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L’avocat n’est pas le garant des espoirs déçus des plaideurs …

L’avocat qui a mis fin à sa mission avec l’accord de ses clients et les a informés des sanctions encourues en temps utile pour que leurs intérêts soient préservés, n’étant plus chargé de la défense de leurs intérêts, n’était pas tenu de déposer, même à titre conservatoire, un mémoire ampliatif à l’appui du pourvoi qu’il avait formé. 

par Gaëlle Deharole 6 avril 2018

La Cour de cassation l’avait déjà affirmé : la perte certaine d’une chance, même faible, est indemnisable (Civ. 1re, 20 déc. 2012, n° 12-30.107 et 16 janv. 2013, n° 12-14.439, D. 2013. 619, obs. I. Gallmeister , note M. Bacache ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 169, obs. T. Wickers ; D. avocats 2013. 196, note M. Mahy-Ma-Somga et J. Jeannin ; RTD civ. 2013. 380, obs. P. Jourdain ). Aussi, certains plaideurs ayant succombé lors de la procédure avaient imaginé trouver dans la responsabilité professionnelle de leur conseil la satisfaction qu’ils n’avaient pas obtenue sur le fond : mais l’avocat n’est pas le garant des espoirs déçus des plaideurs (Gaz. Pal. 12 févr. 2013, n° 43, obs. G. Deharo). La question a pourtant donné lieu à un abondant contentieux qui n’épargne pas les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

La responsabilité des avocats aux conseils est organisée par l’ordonnance du 10 septembre 1817, un règlement général de déontologie et par le décret n° 2002-76 du 11 janvier 2002, relatif à la discipline des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. L’article 1er de ce dernier texte dispose que « toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité ou à l’honneur, même se rapportant à des faits commis en dehors de l’exercice professionnel, expose l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou l’avocat associé auprès du Conseil d’État et de la Cour de cassation qui en est l’auteur à une sanction disciplinaire ». La procédure disciplinaire applicable dans une telle hypothèse est définie par les articles 4 et suivants du même décret et par l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817 (Dalloz actualité, 10 janv. 2018, obs. G. Deharo isset(node/188457) ? node/188457 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188457). C’est sur le fondement de cette dernière disposition que s’élève le contentieux en la matière.

En l’espèce, c’est à l’issue d’une procédure en inscription de faux à l’occasion de laquelle il avait succombé qu’un couple avait saisi un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation afin de se pourvoir en cassation contre la décision de la juridiction d’appel. Un pourvoi fut enregistré. Mais l’avocat aux conseils émit une consultation négative sur les chances du succès de l’argumentation développée. Il informa donc ses clients de la date d’expiration pour établir, déposer et signer un mémoire ampliatif en précisant qu’il n’entendait plus assurer la prise en charge de cette procédure et sollicitait de ses clients qu’ils lui indiquent le nom du confrère auquel il devait transmettre le dossier. Par un nouveau courrier, l’avocat avait rappelé à ses clients qu’il leur avait restitué le dossier et qu’il refusait de poursuivre la procédure. Il précisait encore le délai ultime pour déposer le mémoire ampliatif qu’il s’abstiendrait de déposer. Il concluait qu’en conséquence, si la procédure n’était pas reprise par un autre avocat, la déchéance du pourvoi interviendrait dès le lendemain.

Aucun mémoire contenant les moyens invoqués contre la décision attaquée n’ayant été produit dans le délai légal, la déchéance du pourvoi fut constatée par une ordonnance du délégué du premier président de la Cour de cassation.

