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Indemnités de licenciement : un conseil de prud’hommes s’affranchit du plafond

Pour le conseil de prud’hommes de Troyes, le barème prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail est contraire à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT ainsi qu’à l’article 24 de la Charte sociale européenne, et doit donc être écarté par le juge.

par Loïc Malfettesle 18 décembre 2018

La question du plafonnement et de la barémisation des indemnités prud’homales n’a cessé d’occuper le débat des réformes en droit social ces dernières années, dont la dernière incarnation instituée par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 constitue le point d’orgue. Se donnant pour ambition de « sécuriser » les relations de travail, le dispositif s’est aussi vu reprocher de brider la liberté d’appréciation du juge et d’interdire une indemnisation adéquate du préjudice subi par le salarié.

Pour autant, le Conseil constitutionnel avait pu valider l’instauration de ce barème en précisant que « le seul fait de prévoir un référentiel obligatoire pour l’indemnisation du préjudice résultant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non pour celle de préjudices résultant d’autres fautes civiles ne constitue pas, en soi, une atteinte au principe d’égalité devant la loi » (Cons. const. 7 sept. 2017, n° 2017-751 DC, consid. 37, Constitutions 2017. 401, chron. P. Bachschmidt ).

Restait à trancher la question de la conventionnalité du dispositif.

Sur cette question, un avis du Conseil d’État laissait présager une absence d’incompatibilité du barème tant vis-à-vis de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’organisation internationale du travail (OIT) que de l’article 24 de la Charte sociale européenne, ces dernières n’interdisant pas a priori de prévoir des plafonds d’indemnisation inférieurs à vingt-quatre mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il avait par ailleurs estimé que la légalité du barème n’était entachée d’aucun doute sérieux dès lors notamment qu’il n’était pas applicable dans plusieurs cas de nullité du licenciement (CE 7 déc. 2017, n° 415243, Dalloz actualité, 12 déc. 2017, obs. J. Cortot isset(node/188137) ? node/188137 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188137).

Au niveau du contentieux prud’homal, le conseil de prud’hommes du Mans avait quant à lui eu l’occasion de prendre position en rejetant le grief d’inconventionnalité fondé sur ces mêmes textes internationaux (Cons. prud’h. Le Mans, 26 sept. 2018, n° 17/00538).

C’est dans cette même perspective que s’inscrit la décision commentée, qui retient toutefois une solution diamétralement opposée.

Dans l’espèce, un salarié totalisant trois années d’ancienneté dans son entreprise avait, en date du 12 février 2018, saisi le conseil de prud’hommes de Troyes d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l’employeur destinée à produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il sollicita simultanément l’éviction du plafond d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail. Un licenciement pour motif économique lui a par la suite été notifié le 28 février 2018, sa demande de précision concernant le motif économique du 12 mars étant restée sans réponse. Pour lui, l’employeur a fait preuve de déloyauté contractuelle avec une mise au placard progressive à la suite de la cession de son entreprise, il invoque divers retards de paiement de salaire et de primes de treizième mois.

Cherchant à s’affranchir du plafonnement indemnitaire prévu par la loi française, l’intéressé invoque un grief d’inconventionnalité, en ce que celui-ci violerait l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, ainsi que le droit au procès équitable.

Aussi revendique-t-il le paiement d’une indemnité correspondant à neuf mois de salaire, là où l’application du code du travail ne lui aurait permis de prétendre qu’à une indemnité correspondant à quatre mois au plus à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les juges vont estimer que l’ensemble des faits (manquement dans le paiement des salaires, appauvrissement des missions confiées ainsi qu’une déloyauté contractuelle) justifie une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.

Ils vont par ailleurs reconnaître l’inconventionnalité du plafond fixé par l’article L. 1235-3 du code du travail et indemniser le salarié sans en tenir compte en fixant le montant de sa créance à titre de dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à neuf mois de salaire.

Les textes internationaux sur lesquels repose la déclaration d’inconventionnalité ne surprennent guère, puisqu’il s’agit d’abord de la bien connue Convention n° 158 de l’OIT et de son article 10 (soit le même fondement que celui qui avait été invoqué devant le conseil de prud’hommes du Mans ainsi que devant le Conseil d’État).

Dans la mesure où ses stipulations créent des droits au profit des particuliers, ces derniers peuvent s’en prévaloir directement devant les juridictions nationales dans des litiges les opposant à d’autres particuliers. Cet effet direct dit « horizontal » a été reconnu par la chambre sociale (v. not. Soc. 1er juill. 2008, n° 07-44.124, D. 2008. 1986 , obs. S. Maillard ; ibid. 2009. 191, obs. Centre de recherche en droit social de l’Institut d’études du travail de Lyon  ; Just. & cass. 2010. 345, étude Messad Baloul ; RDT 2008. 504, avis J. Duplat ), de sorte que son contenu peut être mobilisé par les justiciables pour écarter un texte législatif qui lui serait contraire.

C’est ici le défaut d’une indemnité « adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » (exigence quasi identique dans les deux conventions invoquées) qui a conduit les juges à constater l’inconventionnalité.

Cette décision mobilisant la Charte sociale européenne rappelle la décision de la Cour constitutionnelle italienne (arrêt n° 194 du 26 sept. 2018, v. RDT 2018. Contro. 802, à paraître, note C. Alessi et T. Sachs) ou encore la relativement récente condamnation par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) du dispositif de plafonnement des indemnités de licenciement injustifié finlandais. Le Comité a considéré que la loi finlandaise avait violé l’article 24 de la Charte sociale européenne (CSE) révisée (CEDS 8 sept. 2016, n° 106/2014, Finnish Society of Social Rights c. Finlande, v. sur ce point, J. Mouly, Le plafonnement des indemnités de licenciement injustifié devant le Comité européen des droits sociaux, Dr. soc. 2017. 745 ; C. Percher, Le plafonnement des indemnités de licenciement injustifié à l’aune de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, RDT 2017. 726 ). Selon le Comité, le dispositif qui prévoyait un plafond de vingt-quatre mois d’indemnisation ne respectait pas le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » prévu par la Charte. Était mise en avant l’instauration d’un plafond de nature à porter atteinte à la compensation du préjudice subi par le salarié et n’assurant qu’une faible dissuasion de l’employeur.

Les juges prud’homaux ont ici repris l’argumentaire déployé par le CEDS en invoquant l’impossibilité pour les juges d’apprécier  la réparation du préjudice subi de  « de manière juste ». Est également invoqué le caractère non « dissuasif » des barèmes qui les rend ainsi « inéquitables ».

Au-delà de cette justification en équité qui peut surprendre, la portée de cette décision est sujette à interrogation. Le conseil botte en effet en touche concernant la question de l’applicabilité directe de l’article 24 de la Charte sociale européenne sur lequel il entend se fonder (et le cas échéant de l’interprétation qu’en donne le CEDS). Or celle-ci n’a pour l’heure jamais été clairement établie par la Cour de cassation. Quant à la Convention n° 158, les précédents évoqués sur cette même question du plafond issu des ordonnances du 22 septembre 2017 évacuant l’idée de sa violation laissent également dubitatif sur le devenir de cette solution, dont on doit néanmoins reconnaître l’audace.