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Loi Séparatisme : l’hécatombe des cavaliers

Au premier jour de l’étude en commission de la loi renforçant les principes républicains, l’opposition a contesté le nombre important d’amendements déclarés irrecevables, car sans lien avec le texte initial. Si cette censure des « cavaliers législatifs » n’est pas surprenante, elle montre que le contrôle est de plus en plus strict, ce qui limite le rôle des parlementaires à débattre sur des sujets majeurs.

par Pierre Januelle 20 janvier 2021

L’ouverture des débats sur la loi Séparatisme, lundi, a été marquée par de nombreuses prises de parole de députés contre ce contrôle des cavaliers. Hier, sur 1 732 amendements, 332 avaient été déclarés irrecevables. Mais pour de nombreux groupes, il s’agissait de leurs amendements les plus importants. Ainsi, les amendements d’Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau (LREM) sur les signes religieux ostentatoires des enfants ne seront pas débattus. Tout comme ceux des députés PS sur la mixité sociale ou du groupe LR sur le développement des enquêtes administratives. En conférence de presse, Jean-Luc Mélenchon a critiqué le durcissement de ce contrôle des cavaliers, œuvre d’un « comité occulte », « abus du gouvernement et de ses séides afin d’éliminer ici tout ce qui les dérange ».

Ne pas faire de nous « de mauvais législateurs »

Ce contrôle renforcé ne vient pas de nulle part. En 2019, à la suite de plusieurs censures importantes, l’Assemblée nationale avait décidé de mettre en place un contrôle préalable des cavaliers législatifs (v. Dalloz actualité, 27 nov. 2019, art. P. Januel). Malgré cela, lors de sa décision sur la loi ASAP fin 2020, le Conseil constitutionnel a encore censuré vingt-six articles. Le 14 décembre, Richard Ferrand a donc écrit (lettre jointe à cet article) à l’ensemble des groupes pour les avertir que l’Assemblée procéderait à un strict contrôle des cavaliers : « S’en affranchir reviendrait à nous exposer à des décisions d’inconstitutionnalité encore plus sévères et ferait de nous de mauvais législateurs. »

La première victime de ce durcissement fut le gouvernement : alors qu’Éric Dupond-Moretti souhaitait introduire le recours juridictionnel sur les conditions de détention dans la loi Parquet européen, l’amendement fut déclaré irrecevable. Mais si ce contrôle est effectué avec la même vigueur, quelle que soit l’origine de l’amendement, le gouvernement a la main sur le contenu initial des projets de loi. C’est donc d’abord l’initiative parlementaire qui souffre.

Le contrôle est effectué par les présidents de commission et les rapporteurs, avec l’appui des administrateurs parlementaires. Mais il pose deux difficultés : d’une part, la jurisprudence sur les cavaliers est très incertaine, et il arrive aux assemblées et au Conseil constitutionnel d’adopter des positions contradictoires. Les efforts de pédagogie initiés par le Conseil dans ses récentes décisions devraient permettre à la jurisprudence de se forger. D’autre part, contrairement au contrôle de la recevabilité financière effectué par le président de la commission des finances, qui est un membre de l’opposition, celui sur les cavaliers met en première ligne les présidents de commission. Comme membres de la majorité, ils sont bien plus souvent contestés.

Les raisons d’un contrôle renforcé

La lutte contre les cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel a été progressive. Dégagé en 1985, ce contrôle a été systématisé en 2006. En 2008, les députés avaient souhaité assouplir la jurisprudence en indiquant à l’article 45 la notion de « lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Ce faisant, loin d’assouplir le contrôle, ils ont alors inscrit le contrôle des cavaliers dans la Constitution. Quand, à partir de 2014, le Conseil a souhaité lutter contre des lois trop longues, trop bavardes et parfois incohérentes, il a alors trouvé dans cet article 45 une arme redoutable à défaut d’être efficace.

Car parallèlement, le nombre d’amendements déposés à l’Assemblée nationale et au Sénat a continué d’augmenter. Le non-cumul des mandats, la multiplication des groupes… les explications à cette explosion sont multiples. Surtout, les parlementaires ont été incapables de s’autoréguler et la durée des débats n’a cessé de s’allonger.

Interrogés hier, plusieurs parlementaires regrettaient que Richard Ferrand ait aussi facilement accepté le durcissement du contrôle. « Cela profite à la majorité, qui évite ainsi que les débats sur un projet de loi ne débordent », indiquait un député d’opposition. « Mais cela restreint encore notre rôle politique. »

 

Commentaires

Il est manifeste que le Parlement est incapable d'éviter les censures successives au titre des "cavaliers législatifs" (27 dans la loi ASAP, soit autant que dans la loi ELAN de 2018, et encore 7 dans la loi de finances pour 2021), alors que l'auteur souligne qu'il y a pourtant un contrôle préalable des amendements au niveau des commissions ! C'est une façon efficace de combattre la tendance aux lois "fourre-tout", et de se conformer à la judicieuse opinion de Montesquieu selon lequel les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. Mais le seul critère - assez flou - étant qu'il doit subsister un lien entre l'amendement et l'objet de la loi dans laquelle il s'insère, cette appréciation laissée au Conseil constitutionnel relève trop de l'arbitraire, et une clarification s'impose.

Je n'ai pas compris.

L'article ne me semble pas expliciter en quoi, précisément, ces amendements concernant les voiles des fillettes ou des femmes constituent des cavaliers législatifs. Ils me semblent, au contraire, rentrer pile poil dans l'esprit du texte.
La preuve, la couverture médiatique de ces premiers débats en commission retient ce fait, les masculinistes séparatistes nous servant de représentants sont encore en train de parler non stop du corps et des droits des femmes, bien aidés par l'apathie et la complicité des masculinistes islamophobes dans toutes les rédactions.

Sur quels arguments, l'amendement Bergé a-t-il donc été jugé irrecevable ?

Bonjour
Pour être recevable, un amendement ne doit pas avoir un lien avec l'esprit d'un texte, mais avec l'un de ces articles. En l'occurrence, aucun ne concernait le port des signes religieux dans le projet de loi déposé par le gouvernement.

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