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L’évolution de la pratique de l’avocat à l’aune de la justice climatique : défis et perspectives

Les dernières années ont été marquées par une explosion de contentieux liés à la justice climatique, notion plurielle qui traduit le traitement juridictionnel des enjeux liés au changement climatique. Parmi ces enjeux qui transcendent la nature juridique en incluant des questions de nature économique, philosophique ou encore morale, se recoupent de nombreux thèmes, tels que les droits des générations actuelles et futures (communément qualifiés de justice intergénérationnelle), la juste répartition des coûts de prévention et des coûts d’adaptation, ou encore les responsabilités communes, mais différenciées1. La justice climatique se décline à tous les niveaux, qu’ils soient interétatiques, internes contre les États ou contre les entreprises.

Cette matière pluridisciplinaire et évolutive, guidée par l’urgence d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, conduit les avocates et les avocats mobilisé.e.s sur ces sujets, à adapter leur pratique aux spécificités de ces nouvelles problématiques.

Les différents acteurs de la justice climatique

Les contentieux contre les États

Une première salve de contentieux a été déclenchée dès 2015 visant à faire reconnaître la responsabilité des États au regard des insuffisances, voire des carences dans la lutte contre le changement climatique. En Europe, c’est l’affaire dite « Urgenda 2 » qui a consacré la faisabilité d’une telle action et qui a inspiré d’autres contentieux dans divers ordres juridiques. Que ce soit au Brésil3 ou en Argentine4, en Allemagne5 ou au Pakistan6, les avocats de tous les barreaux sont désormais impliqués pour que les débiteurs des engagements climatiques s’acquittent de leurs obligations.

En France, deux procédures ont cristallisé l’attention de l’opinion publique, à savoir l’affaire dite Grande Synthe, et l’Affaire du siècle. Ces deux procédures, la première en excès de pouvoir et la seconde en plein contentieux, ont fait du juge administratif un acteur majeur de la lutte contre le changement climatique. Entre la reconnaissance du préjudice écologique du fait du manquement par l’État à ses objectifs climatiques7 ou la consécration du caractère contraignant des objectifs prévus à l’article 100-4 du code de l’Énergie, déclinés au sein des budgets carbone, ces décisions ont montré que le juge administratif était apte à contrôler l’effectivité de la politique climatique française.

Les contentieux contre les entreprises

La place prépondérante acquise par les acteurs privés dans le commerce mondial ainsi que la mise en lumière des conséquences parfois nuisibles de leurs activités sur l’environnement et les populations ont conduit à la multiplication des contentieux à leur encontre. La pierre angulaire de ce type de contentieux est l’obligation de vigilance sociale, sociétale (dont la protection des droits humains) et environnementale des entreprises.

L’affaire la plus emblématique est celle opposant l’ONG néerlandaise Milieudefensie à la société Royal Dutch Shell. Par une décision du 26 mai 20218, le Tribunal de La Haye a ordonné au groupe Shell de réduire ses émissions de gaz à effet de serre directs et indirects en lien avec la trajectoire 1,5° C. Ce jugement s’appliquera à toutes les filiales du groupe, y compris celles situées à l’étranger.

Dans la lignée des principes directeurs des Nations unies et ceux de l’OCDE sur la responsabilité des entreprises, la France a adopté le 27 mars 2017 une loi pionnière en matière de vigilance des entreprises. L’article L. 225-102-4 du code de commerce permet désormais d’attraire devant les juridictions les entreprises qui manqueraient à leur obligation de vigilance et de solliciter du juge du Tribunal judiciaire de Paris, ayant compétence exclusive pour connaître des actions sur le devoir de vigilance, d’une part, d’enjoindre à la société de mettre en œuvre ou de compléter le plan de vigilance jugé insuffisant et, d’autre part, de réparer sur la base de l’article 1252 du code civil les dommages susceptibles d’être causés du fait de ses activités dès lors que le lien de causalité est établi.

Les premières affaires sur lesquelles la juridiction parisienne a été amenée à se prononcer sur ce fondement concernent la société TotalEnergies SE. Par jugement rendu le 28 février 20239, opposant six ONG à TotalEnergies pour non-respect de son devoir de vigilance dans le cadre des méga projets Tilenga et East African CrudeOil Pipeline (Eacop), le tribunal a constaté l’irrecevabilité des demandes des plaignantes, le juge des référés estimant que les demandes et griefs des ONG avaient substantiellement évolué depuis l’envoi de la mise en demeure à la société en 2019, et qu’une nouvelle mise en demeure aurait dû inclure ces nouveaux griefs.

Le second contentieux a opposé plusieurs associations et communes contre cette même société et sur le même fondement, aux fins de lui faire publier un plan de vigilance identifiant concrètement les risques que fait peser son activité sur le climat. L’ordonnance de mise en état a conclu également à l’irrecevabilité de l’action au motif que la mise en demeure délivrée en 2019 ne constituait pas une interpellation suffisante au sens de l’article L. 225-102-4 du code de commerce.

Ces deux jugements ont apporté des éclaircissements bienvenus sur la phase de ce fameux dialogue préalable « entre parties », même si l’on peut regretter l’interprétation restrictive du juge dont on ne sait pas si elle véritablement conforme à l’esprit de la loi. La directive européenne sur le devoir de vigilance, qui fera l’objet durant ce second semestre d’ultimes négociations avec la Commission européenne et le Conseil, devrait permettre la mise en œuvre de procédures du même type sur le...

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