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Le financement d’un téléphone mobile dans le cadre d’un abonnement, une opération de crédit

La qualification d’opération de crédit s’entendant, notamment, de toute facilité de paiement, s’analyse comme tel l’acquisition d’un téléphone mobile dans le cadre d’un forfait téléphonique, le remboursement du crédit s’opérant chaque mois, avec le paiement de l’abonnement dont le montant est majoré.

par Xavier Delpechle 28 mars 2018

Voici un arrêt important, en ce qu’il pourrait affecter le modèle économique des opérateurs de téléphonie mobile. Celui-ci, destiné à fidéliser la clientèle, est connu. Il fonctionne largement sur la formule de l’abonnement. Ces opérateurs subventionnent généralement l’acquisition de l’appareil utilisé dans le cadre de cet abonnement. Mais ce n’est pour une large part qu’une apparence car, en réalité, ils font supporter à l’abonné ce prix d’acquisition, puisqu’il est inclus dans le prix de l’abonnement que l’abonné s’acquitte chaque mois. Ce prix d’acquisition constitue, en effet, une fraction du prix d’abonnement que paye l’abonné pendant toute la durée de l’abonnement, fixée, selon les formules proposées par l’opérateur, à douze ou à vingt-quatre mois. Le prix de l’abonnement, ce n’est pas seulement la contrepartie de minutes de téléphone ou de gigaoctets utilisés pour accéder à internet.

Compte tenu du paiement fractionné dans le temps de l’acquisition de l’appareil, la Cour de cassation qualifie cette opération d’opération de crédit, contrairement à ce qu’avait admis la cour d’appel de Paris, dont elle casse l’arrêt. Pour la haute juridiction, « la qualification d’opération de crédit, laquelle s’entend, notamment, de toute facilité de paiement ». Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée par l’opérateur concurrent, « si le report du prix d’achat du mobile sur le prix de l’abonnement en cas d’acquisition d’un terminal mobile à un prix symbolique n’était pas établi par le fait que la majoration mensuelle du forfait imposée au consommateur était concomitante à la réduction substantielle du prix du mobile, qu’aucune autre explication rationnelle ne justifiait, ce dont il serait résulté que [l’opérateur de téléphonie mobile] s’assurait ainsi, en principe, du remboursement des sommes qu’[il] avait avancées au moment de la vente du terminal mobile en obtenant de ses clients la souscription d’un forfait majoré pour une durée de douze ou vingt-quatre mois, peu important l’aléa, théorique ou en tous cas limité, pouvant affecter le remboursement des sommes avancées ».

La Cour de cassation ajoute « qu’une opération de crédit n’est pas incompatible avec le transfert immédiat de la propriété du bien financé à l’emprunteur ». Il est vrai que l’abonné acquiert la propriété de l’appareil téléphonique au moment où il souscrit ou renouvelle son forfait téléphonique. On relèvera que certains opérateurs ont développé des formules de location des appareils téléphoniques. Elles n’emportent évidemment pas transfert de propriété et ce ne sont pas des opérations de crédit. Sauf si ce sont en réalité des opérations de location-vente (comme cela se pratique en matière automobile), conférant à l’abonné une option d’achat. Mais ce n’est pas le type d’opération qui est en cause dans l’affaire ici jugée.

Dès lors que le paiement échelonné de l’appareil téléphonique s’analyse en une opération de crédit, la logique voudrait que ce financement soit soumis à la réglementation relative au crédit à la consommation, en d’autres termes qu’elle relève des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation. La cour d’appel de Paris avait jugé l’inverse car, par exception, l’opération en cause doit être qualifiée de contrat de fourniture de services ou de bien à exécution successive de même nature, aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture. Or un tel contrat est, aux termes de l’article L. 311-1, 6°, du code de la consommation, expressément exclu du champ d’application de la réglementation relative au crédit. Là encore, l’analyse est invalidée par la Cour de cassation, qui considère que le mode de financement auquel l’opérateur téléphonique recourt s’analyse bien en un crédit à la consommation. Elle juge, en effet, que, « si sont exclues de la réglementation du crédit les opérations à exécution successive par lesquelles le consommateur règle de façon échelonnée un bien ou un service qui lui est fourni, et ce pendant toute la durée de la fourniture de ce bien ou de ce service, tel n’est pas le cas de l’hypothèse envisagée d’une opération consistant à livrer un produit dont le prix est payé par des versements échelonnés, intégrés chaque mois dans la redevance d’un abonnement souscrit pour un service associé ». Évidemment, cet arrêt du 8 mars 2018 ne sonne pas le glas de cette technique de financement d’appareil de téléphonie mobile mais il devrait la rendre plus complexe, plus formaliste. L’opérateur de téléphonie mobile devra, en particulier, respecter les règles de publicité et d’information imposées par la législation sur le crédit à la consommation et obligatoirement passer par l’entremise d’un établissement de crédit ou d’une société de financement, sous peine de violer le monopole bancaire. Nul doute que leurs services juridiques et leurs avocats ont immédiatement « planché » sur l’opportunité de recourir à des modes de financement alternatifs. Cette question mérite d’être suivie. Peut-être y aura-t-il un avant et un après 8 mars 2018 dans le secteur de la téléphonie mobile…