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Même caractérisé, le harcèlement sexuel commis par un salarié de la finance ne prive pas celui-ci de sa rémunération variable différée

La répétition et la teneur à connotation sexuelle de messages adressés par le salarié à son assistante, à une salariée intérimaire et à une troisième salariée et la gêne occasionnée par la situation imposée par leur supérieur hiérarchique créant une situation intimidante ou offensante sont de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise au sens de l’article L. 1153-1 du code du travail.

Mais un tel comportement « ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d’honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque » au sens bancaire et financier ; la rémunération variable différée reste donc due.

Argent, pouvoir et sexe

Dans les secteurs bancaire, financier et assurantiel, une partie de la rémunération des salariés, preneurs de risques, est variable en raison de la nature des opérations réalisées. Cette rémunération variable du salarié se décompose en plusieurs parties dont le paiement est différé sur trois années par tiers, ou quatre années par quart, imposant la réunion de conditions de performance et de présence à la date d’acquisition.

La condition de performance, légitime en elle-même, est susceptible d’inciter les salariés à prendre des risques. C’est la raison pour laquelle, au niveau européen et national, des gardes fous ont été prévus condamnant toute prise de risques excessive susceptible de générer des pertes significatives ou de caractériser un manquement aux règles professionnelles. Un établissement bancaire ou financier est même en droit de réduire le montant de la rémunération ou en solliciter la restitution. C’est une exception au principe général du droit prohibant les sanctions pécuniaires ainsi qu’au principe selon lequel la responsabilité pécuniaire du salarié ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde.

Dans les faits, on constate que la charge de travail des preneurs de risques, notamment lorsqu’ils ont des postes d’encadrement, peut faire tourner la tête, le cœur et les yeux, les amenant parfois à adopter des comportements inappropriés aboutissant à un harcèlement moral ou sexuel. Dans ce monde, se mêlent l’argent, le pouvoir et… le sexe. L’illustrent certains films hollywoodiens ; ici, c’est un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 13 mars 2024 qui en expose la scène.

Un salarié est devenu chargé de mission dans le département Global Market Division (GMD), avec un statut cadre niveau hors classe, dans un établissement bancaire et financier. À la suite d’une expatriation, il a exercé la fonction de responsable GMD Asie. Il a été licencié le 15 novembre 2017 pour faute grave en raison de faits de harcèlement sexuel. Quelques mois plus tard, il a saisi la juridiction prud’homale afin de contester le bien-fondé de son licenciement et de demander le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire ou salariale dont des rappels de rémunération différée.

En appel, la société a été condamnée, d’une part, au versement des rémunérations différées des sommes au titre des années 2017, 2016, 2015 et 2014 ainsi que, d’autre part, à verser des sommes au titre de la mise à pied conservatoire, de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité conventionnelle de licenciement au motif que le harcèlement sexuel n’était pas constitué et que le licenciement, s’il repose sur une cause réelle et sérieuse, n’est pas justifié par une faute grave.

Dans son pourvoi, l’employeur a contesté ces deux points. La Cour a rejeté le moyen relatif à la rémunération différée, mais a accueilli celui concernant la caractérisation du harcèlement sexuel.

Les deux questions sont liées. D’abord, est-ce que la faculté de réduction ou de restitution de la rémunération à l’endroit de salariés d’un établissement de crédit et financier ayant commis des manquements à l’honorabilité et à la compétence nécessaires en matière de risques peut s’appliquer lorsque sont constatés des comportements de harcèlement sexuel ? Ensuite, est-ce que des courriels adressés à des subordonnées aux fins d’obtenir une rencontre ou de les féliciter, à connotation sexuelle, intimidants mais sans être humiliants et insistants, caractérisent-ils un harcèlement sexuel ?

À la première question, la Cour de cassation répond que le comportement allégué « ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d’honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque » au sens bancaire et financier ; la rémunération variable différée était donc due.

À la seconde question, la Cour estime que la cour d’appel avait relevé, d’une part, « la teneur à connotation sexuelle des messages adressés par le salarié à son assistante, à une salariée intérimaire et à une troisième salariée » et, d’autre part, « la gêne occasionnée par la situation imposée par leur supérieur hiérarchique », « ce dont elle aurait dû déduire que de tels propos ou comportements à connotation sexuelle répétés créant une situation intimidante ou offensante étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise », au sens de l’article L. 1153-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021.

Réduction ou restitution des rémunérations variables dans le secteur bancaire et financier : seules les prises de risques excessives le justifient

Exception au principe de l’immunité pécuniaire du salarié fautif…

Comme le rappelle la Cour de cassation, aux termes de l’alinéa 1er de l’article L. 511-84 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, issu de la transposition de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, « le montant total de la rémunération variable peut, en tout ou partie, être réduit ou donner lieu à restitution lorsque la personne concernée a méconnu les règles édictées par l’établissement en matière de prise de risque, notamment en raison de sa responsabilité dans des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l’établissement ou en cas de manquement aux obligations d’honorabilité et de compétence ». Le texte d’alors ne précisait pas son articulation avec l’article L. 1331-2 du code du travail selon lequel « les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites ».

La Cour d’appel de Versailles avait précisé que « la décision de ne pas attribuer une rémunération supplémentaire à un salarié en considération de son comportement estimé non satisfaisant du point de vue qualitatif ne constitue pas une sanction pécuniaire, qui serait prohibée, et ne caractérise pas une rupture d’égalité entre les salariés, étant justifiée par des faits objectifs » (Versailles, 6 juill. 2022, n° 20/01052). La nouvelle version de l’article L. 511-84 du code monétaire et financier à compter du 25 mai 2019 précise que cette faculté s’exerce « par dérogation à l’article L. 1331-2 du code du travail ».

Pour les entreprises d’investissement, une règle identique a été adoptée par l’ordonnance n° 2021-796 du 23 juin 2021 à l’article L. 533-30-13 du code monétaire et financier.

Pour les entreprises d’assurance, si l’article 275 du règlement délégué (UE) 2015/35, du 10 octobre 2014, impose une politique de rémunération « saine et efficace des risques », il n’est pas institué de faculté similaire de réduction ou de restitution de la rémunération variable des preneurs de risques. Ce n’est qu’en cas de défaillance d’une entreprise d’assurance que, lors d’une procédure de résolution, « les éléments de rémunération variables […] peuvent être réduits ou annulés » (C. assur., art. L. 311-16,...

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