Sur ce fondement, les clients saisirent le conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation d’une requête tendant à voir dire que l’avocat avait commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle. Plus spécialement, les demandeurs arguaient de ce que l’avocat leur aurait fait perdre une chance d’obtenir la cassation et sollicitaient sur ce fondement le paiement de diverses sommes. Ils invoquaient dans cette perspective l’obligation de l’avocat de ne pas laisser déchoir le pourvoi formé et, à défaut de successeur, de déposer au moins à titre conservatoire un mémoire ampliatif énonçant les moyens susceptibles de venir au soutien du pourvoi. Plus généralement, les demandeurs soutenaient l’obligation de faire toute diligence pour préserver les délais de procédure ; en conséquence, le fait pour un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de ne pas avoir déposé le mémoire ampliatif au soutien du pourvoi qu’il avait pour mandat de soutenir serait fautif, sans que la signification du refus de l’avocat à les assister soit exonératoire car le droit d’être représenté est absolu. Rejetant cette argumentation, le conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation avait estimé que la responsabilité civile professionnelle de l’avocat n’était pas engagée et la Cour de cassation fut saisie de l’affaire.

Classiquement, la jurisprudence considère que le préjudice dont le demandeur peut se prévaloir consiste dans la perte de chance réelle et sérieuse qu’il ait pu invoquer à l’appui de son pourvoi des moyens susceptibles d’entraîner la cassation (Soc. 7 mai 2002, n° 00-18.103, Dalloz actualité, 7 sept. 2017, art. A. Portmann ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers ), il s’agit, pour celui qui invoque la perte de chance, de démontrer les chances de succès du pourvoi (Civ. 1re, 9 juill. 2015, n° 14-50.072 ; 15 mai 2015, n° 14-50.058, Dalloz actualité, 3 juin 2015, art. A. Portmann ; Toulouse, 7 juin 2010, n° 09/02728). Aussi, si les chances de succès du pourvoi étaient nulles, les demandeurs ne peuvent engager la responsabilité de leur conseil sur le fondement de la perte d’une chance (Civ. 1re, 8 févr. 2017, n° 16-50.029 ; 30 nov. 2016, n° 16-50.005 ; 29 févr. 2000, n° 98-22.584 ; v. égal. Civ. 1re, 6 mai 2011, n° 10-30.922).

En conséquence, dès lors qu’en l’espèce, l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation avait émis une consultation négative sur les chances de succès du pourvoi envisagé et que ses confrères avaient également refusé de prendre en charge le dossier, la demande fondée sur la perte de chance n’avait que fort peu d’espoir de prospérer.

Procédant selon la méthodologie dégagée par la jurisprudence, la première chambre civile commence son analyse par l’examen de l’omission reprochée afin de voir si celle-ci était fautive au regard du droit positif en vigueur et permettait de caractériser la perte d’une chance.

Après avoir rappelé les différentes diligences de l’avocat, la Cour de cassation relève que l’avocat a mis fin à sa mission avec l’accord de ses clients et les a informés en temps utile pour que leurs intérêts soient préservés. La Cour de cassation souligne encore que l’avocat a avisé ses clients de la sanction encourue en cas de défaut de production d’un mémoire ampliatif. Toutefois, n’étant plus chargé de la défense de leurs intérêts, il n’était pas tenu de déposer, même à titre conservatoire, un mémoire ampliatif à l’appui du pourvoi qu’il avait formé. S’il incombait à l’avocat d’informer ses clients de la possibilité de saisir le président du conseil de l’ordre d’une demande de désignation d’un avocat au Conseil d’État et la Cour de cassation, ceux-ci ne sont pas fondés à invoquer un préjudice résultant du non-respect de son obligation dès lors qu’eux-mêmes avaient sollicité une telle désignation après le rejet de leur demande juridictionnelle et le refus de deux avocats de prendre leur dossier en charge.

Deux conclusions s’évincent de ces éléments :

• la première concerne l’étendue des obligations de l’avocat : l’avocat qui a mis fin à sa mission avec l’accord des clients n’est pas tenu de déposer un mémoire ampliatif, même à titre conservatoire.

• La seconde concerne l’appréciation de la perte de chance : en l’espèce, l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation avait agi conformément au droit positif. Aucun agissement fautif n’était retenu à son égard et l’argumentation n’avait aucune chance sérieuse de conduire à une décision satisfaisante. Il ne pouvait être soutenu que la responsabilité de l’avocat aux conseils était engagée.