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Les expertises judiciaires civiles devant les tribunaux de grande instance et les cours d’appel

La direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la justice a publié une étude sur les expertises judiciaires civiles ordonnées devant les tribunaux de grande instance et les cours d’appel, pour la période 2010-2017.

par Jérémy Jourdan-Marquesle 9 avril 2018

L’étude est principalement statistique et factuelle, et n’offre finalement que peu de pistes de réflexion face aux quelques difficultés identifiées. La dernière étude réalisée en la matière datait de 2003 (S. Arnault et P. Krief, Le coût des expertises, févr. 2003) – laquelle avait un objet plus large, intégrant notamment la matière pénale – et avait été suivie d’un bilan statistique descriptif de 2009.

Entre-temps, est entré en vigueur un décret n° 2012-1451 du 24 décembre 2012 relatif à l’expertise et à l’instruction des affaires devant les juridictions judiciaires (D. 2013. 269, obs. N. Fricero  ; JCP E 2013, n° 6, p. 9, obs. N. Gerbay). Le décret modifie le code de l’organisation judiciaire afin de permettre la désignation dans chaque juridiction d’un juge chargé du contrôle des expertises. Il modifie certaines dispositions du code de procédure civile relatives à la rémunération des experts en prévoyant une obligation pour l’expert de demander au juge une provision supplémentaire en cas d’insuffisance manifeste de la provision initiale et en instaurant la possibilité pour les parties de présenter des observations sur la demande de rémunération. Enfin, le décret impose au juge ordonnant une expertise l’obligation de motiver la désignation d’un expert qui ne serait pas inscrit sur les listes établies par les cours d’appel ou la Cour de cassation.

En suivant le plan du rapport, les principales conclusions sont les suivantes :

Évolution et caractéristiques des affaires ayant requis l’avis d’un expert

Le rapport constate, sur la période allant de 2010 à 2017, une tendance à la baisse du nombre d’expertises. Pourtant, cette tendance sur l’intégralité de la période ne doit pas masquer certaines évolutions internes. En effet, à une période de forte augmentation entre 2010 et 2012 (+ 10 %) a succédé une période de forte baisse à partir de 2013 (- 15 %). Le nombre d’expertises ordonnées est ainsi passé de 46 993 en 2010 à 51 787 en 2012 pour redescendre à 43 909 en 2017 (les chiffres de 2017 font l’objet d’une projection pour le mois de décembre). Cette baisse s’explique principalement par une diminution du nombre de procédures que les juridictions ont à connaître. En effet, le pourcentage d’affaires donnant lieu à une expertise est resté relativement stable.

De plus, le rapport constate la grande diversité des domaines dans lesquelles les expertises sont susceptibles d’intervenir. Trois domaines sont largement majoritaires, les actions contractuelles (36,7 % du total des expertises), la responsabilité civile (32,8 % du total des expertises) et le droit de la famille (15,2 % du total des expertises). Toutefois, il faut mettre ces chiffres en perspectives avec le nombre d’affaires qu’ont les tribunaux à connaître. On remarque alors qu’un expert est désigné dans environ 17 % des affaires en matière contractuelle, 27 % en matière de responsabilité et seulement 2 % en matière familiale.

Par ailleurs, le rapport constate que près de sept expertises sur dix sont ordonnées en référé, le reste l’étant dans le cadre d’une procédure au fond. Toutefois, la désignation d’un expert se retrouve le plus souvent dans le cadre d’une procédure en référé en matière contractuelle ou de responsabilité civile, alors qu’elle a lieu lors de la procédure au fond en matière de droit de la famille.

Évolution des sommes consignées au titre de l’expertise judiciaire civile

Le rapport indique que le dispositif statistique ne permet pas de connaître le montant exact de l’expertise, mais uniquement les montants consignés. Ce montant étant toutefois proche du réel, il est un bon indicateur.

Sur ce point, le rapport constate une explosion des montants consignés (à mettre en rapport avec le recul du nombre d’expertises), passant en 2011 de près de 80 millions d’euros à 240 millions d’euros en 2016/2017. Cette évolution s’explique par une élévation du montant moyen de chaque expertise. En 2011, le montant moyen consigné s’établissait à 1 700 €, il s’élève, en 2016, à 5 000 € par expertise et devrait dépasser 5 600 € en 2017.

