aux personnes poursuivies par le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques doit préciser les noms et qualités des membres titulaires et suppléants du conseil susceptibles de constituer la formation disciplinaire du conseil.

par Jean-Denis Pellierle 18 juillet 2018

La Cour de cassation considère que le justiciable doit connaître précisément son juge. Tel est l’enseignement que l’on peut tirer d’un arrêt rendu par la première chambre civile le 27 juin 2018. En l’espèce, après une condamnation pénale définitive du chef d’abus de confiance, un commissaire-priseur de ventes volontaires a été poursuivi à titre disciplinaire devant le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV) pour avoir contrevenu aux dispositions des articles L. 321-4 et L. 321-9 du code de commerce.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 7 décembre 2016 (n° 16/11982), a prononcé à son encontre une interdiction définitive d’exercer en sa qualité de commissaire-priseur et a considéré qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur sa situation en sa qualité de gérante de l’opérateur de ventes volontaires (l’OVV).

L’intéressée se pourvut en cassation pour des motifs tenant à la composition du CVV, qui n’aurait pas été pleinement communiquée dans la convocation adressée par le commissaire du gouvernement. Les deuxième et troisième branches du premier moyen sont écartées : « Mais attendu qu’il résulte de la procédure que les débats ont eu lieu devant le CVV, dont le nom du président a été mentionné dans la convocation du 12 novembre 2015, que Mme Le Mouel-Chouffot ne conteste pas avoir reçue, et a ainsi été porté à sa connaissance ; que celle-ci n’est pas recevable à invoquer devant la Cour de cassation la violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’elle n’a pas fait usage de la possibilité d’en obtenir le respect en récusant le président par application de l’article 16 du règlement intérieur du CVV, annexé à la décision n° 2012-803 du 21 novembre 2012 établissant ce règlement intérieur, alors applicable, et qu’en s’abstenant de le faire, elle a renoncé sans équivoque à s’en prévaloir ; que le moyen n’est pas fondé ».

En revanche, la première branche du premier moyen a porté ses fruits puisque la décision des juges du fond est cassée au visa de l’article 16, alinéa 2, du règlement intérieur du CVV, annexé à la décision n° 2012-803 : la Cour de cassation rappelle que « la convocation adressée par le commissaire du gouvernement aux personnes poursuivies précise les noms et qualités des membres titulaires et suppléants du conseil susceptibles de constituer la formation disciplinaire du conseil ». Or les juges du fond, pour rejeter la demande d’annulation de la décision du CVV du 26 avril 2016, avaient retenu que la participation d’une personne à la formation disciplinaire du CVV réunie le 16 décembre 2015 était régulière, dès lors que celle-ci avait été désignée non pas en tant que personnalité exerçant l’activité d’opérateur de ventes volontaires mais en qualité de personnalité qualifiée, et que l’interdiction édictée par l’article L. 321-21 du code de commerce avait été respectée. Le censure est exprimée en ces termes : « Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le nom et les qualités de Mme de Joux figuraient dans la convocation du 12 novembre 2015, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Pour bien comprendre cette décision, il faut d’abord rappeler que le CVV a notamment pour fonction de « sanctionner, dans les conditions prévues à l’article L. 321-22 les manquements aux lois, règlements et obligations professionnelles applicables aux opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques […] » (C. com., art. L. 321-18, al. 2, 3°). Il faut ensuite observer que l’article L. 321-21 du code de commerce prévoit, en son alinéa 6, que « les membres du conseil exerçant au cours de leur mandat l’activité de ventes volontaires aux enchères publiques ne participent pas aux délibérations relatives à la situation individuelle des opérateurs mentionnés aux articles L. 321-4 et L. 321-24 ».

La solution de la Cour de cassation est donc justifiée : afin de contrôler le respect de ces dispositions et d’être en mesure d’exercer le cas échéant le droit de récusation, il est nécessaire que l’intéressé connaisse les noms et qualités de ceux qui sont appelés à décider de son sort. La jurisprudence avait déjà eu l’occasion d’affirmer que, « conformément à l’article L. 321-21, l’indication nominative de ceux des membres qui ont effectivement délibéré est, à peine de nullité, impérative » et qu’une décision ne comportant pas une telle indication « méconnaît en conséquence le principe essentiel selon lequel tout justiciable doit savoir qui est son juge, la décision déférée devant faire preuve par elle-même de sa régularité » (Paris, 1re ch., sect. A, 1er févr. 2005, JCP 2006. II. 10091, note S. Thomasset-Pierre). L’arrêt sous commentaire va plus loin en exigeant que les noms et qualités du juge figurent dans la convocation adressée à l’intéressé.

Plus généralement, cette décision permet de prendre conscience que le CVV peut être considéré comme une juridiction, soumise aux exigences posées par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Certes, le code de commerce le qualifie, depuis la loi du 20 juillet 2011, d’« établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale » et l’ensemble de la doctrine s’accorde à y voir un organisme de droit privé alors qu’il était auparavant considéré comme une autorité administrative indépendante (sur cette question, v. F. Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz action, 2016-2017, nos 125-11 s., spéc. n° 125.12). Mais il n’en demeure pas moins un tribunal au sens de l’article 6, § 1, précité et, en tant que tel, il doit se conformer aux exigences élémentaires relatives aux droits de la défense.