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« Est-on capable d’inventer un autre modèle que la prison ? »

Des professionnels de tous bords ont débattu, jeudi 21 juin à la maison du barreau, sur le thème de la prison, de l’enfermement, et des alternatives. Le colloque « La prison du 21e siècle : pourquoi, pour qui, comment ? » tentait de dégager des solutions pour améliorer le système.

par Julien Mucchiellile 25 juin 2018

L’étonnement n’est pas venu du scepticisme de Robert Badinter quant à la possibilité d’améliorer, dans un futur proche, le système carcéral français, mais bel et bien de l’ancien député Georges Fenech. Il s’est exprimé après l’ouverture par l’ancien garde des Sceaux du colloque « La prison du 21e siècle : pourquoi, pour qui, comment ? », qui s’est tenu jeudi 21 juin à la maison du barreau de Paris, et il a dit : « La solution vient-elle de la construction de prisons ? Non, il faut innover. » Dévot promoteur du carcéral et de la « tolérance zéro » alors qu’il siégeait à l’Assemblée nationale, l’ancien député (Les Républicains), à qui l’on doit aussi la rétention de sûreté, a pris de court tous les avocats venus assister aux débats. Georges Fenech a ajouté : « Nous sommes trop dans la culture de la détention, est-on capable d’inventer un autre modèle que la prison ? » Il faut dire que Georges Fenech est désormais avocat.

Aux termes de la loi, la détention provisoire doit être l’exception. Elle se justifie au regard des critères énoncés à l’article 144 du code de procédure pénale. Mais avec la pratique, la « culture de la détention », la détention est devenue la règle : au 1er mai 2018, les prévenus représentaient 29,6 % des 70 633 personnes détenues. Charles Prats, juge des libertés et de la détention (JLD), a convenu que l’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) était une excellente alternative mais qu’en l’absence d’enquête de faisabilité pour le mis en cause, il était souvent obligé d’y renoncer (et d’opter pour la détention). Car sans enquête de faisabilité, menée par un conseiller pénitentiaire qui a besoin d’un mois pour la retourner, la chambre de l’instruction infirme la décision et le prévenu part en prison. Or ce rapport arrive souvent après le débat JLD.

Sur ce sujet, l’avocate et ancienne membre du conseil de l’ordre de Paris Marie-Alix Canu-Bernard s’est exaltée à qualifier le choix de la détention provisoire comme le produit de la « lâcheté des juges ». Pour elle, si les juges, notamment les JLD, « prenaient leurs responsabilités », la chambre de l’instruction envisagerait de changer sa jurisprudence. Charles Prats, qui a peu goûté le propos virulent de l’avocate, a rappelé que c’est le code de procédure pénale qui rend obligatoire l’enquête de faisabilité pour une ARSE. Il suffirait donc de changer la loi.

Catherine Ardaillon, juge de l’application des peines et ancienne avocate, a fustigé ces « courtes peines qui ne permettent pas de préparer un projet de sortie ». Les courtes peines, en général, ne servent à rien, sinon à plonger un jeune délinquant plus profond dans le bain de la délinquance – fréquentations, rencontres, oisiveté et dureté de la détention sont les causes de cette réalité. Les courtes peines ne permettent aucun suivi (formation, emploi, instruction), souvent aucune activité, car les maisons d’arrêt, pleines à craquer, ne peuvent occuper tout le monde. La magistrate a qualifié ces peines de « temps de gardiennage, sans aucune valeur ajoutée ». Et a plaidé pour l’instauration de permanences transdisciplinaires au tribunal, au moment du prononcé de la peine, pour qu’en amont, les personnes envoyées en prison soient prises en charge, que leur suivi soit effectif alors même qu’ils n’ont pas encore quitté le tribunal. Car en prison, il est déjà trop tard.

Les Français favorables aux prisons, même ouvertes

L’avocate Delphine Boesel, également présidente de l’OIP, estime que « les courtes peines ne devraient pas être en prison », c’est-à-dire qu’elles devraient toutes, sans exception, être exécutées selon une des nombreuses alternatives possibles. « Les magistrats ne connaissent pas la réalité de ce que vivent nos clients », ajoute-t-elle. C’est pour cela notamment que « l’aménagement de peine est perçu comme une faveur – avant, c’était un miracle », alors qu’il devrait être un dû.

Un homme, Didier Chamzo, a fait dix-sept ans de prison (sorti en 1991), dont huit ans de quartier haute sécurité. Il a le verbe haut et la langue verte : il n’est « pas trop pote avec Fenech » et se rit des « pseudo-intellectuels » qui parlent de la prison (il cite Sartre et Foucault), tandis que les hommes comme lui, eux, sont enterrés vivants. Il a tout simplement confirmé que la prison, ça détruit. Il se définit comme un dur, qui a encaissé ses années, mais rappelle qu’il est marqué à vie : il n’a pas pu rester plus d’une heure dans l’amphithéâtre, car il est en sous-sol et ne supporte pas les pièces sans fenêtre.

Concernant cette souffrance que représente l’enfermement carcéral, un sondage commandé par le barreau de Paris, organisateur du colloque, montre que les Français en ont conscience. Ils sont 80 % à estimer que les détenus subissent fréquemment des violences verbales, physiques ou sexuelles, mais seulement 50 % à penser que les conditions d’incarcération ne sont pas satisfaisantes. Traduction : les détenus sont là pour en baver. L’opinion publique (ou l’idée que l’on se fait de l’opinion publique) ne supporte pas que la condition des détenus jouisse d’une quelconque considération – alors que la condition de nombres d’hommes et de femmes libres est, de nos jours, très précaire. Les Français, selon ce sondage, pensent à 59 % que les peines de prison ne sont pas assez fréquentes pour les délits, et à 73 % que c’est le cas pour les crimes. En revanche, ils sont 63 % à estimer que les peines de moins de cinq ans pourraient être effectuées sous forme de travaux d’intérêt général, et à 57 % en prison ouverte.

Tout cela est paradoxal et tendrait à démontrer que la volonté politique pourrait s’affranchir de l’opinion publique, comme le fit jadis Robert Badinter, pour faire progresser le système pénal et carcéral. Me Henri Leclerc, qui a clos les débats, s’est adressé à la députée Yaël Braun-Pivet, venue expliquer son travail autour de la prison (elle visite deux établissements par mois), qui consiste en des propositions soutenant la construction de places de détention en milieu ouvert. L’avocat, qui s’appuyait sur ses 60 ans d’expérience, a expliqué que, lui, il n’y croyait pas. S’agissant d’un changement de paradigme sur le sujet, d’un courage politique qui enfin agirait pour sortir du « tout carcéral », son opinion est faite : il n’y a aucun espoir.