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L’insaisissable qualification des décisions du conseil de l’ordre

Les décisions du conseil de l’ordre relatives à la réinscription au barreau sont-elles de nature juridictionnelle ? C’est une réponse négative qu’apporte la Cour de cassation à cette interrogation, sans pour autant qualifier positivement la mesure.

par Jérémy Jourdan-Marquesle 6 mars 2018

Après avoir été omise, en 1994 et 2013, du tableau de l’ordre des avocats au barreau de Bayonne, la requérante a, en février 2015, sollicité sa réinscription. Par une délibération du 13 mai 2015, le conseil de l’ordre a rejeté cette demande. Une nouvelle demande d’inscription a été formulée en février 2016. Celle-ci a été déclarée irrecevable par délibération du 13 avril 2016, le conseil de l’ordre se prévalant de l’autorité de la chose jugée attachée à sa délibération du 13 mai 2015.

La décision du conseil de l’ordre a été déférée par la requérante à la cour d’appel de Pau sur le fondement de l’article 20 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. L’arrêt a écarté la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, déclarant recevable le recours de l’appelante contre la délibération du 13 avril 2016 et ordonnant sa réinscription au tableau.

Un pourvoi est formé par le conseil de l’ordre. Le premier moyen porte sur la recevabilité du recours, invoquant dans la première branche l’autorité de la chose jugée de sa décision du 13 mai 2015 et, à titre subsidiaire, l’autorité de la chose décidée de celle-ci. Le second moyen concerne une violation du principe de la contradiction, le conseil de l’ordre soutenant que les moyens retenus par la cour d’appel n’auraient pas été soutenus et débattus contradictoirement.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en trois temps. Premier temps, la décision du conseil de l’ordre qui refuse une réinscription au tableau ne constitue pas une décision juridictionnelle, de sorte qu’elle n’a pas l’autorité de la chose jugée. Deuxième temps, l’argument relatif à l’autorité de la chose décidée n’ayant pas été soutenu devant la cour d’appel, celui-ci est mélangé de fait et irrecevable en cassation. Troisième temps, s’agissant d’une procédure orale, les moyens retenus par la cour d’appel sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été soutenus et débattus contradictoirement.

La première branche du premier moyen conduit la Cour de cassation à exclure la qualification de décision juridictionnelle pour le refus de réinscription au tableau opposé par le conseil de l’ordre. La définition et la qualification d’acte juridictionnel font sans doute partie des questions les plus délicates de la procédure civile (C. Chainais, F. Ferrand, S. Guinchard, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, Dalloz, coll. « Précis », 2016, nos 1031 s.). Les définitions sont extrêmement diverses, sans qu’aucune parvienne à obtenir les suffrages de la jurisprudence et de la doctrine. En l’espèce, la diversité des missions du conseil de l’ordre accroît les difficultés de qualification, puisqu’il cumule tâches réglementaires, administratives, financières et disciplinaires (art. 17, L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ; Rép. pr. civ., Avocat, par J.-J. Taisne et M. Douchy-Oudot, nos 225 s.). Les mêmes interrogations se retrouvent d’ailleurs chez le bâtonnier, que la diversité des missions conduit parfois à exercer, parallèlement à ses autres fonctions, une activité juridictionnelle (v. not. J. Villacèque, La juridiction du bâtonnier : une charge publique à parachever, D. 1997. 305  ; R. Merle, « Le bâtonnier de l’ordre des avocats [une forme de présidence originale] », in Mélanges P. Hébraud, Université de sciences sociales de Toulouse, 1981, p. 557 ; A. Damien, « Une procédure originale de règlement des conflits de travail entre avocats. L’arbitrage du bâtonnier [art. 7 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1990] », in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ? Mélanges Roger Perrot, Dalloz, 1996, p. 63).

