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Il était une fois l’impérativité des règles de compétence territoriale en matière prud’homale

Les parties ne peuvent écarter les règles de compétence territoriale des juridictions prud’homales au motif que la surcharge alléguée de la juridiction au moment de sa saisine les priverait de la possibilité d’obtenir une décision dans un délai raisonnable.

Faut-il forcer un plaideur à saisir une juridiction sinistrée ? Voici en peu de mots la question impossible posée à la Cour de cassation dans cette affaire.

Une personne se met au service de la société Carglass dont le siège social est sis à Courbevoie. La salariée exerce exclusivement ses fonctions au siège de l’entreprise, au sein duquel fut en outre signé le contrat de travail. Un jour, elle est licenciée pour faute simple, entraînant la saisine du juge du travail. C’est le Conseil de prud’hommes de Versailles qui est saisi alors même que Courbevoie dépend du Conseil de prud’hommes de Nanterre. Le premier se déclare incompétent au profit du second. Appel est relevé.

En cause d’appel, la demanderesse fait valoir un argument digne d’intérêt : le Conseil de prud’hommes de Nanterre est saturé ; ses délais de jugement sont anormalement longs ; c’est pourquoi elle s’est tournée d’emblée vers un autre juge du travail. Intéressant, l’argument ne fait pourtant pas mouche. Faisant application mécanique des règles du code du travail dont le caractère d’ordre public est rappelé, la cour d’appel retient que les fonctions étaient exclusivement exercées au siège de l’entreprise, l’engagement ayant de surcroît été contracté à cet endroit. Elle ajoute que le droit au procès équitable sécrété par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme ne permet pas d’écarter les dispositions d’ordre public du code du travail déterminant la compétence territoriale des juridictions prud’homales. L’incompétence territoriale du juge saisi est donc confirmée. Pourvoi est formé.

Sur le plan des principes, c’est un beau pourvoi qui est articulé. Le moyen de cassation tient en trois branches.

Les deux premières se touchent : la requérante considère, en substance, qu’en l’obligeant à saisir une juridiction sinistrée, la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article 6, § 1, de la Convention européenne et son droit à un procès équitable. Fondamentalement, la requérante estime que l’arrêt d’appel l’expose à un déni de justice. D’ailleurs, la requérante ne manque pas de rappeler qu’il incombe aux États adhérents à la Convention européenne de se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre d’être condamnée par celle-ci. Or, en l’occurrence, cette jurisprudence est nette : « les conflits du travail portant sur des points qui sont d’une importance capitale pour la situation professionnelle d’une personne, doivent être résolus avec une célérité particulière » (v. not., CEDH 8 juin 2004, X c/ France, n° 65766/01).

Du reste, la requérante place le système judiciaire face à ses propres contradictions en soulignant que la juridiction prud’homale de Nanterre a dépaysé dans d’autres conseils de prud’hommes du ressort de la Cour d’appel de Versailles « plusieurs dizaines de dossiers » afin de rétablir « une bonne administration de la justice du travail », ce qui montrerait bien que le caractère d’ordre public de l’article R. 1412-1 du code du travail n’est pas absolu et qu’il est permis d’y déroger en contemplation de considérations supérieures.

La question posée à la deuxième chambre civile est à la fois simple et complexe : un plaideur est-il tenu, en application de règles de compétence territoriale impératives, de saisir une juridiction sinistrée ? D’emblée, on perçoit le dilemme.

Si la deuxième chambre civile cède et neutralise l’impérativité des règles de compétence territoriale en matière prud’homale sur le fondement de la prohibition du déni de justice résultant de délais de jugement anormalement longs, c’est tout le système de répartition des règles de compétence territoriale qui risque d’être compromis à terme.

Au contraire, si la deuxième chambre civile refuse de céder et maintient l’impérativité des règles de compétence...

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