Sur cette période, on constate que les montants consignés de moins de 500 € ont quasiment disparu (7,2 % à 0,8 % des affaires avec un tel montant consigné) alors que les consignations supérieures à 10 000 € ont explosé (0,6 % à 10,6 % des affaires avec un tel montant consigné).

Toutefois, la hausse est particulièrement significative en matière contractuelle (le montant moyen étant supérieur à 8 000 €) ou encore dans la catégorie « biens, propriété littéraire et artistique » (montant moyen de 6 800 € environ), contrairement à la responsabilité (montant moyen de 2 300 € environ) ou au droit de la famille (montant moyen de 3 000 € environ), où l’évolution n’a pas été aussi importante.

Le rapport ne propose pas d’explication quant à cet accroissement du coût des expertises.

Évolution de l’attribution de l’aide juridictionnelle dans les affaires avec expertise

Le rapport constate que, dans les référés expertise, la présence de parties à l’aide juridictionnelle est relativement faible et constante (autour de 5 %). En revanche, dans les procédures au fond nécessitant une expertise, on retrouve une importante part de personnes bénéficiant de l’aide juridictionnelle (autour de 30 %).

L’explication est donnée par le rapport et est finalement assez simple. On trouve le plus souvent des personnes à l’aide juridictionnelle dans le cadre du contentieux familial. Or ce contentieux est générateur de nombreuses expertises, mais presque exclusivement dans le cadre d’une procédure au fond. C’est pour cette raison que le taux d’aide juridictionnelle est faible dans les référés expertise et élevé dans les procédures au fond avec expertise.

Évolution de la durée des expertises

Le rapport prend en compte, pour la durée de réalisation de l’expertise, l’écart entre la date de décision de désignation et la date de remise du rapport d’expertise. Cette durée est passée de 10,3 mois en 2011 à 15,4 mois pour les expertises rendues en 2017. Cette évolution s’explique principalement par la place grandissante des expertises de plus de 18 mois au détriment de celles de moins de 6 mois.

Naturellement, certains domaines sont particulièrement touchés par une durée élevée des expertises, notamment la matière contractuelle (plus de 20 mois) ou la catégorie « biens, propriété littéraire et artistique » (17 mois environ). À l’inverse, en droit de la famille, la durée des expertises a très légèrement baissé (moins de 10 mois).

Toutefois, le rapport constate également que cet accroissement de la durée des expertises ne concerne que celles ordonnées en référé (de 9,7 mois en 2011 à 17,1 mois en 2017), contrairement aux expertises ordonnées dans le cadre d’une procédure au fond (de 11,2 mois en 2011 à 11,3 mois en 2017). Le rapport l’explique par l’application de l’article 153 du code de procédure civile, qui conduit le juge à ordonner la mesure et indiquer la date à laquelle l’affaire sera rappelée pour un nouvel examen.

Encore une fois, le rapport ne propose pas d’explication quant à cet accroissement de la durée des expertises ordonnées en référé.

Impact des expertises sur les délais de traitement des affaires

Le rapport n’analyse l’impact de la durée des expertises que lorsqu’elle a été ordonnée dans une procédure au fond. On le rappelle, dans cette hypothèse la durée des expertises n’a pas varié. Pourtant, la durée de traitement des affaires au fond en cas de recours à une expertise a fortement augmenté (de 23,3 mois en 2010 à 35,8 mois en 2017), là où la durée des procédures n’a pas évolué en l’absence d’expertise (9,8 mois en 2010 à 9,4 mois en 2017). Cette augmentation concerne toutes les matières.

Sur ce point, le rapport constate que « l’augmentation de la durée globale de traitement des affaires avec expertise n’est donc pas imputable à la durée d’expertise en tant que telle mais semble refléter la nature de plus en plus contentieuse des affaires qui requièrent une expertise ». Autrement dit, l’accroissement des délais est lié à la période antérieure à la décision d’expertise et à la période postérieure à la restitution du rapport.

Les expertises devant les cours d’appel

Devant les cours d’appel, le nombre d’affaires dont le traitement a requis l’avis d’un expert a fortement diminué entre 2010 et 2016, avec une baisse de 26 % du nombre d’expertises et un taux de recours à l’expertise inférieur à 1 %. Le rapport constate donc que l’usage de l’expertise en marginal en appel.

Comme en première instance, la durée des procédures en présence d’une expertise est trois fois supérieure à celle sans expertise (38 mois avec expertise, 13 mois sans expertise).