S’agissant de la décision du conseil de l’ordre, le refus de la Cour de cassation de retenir la qualification d’acte juridictionnel ne fait pas l’objet d’une motivation spécifique. Il ne fait aucun doute que cette décision n’est pas un jugement contentieux, le conseil de l’ordre ne tranchant pas une contestation. En revanche, on pourrait s’interroger sur une éventuelle qualification de jugement gracieux. Une doctrine énonce ainsi que « la juridiction gracieuse existe, elle est différente de la juridiction contentieuse que l’on rencontre le plus fréquemment, mais elle participe de l’acte juridictionnel » (C. Jarrosson, La notion d’arbitrage, préf. B. Oppetit, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1987, n° 135, p. 71 ; v. égal. F. Terré, « L’arbitrage, essence du juridique », in Autour de l’arbitrage. Liber Amicorum Claude Reymond, Litec, 2004, p. 309, spéc. p. 313). Toutefois, cette question est extrêmement controversée, l’unanimité étant loin d’exister autour de la participation de la fonction gracieuse à l’activité juridictionnelle (M.-A. Frison-Roche, « Les offices du juge », in Jean Foyer, auteur et législateur, PUF, 1997, p. 463, n° 7 ; R. Perrot, Institutions judiciaires, 14e éd., Domat Montchrestien, 2010, n° 599, p. 484 ; A. Pouille, Le pouvoir judiciaire et les tribunaux, Masson, 1985. 220 ; A. Seriaux, Le droit, une introduction, Ellipses, 1997, n° 177, p. 168 ; plus nuancé : D. d’Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, préf. G. Wiederkehr, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1994, p. 293, celui-ci parle d’un « acte hybride » ; adde M. Bandrac, « De l’acte juridictionnel, et de ceux des actes du juge qui ne le sont pas », in Le juge entre deux millénaires. Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, 2000, p. 171, nos 3 s.). Par ailleurs, une telle qualification n’aurait rien changé en l’espèce, la Cour de cassation refusant de longue date d’accorder l’autorité de la chose jugée à des décisions gracieuses (Civ. 25 oct. 1905, DP 1906. I. 337, note M. Planiol ; Civ. 1re, 6 avr. 1994, n° 92-15.170, Bull. civ. I, n° 141 ; D. 1994. 123 ; RTD civ. 1994. 563, obs. J. Hauser ).

Quoi qu’il en soit, il est vrai que la loi du 31 décembre 1971 laisse planer une ambiguïté sur la nature des décisions du conseil de l’ordre en énonçant en son article 20 que ces décisions sont « déférées à la cour d’appel » (v. égal. L. n° 71-1130, art. 15, 19, 22-1 et 24). Non seulement le champ lexical utilisé – le déféré – renvoie directement à la notion de voie de recours (comp. C. pr. civ., art. 916), mais la compétence de la cour d’appel pour connaître de ces décisions instille l’idée que le conseil de l’ordre est une juridiction de première instance. La Cour de cassation ajoute d’ailleurs sa part à la confusion en évoquant « l’effet dévolutif de l’appel ».

Néanmoins, un argument de texte semble exclure que le conseil de l’ordre puisse être qualifié de juge : le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat prévoit, en son article 16, alinéa 3, que, « sauf en matière disciplinaire, le conseil de l’ordre est partie à l’instance ». Or une telle qualité serait inenvisageable si le conseil de l’ordre était un juge, conformément à l’adage « nul ne peut être juge et partie » (en dernier lieu, v. Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-24.740, Dalloz actualité, 23 janv. 2018, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/188743) ? node/188743 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188743).

Mais alors, si la décision portant sur l’inscription au barreau n’est pas une décision juridictionnelle, quelle qualification retenir ? La Cour de cassation considère de longue date qu’il s’agit d’un acte administratif (Civ. 1re, 22 mars 1983, n° 82-11.758 ; 12 avr. 2005, n° 03-13.684, D. 2005. 1109 ; JCP 2005.1849, obs. L. Jean ; ibid. 2006. 81, obs. R. Martin). Cette qualification exclut que la décision puisse être revêtue de l’autorité de la chose jugée. En revanche, qu’en est-il de l’autorité de la chose décidée ? Si le moyen avait bien été soulevé par le demandeur au pourvoi, celui-ci est rejeté comme étant nouveau en cassation et mélangé de fait. Toutefois, la Cour de cassation a déjà implicitement jugé que les décisions du conseil de l’ordre pouvaient être revêtues d’une telle autorité (Civ. 1re, 28 sept. 2004, n° 02-10.997, D. 2004. 2761 ). En conséquence, une question se pose : une telle décision ne devrait-elle pas relever du juge administratif ?

Enfin, la Cour de cassation rejette le deuxième moyen du pourvoi, au motif que « s’agissant d’une procédure orale et l’arrêt ayant été rendu alors que les parties étaient présentes ou représentées à l’audience, les moyens retenus par la cour d’appel sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été soutenus et débattus contradictoirement ». La procédure devant la cour d’appel est soumise par l’article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat aux règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire (C. pr. civ., art. 931 s.). Elle est donc orale. La solution retenue, en matière de procédure orale, n’étonne pas véritablement (Civ. 2e, 6 mars 2003, n° 02-60.835, Bull. civ. II, n° 54 ; 21 févr. 2008, n° 06-22.185), bien qu’elle soit le plus souvent utilisée concernant la communication des pièces (Civ. 1re, 28 janv. 2003, n° 00-15.519, Bull. civ. I, n° 27 ; RTD com. 2003. 561, obs. B. Bouloc  ; C. Chainais, F. Ferrand, S. Guinchard, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, Dalloz, coll. « Précis », 2016, nos 849 et 865). Elle est toutefois critiquable en ce que la preuve contraire est éminemment difficile à rapporter pour la partie qui estime le principe de la contradiction violé.