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Enregistrement de l’interrogatoire de première comparution : intransigeance de la Cour de cassation

Le juge d’instruction ne peut, sans excès de pouvoir, recommencer un interrogatoire de première comparution qu’il estime entaché d’irrégularité.

par Dorothée Goetzle 5 octobre 2017

Un juge d’instruction peut-il recommencer un interrogatoire de première comparution qu’il estime entaché d’irrégularité ? Sans surprise, les Hauts magistrats répondent, dans cet arrêt de principe, de manière négative à cette question. La raison ? : « en procédant ainsi, il (le juge d’instruction) empiète sur les attributions de la chambre de l’instruction, seule compétente, pendant l’information judiciaire, pour en apprécier la régularité, sous le contrôle de la Cour de cassation ».

En l’espèce, à la suite de la découverte de 900 pieds de cannabis, un individu était interpellé puis, dans le cadre d’une information judiciaire, mis en examen des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, production et fabrication illicites de stupéfiants et association de malfaiteurs. Cinquante-six minutes après la fin de l’interrogatoire de première comparution durant lequel le mis en examen n’a cessé de contester les faits, le magistrat instructeur constatait que l’interrogatoire n’avait pas été enregistré. Cette situation était particulièrement gênante. En effet, les faits notifiés étaient de matière criminelle. Or, selon l’alinéa 1 de l’article 116-1 du code de procédure pénale : « en matière criminelle, les interrogatoires des personnes mises en examen réalisés dans le cabinet du juge d’instruction, y compris l’interrogatoire de première comparution et les confrontations, font l’objet d’un enregistrement audiovisuel ».

Le magistrat instructeur décidait alors de procéder à un nouvel interrogatoire. Il indiquait à l’intéressé que cet acte d’instruction était destiné à préserver ses droits en lui permettant d’être film é dans ses déclarations. L’avocat de celui qui avait été précédemment mis en examen, présent lors du premier interrogatoire, refusait d’assister à ce second interrogatoire durant lequel son client restait silencieux. Le même jour, l’intéressé était placé en détention provisoire. Plus tard, le juge d’instruction l’informait d’un changement de qualification et de l’application d’un nouveau régime de détention provisoire découlant de la qualification correctionnelle des faits. Avant que le juge des libertés et de la détention n’ordonne la prolongation de la détention provisoire, le mis en examen formait une requête en annulation des actes de la procédure. Sans réelle surprise, il reprochait au juge d’instruction d’avoir empiété sur les attributions de la chambre de l’instruction en substituant un nouvel interrogatoire de première comparution à celui précédemment réalisé et qu’il estimait nul. Le but du mis en examen était de faire annuler les deux interrogatoires de première comparution. La chambre de l’instruction ayant rejeté sa requête, il formait un pourvoi en cassation dont l’examen immédiat était ordonné par le président de la chambre criminelle. 

Dans son analyse, la Cour de cassation abonde dans le sens du mis en examen. En effet, les Hauts magistrats reprochent à la chambre de l’instruction d’avoir méconnu l’article 116-1 du code de procédure pénale en s’abstenant de constater l’excès de pouvoir du juge d’instruction qui ne pouvait recommencer l’interrogatoire de première comparution pour l’enregistrer. Au quadruple visa des articles 116-1, 171, 172 et 206 du code de procédure pénale, la chambre criminelle montre, dans un attendu de principe, tout son attachement au respect de ces dispositions. Les Hauts magistrats énoncent que « le juge d’instruction ne saurait, sans excès de pouvoir, recommencer un interrogatoire de première comparution qu’il estime entaché d’irrégularité ; qu’en procédant ainsi, il empiète sur les attributions de la chambre de l’instruction, seule compétente, pendant l’information judiciaire, pour en apprécier la régularité, sous le contrôle de la Cour de cassation ». Ce faisant, la chambre criminelle n’a pas été sensible aux arguments développés par la chambre de l’instruction. Cette juridiction insistait en effet sur un point important : le juge d’instruction n’avait pas modifié le contenu de l’interrogatoire. En ce sens, il n’a pas substitué un nouvel interrogatoire à celui précédemment réalisé. Pour la chambre de l’instruction, il n’a fait qu’exécuter une opération matérielle, à savoir l’enregistrement de l’interrogatoire, pour permettre la conformité de cet acte avec l’article 116-1 du code de procédure pénale. Pour asseoir cette vision pragmatique, la chambre de l’instruction insistait sur l’immédiateté et la continuité temporelle de la réalisation des deux interrogatoires. Elle en déduisait qu’ils étaient indivisibles, ce qui lui permettait de rejeter la requête en nullité. 

En refusant de partager cette analyse, la Cour de cassation illustre, dans cet arrêt de principe, la reconduction de sa jurisprudence applicable en matière criminelle au sujet des interrogatoires de première comparution non enregistrés. En effet, à l’exception des hypothèses d’impossibilité technique (Crim. 4 nov. 2010, n° 10-85.279, Bull. crim. n° 176 ; Dalloz actualité, 17 déc. 2010, obs. M. Léna , note L. Belfanti ; AJ pénal 2010. 294, obs. L. Ascensi ; Procédures 2010, n° 247, obs. Chavent-Leclère) ou déclare faire usage de son droit de se taire (Crim. 22 juin 2016, n° 15-87.752, Crim., 22 juin 2016, n° 15-87.752, D. 2016. 1565 5 ; Gaz. Pal. 4 oct. 2016, p. 60, note Fourment ; Procédures 2016, n° 303, note Chavent-Leclère). Récemment, la Cour de cassation a encore précisé que l’omission d’enregistrement audiovisuel, hors les cas où l’article 116-1 l’autorise, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée, que celle-ci ait déclaré vouloir faire des déclarations, répondre aux questions posées ou se taire, l’annulation portant alors sur l’intégralité de l’interrogatoire de première comparution, bien que les faits pour lesquels la personne a été mise en examen aient été à la fois criminels et correctionnels (Crim. 21 mars 2017, n° 16-84.877, D. 2017. 1236 , note L. Belfanti ).

Si l’arrêt rapporté s’inscrit dans le droit fil de ces jurisprudences, il reste toutefois muet sur un argument judicieusement avancé par la chambre de l’instruction. En effet, dans la mesure où le juge d’instruction n’a pas modifié le contenu de l’interrogatoire, dans quelle mesure l’absence d’enregistrement peut-elle avoir porté atteinte au requérant ?