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Motivation de la prolongation de la détention provisoire et présomption d’innocence : quelles conséquences ?

Il appartient aux juridictions d’instruction, pour motiver concrètement la nécessité de la détention et l’insuffisance d’autres mesures de sûreté, de se référer aux indices, éléments de preuve et faits constants relevés dans la procédure à l’égard de la personne concernée, sans contrevenir au principe de la présomption d’innocence. 

par Dorothée Goetzle 10 janvier 2019

Faustin Hélie écrivait : « La détention préalable inflige un mal réel, une véritable souffrance, à un homme qui non seulement n’est pas réputé coupable mais qui peut être innocent, et le frappe, sans qu’une réparation ultérieure soit possible, dans sa réputation, dans ses moyens d’existence, dans sa personne » (F. Hélie, Traité d’instruction criminelle, t. IV, n° 194-8). Toutefois, la difficulté est que la détention provisoire est parfois indispensable, par exemple pour empêcher que le mis en examen prenne la fuite, pour assurer sa comparution devant une juridiction, ou pour éviter qu’il ne réitère des faits graves. L’article 137 du code de procédure pénale rappelle cette relation complexe entre présomption d’innocence et détention provisoire en soulignant que toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre.

L’intérêt de l’arrêt rapporté est double : d’abord, il permet de démêler les liens troubles pouvant exister entre la détention provisoire et la présomption d’innocence, ensuite, il apporte d’utiles précisions en matière de motivation de la prolongation de la détention provisoire.

En l’espèce, un individu était mis en examen des chefs de tentative de meurtre, tentative d’évasion aggravée et infraction à la législation sur les armes. Il était placé en détention provisoire le 13 janvier 2017. Par ordonnance du 25 juin 2018, le juge des libertés et de la détention ordonnait la prolongation de cette mesure privative de liberté. Le mis en examen relevait sans succès appel de cette décision puisque la chambre de l’instruction confirmait l’ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire. Dans ce contexte, il formait un pourvoi en cassation. Il reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir méconnu le principe de la présomption d’innocence en s’étant positionnée sur la prolongation de sa détention en tenant pour acquise sa culpabilité au sujet de l’infraction de tentative d’évasion.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Dans un arrêt particulièrement pédagogique, les Hauts magistrats rappellent que le requérant, alors qu’il était incarcéré pour une autre cause, avait bénéficié de l’intervention de son épouse à la sortie d’un service hospitalier afin d’asperger de gaz les fonctionnaires de l’escorte. Il s’était fait remettre une arme qu’il avait utilisée en tirant dans sa fuite en direction d’un aide-soignant qui tentait de le rattraper. Il est important de préciser que le mis en examen et son épouse reconnaissaient avoir organisé cette évasion.

En outre, il n’avait pas échappé à la chambre de l’instruction que le mis en examen, qui ne disposait d’aucun domicile en France et qui avait été en mesure d’organiser son évasion, n’offrait aucune garantie de représentation. Enfin, le risque de réitération d’infractions violentes ne pouvait pas, selon les juges du fond, être exclu compte tenu de la détermination du mis en examen dans l’organisation de son évasion.

Ces considérations de droit et de fait avaient permis à la chambre de l’instruction d’estimer que la poursuite de la détention provisoire était indispensable. Cette juridiction avait pris le soin de préciser qu’une mesure de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique ne pouvait garantir la représentation en justice du mis en examen qui avait organisé son évasion du centre pénitentiaire.

La chambre criminelle approuve cette motivation. Premièrement, confirmant une jurisprudence bien connue, elle considère que la chambre de l’instruction s’est déterminée par des considérations de droit et de fait, notamment, au regard de l’insuffisance des obligations du contrôle judiciaire et de l’assignation à résidence avec surveillance électronique, répondant aux exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale (Crim. 29 févr. 2012, n° 11-88.441 P, Dalloz actualité, 19 mars 2012, obs. M. Léna , note E. Senna ; RSC 2012. 879, obs. X. Salvat ; 3 sept. 2003, n° 03-83.068 P, D. 2003. 2547, et les obs. ; JCP 2003. IV. 2802. V. égal. Crim. 1er févr. 2005, n° 04-86.768 P, D. 2005. 795 ; JCP 2005. IV. 1642 ; 6 mai 2002, n° 02-81.391 P ; 26 mars 2003, n° 03-80.144 P, JCP 2003. IV. 2018).

Deuxièmement, elle précise que c’est à bon droit que les juges du fond se sont référés aux indices, éléments de preuve et faits constants relevés dans la procédure, sans contrevenir au principe de la présomption d’innocence.

Logique tant sur le plan du raisonnement juridique que par rapport à ses implications pratiques, le rejet du pourvoi doit être approuvé. En effet, bien souvent, avant d’être placée en détention provisoire, l’intéressé est d’abord entendu par des enquêteurs sous le régime de la garde à vue. Or, le placement en garde à vue suppose déjà de s’appuyer sur « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction » (C. pr. pén., art. 63, 77 et 154). Ensuite, la mise en examen de cette personne suppose qu’il existe à son encontre des « indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle a pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il [le juge d’instruction] est saisi » (C. pr. pén., art. 80-1). Enfin, le juge d’instruction ne peut renvoyer une personne mise en examen devant une juridiction de jugement que s’il existe contre elle des « charges constitutives d’infraction » (C. pr. pén., art. 176).

Dès lors, le juge des libertés et de la détention, lorsqu’il se prononce sur la prolongation d’une détention provisoire, doit pouvoir se référer aux indices, éléments de preuve et faits constants relevés dans la procédure à l’égard de la personne concernée, sans contrevenir au principe de la présomption d’innocence (C. Guéry, détention provisoire et culpabilité, D. 2006. 1556 ).