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Procédure de pénalité financière et recours gracieux : respect du contradictoire et des droits de la défense

Le respect du contradictoire et des droits de la défense n’est pas seulement attendu lors des procédures contentieuses. Avec cet arrêt du 29 novembre 2018, la Cour de cassation vient marquer sa vigilance pour les faire respecter dans le cadre qui lui était posé d’un recours gracieux dans une procédure dite de pénalité financière.

par Erick Tamionle 18 décembre 2018

Cet arrêt de la deuxième chambre civile a pour origine la décision d’un directeur d’une caisse d’allocations familiales (CAF) prononçant dans le cadre d’un recours gracieux une pénalité financière à l’égard d’une allocataire, sur le fondement des dispositions de l’article L. 114-17 du code de la sécurité sociale, et que la juridiction de premier degré a confirmée en écartant le moyen de forme tiré de l’omission de la communication à la requérante de l’avis de la commission (des pénalités) adressé au directeur de la caisse. La Cour de cassation en a décidé autrement en considérant qu’une formalité substantielle n’avait pas été respectée.

À titre liminaire, pour mieux comprendre cet arrêt de cassation, rendu sur le moyen unique (seconde branche) de la violation de l’article L. 114-17 I, alinéa 6, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1906 et de l’article R. 114-11 du même code, il est important de rappeler ce qu’est la procédure de pénalité financière. Tout d’abord, cette procédure ne doit pas être confondue avec l’action en restitution de l’indu permise à tous les organismes sociaux sur le fondement des articles 1302 à 1302-3 du code civil. La procédure de pénalité, pouvant se cumuler avec la demande en restitution de l’indu (v. en ce sens Civ. 2e, 12 juill. 2018, n° 17-16.539, Dalloz jurisprudence), repose sur des textes spécifiques auxquels seulement certains organismes sociaux peuvent recourir, permettant ainsi le prononcé d’une pénalité financière, laquelle s’apparente à une sanction administrative. L’origine de cette procédure remonte à la politique de lutte contre la fraude qui est véritablement apparue au milieu des années 2000. Ajoutons que, si cette politique peut avoir pour perspective de limiter le recours à l’action publique pénale, le droit pénal de la sécurité sociale subsiste. Il a d’ailleurs bénéficié en 2013 de nouveaux textes (v. C. pén., art. 313-2 et 441-6) et les organismes sociaux ont une obligation de déposer plainte dans certains cas (CSS, art. L. 114-9, al. 4).

La procédure de pénalité de l’article L. 114-17 permet au directeur de l’organisme social chargé de la gestion des prestations familiales ou des prestations d’assurance vieillesse (principalement les CAF, CARSAT et MSA) de prononcer une pénalité dans de nombreuses situations énumérées (1° à 5° de l’art. L. 114-17 I dans sa rédaction actuelle), dont la qualification pour certaines peut s’avérer délicate (v. en ce sens le Rapport du Défenseur des droits sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales de septembre 2017). Ajoutons que le montant de la pénalité est apprécié en fonction de la gravité des faits, dans la limite de deux fois le plafond mensuel de la sécurité sociale, lequel est doublé en cas de récidive et avec un minimum (1/30 du plafond mensuel) lorsque l’intention de frauder est établie (le plafond mensuel est de 3 311 € en 2018).

Avant d’envisager la contestation de la décision devant le juge (le tribunal des affaires de sécurité sociale [TASS] puis le tribunal de grande instance [TGI] à partir du 1er janvier 2019), la personne concernée peut former un recours gracieux auprès de l’autorité qui l’a rendue, dans le délai d’un mois à compter de la réception de la notification de la décision fixant la pénalité, laquelle autorité se prononcera à nouveau après avis d’une commission composée et constituée au sein du conseil d’administration de l’organisme social. Selon l’article L. 114-17 du code de la sécurité sociale, cette commission doit apprécier la responsabilité de la personne dans la réalisation des faits reprochés et, si elle l’estime établie, proposer le prononcé d’une pénalité dont elle évalue le montant. En ce qui concerne l’avis de la commission, la loi précise qu’il « […] est adressé simultanément au directeur de l’organisme et à l’intéressé ».

C’est sur cette dernière prescription de procédure que repose l’attendu de principe de l’arrêt du 29 novembre 2018, lequel énonce que la communication de l’avis est destinée « à assurer le caractère contradictoire de la procédure ainsi que la sauvegarde des droits de la défense » et qu’elle « constitue une formalité substantielle dont dépend la validité de la pénalité prononcée par le directeur de l’organisme, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice », ce qui aurait dû conduire le premier juge dans sa décision à tirer les conséquences légales du constat de l’absence de communication de l’avis à l’intéressée.

En n’exigeant pas la preuve d’un préjudice en cas d’inobservation d’une formalité substantielle pour considérer que la décision prononçant la pénalité devait être annulée, comme peut le prévoir l’article 114 du code de procédure civile auquel le juge du fond s’était référé, la Cour de cassation reprend sa jurisprudence écartant l’exigence d’un grief (ou préjudice) dès lors que l’intervention de l’organisme social correspond à l’exercice d’une véritable prérogative de puissance publique, comme c’était le cas en l’espèce, s’agissant de la pénalité décidée par le directeur d’un organisme social. Le parallèle pouvant être fait avec la procédure de contrôle et de redressement de l’URSSAF comme a pu l’indiquer le rapporteur de l’arrêt.

On retiendra de cet arrêt son exigence dans le respect de la procédure prévue, pouvant apparaître d’autant plus forte que la décision contestée intervenait au stade du recours gracieux et que l’avis de la commission qui aurait dû être communiqué à la personne ne liait pas le directeur de l’organisme social. La portée de l’arrêt devrait excéder la procédure de pénalité des organismes chargés de la gestion des prestations familiales ou d’assurance vieillesse pour s’étendre aux organismes locaux d’assurance maladie, dont les directeurs disposent d’un pouvoir de sanction comparable avec une commission des pénalités rendant un avis, qui doit aussi être communiqué simultanément au directeur de l’organisme et à l’intéressé, même si, dans la procédure en question, l’avis intervient au stade de la décision initiale fixant la pénalité (v. CSS, art. L. 114-17-1).

Ainsi donc, cette jurisprudence participe au renforcement des droits de la défense dans un domaine où l’autorité compétente de l’organisme social concerné dispose d’un pouvoir de sanction financière avec des marges d’appréciation importantes sur la matérialité, la qualification et la gravité des faits reprochés, d’où la nécessité que le caractère contradictoire de la procédure puisse être assuré, comme a pu le souligner la Cour de cassation, même s’il appartient au juge du contentieux général de la sécurité sociale (à condition qu’il soit saisi) de vérifier la matérialité, la qualification et la gravité des faits, ainsi que l’adéquation du montant de la pénalité à l’importance de l’infraction (v. Civ. 2e, 15 févr. 2018, n° 17-12.966, RDSS 2018. 371, obs. T. Tauran ).