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Procès Benalla : « Des faits dont aucun n’est vraiment grave »

Après les réquisitions de la veille, conclues essentiellement par deux à dix-huit mois de sursis simple, les six avocats des quatre co-prévenus se sont succédé au micro pour passer en revue, outre un certain nombre d’éléments de contexte, une interminable liste de préventions. Concluant ainsi trois semaines de procès, dont le délibéré sera rendu le 5 novembre prochain.

par Antoine Blochle 4 octobre 2021

« Ce procès est un peu luxueux », entame un avocat de la défense, déplorant ces « douze jours d’audience, dans un agenda correctionnel surchargé, pour parler de faits dont, il faut bien le dire, aucun n’est vraiment grave ». Douze jours d’audience qui se termineront donc par sept heures de plaidoirie de la défense. Avec, outre des raisonnements juridiques, beaucoup de contexte, surtout concernant Benalla, dépeint par son avocate comme « l’homme à abattre, la proie idéale pour une opposition déboussolée, qui avaient enfin trouvé une victime expiatoire ». « Le jour où il a échoué à mon cabinet », explique-t-elle par exemple, « il était perdu, dans un grand désordre personnel, professionnel, financier et familial. […] Il a été pris dans une broyeuse dont il a eu du mal à sortir. […] Il n’avait pas une volonté d’exister, des ors de la République, [mais] une volonté de servir la France ». Du contexte, certes, mais surtout un cumul de pas moins de vingt-cinq préventions à examiner.

Sur les armes

La première série de qualifications est relative aux armes (de catégorie B). Alexandre Benalla est prévenu d’avoir détenu et porté un Glock lors de la campagne présidentielle de 2017. Crase, quant à lui, est renvoyé pour avoir porté un Sig Sauer au cours de la manifestation du 1er mai 2018. « C’est une infraction établie et reconnue », entame le conseil du second, même si c’était tardivement : « Quand on est en garde à vue, bien sûr qu’on essaie désespérément de sauver les meubles, […] avec des espoirs chimériques ». Au procureur, qui la veille avait indiqué que « lorsqu’on porte une arme, c’est qu’on a vocation à s’en servir », il réplique que « le 1er mai, cette arme n’a jamais été exhibée à quiconque ni utilisée ». Au même, selon lequel le fait pour Crase de porter une arme était « une seconde nature », il rétorque que « tous les hommes, et peut-être même certaines femmes, rêvent à un moment donné […] qu’une situation [par exemple terroriste] les mette en position d’être des héros. […] Moi, j’aime les hommes qui rêvent ». D’autant, ajoute-t-il, que son client est « formé depuis plusieurs années, rigoureux, consciencieux, maître de l’arme dont il a été doté […] sans jamais avoir manqué à ses obligations ». Bref, pour sanctionner cette « parenthèse de quelques minutes [dans] un parcours exemplaire et de qualité », il verrait bien la peine complémentaire obligatoire, à savoir une interdiction de porter une arme (quinze ans requis, le maximum encouru) faire office de peine principale. Du côté d’Alexandre Benalla, on maintient pour plaider la relaxe que l’arme visible sur un selfie était factice : « Toutes les personnes qui étaient présentes ce jour-là, sans aucune exception, sont venues déclarer qu’elles ne l’avaient jamais vu [pendant la présidentielle] porteur d’une arme ».

Sur l’immixtion

Il leur est également reproché de s’être immiscés dans l’exercice d’une fonction publique, en premier lieu en contribuant à quatre interpellations, d’abord dans le Jardin des Plantes, puis sur la Place de la Contrescarpe. Leurs avocats insistent sur les tout derniers mots de l’article 433-12 du code pénal : « en accomplissant l’un des actes réservés au titulaire de cette fonction ». Ils l’articulent avec une autre disposition dont il fut longuement question au cours des deux dernières semaines : l’article 73 du code de procédure pénale, duquel il ressort que, certes sous conditions (à commencer par la flagrance), « toute personne a qualité » pour procéder à une interpellation. « Ce n’est donc pas un acte réservé », affirme l’avocat de Crase : « Pour moi, c’est une compétence partagée », pour peu que « l’usage de la force [soit] nécessaire et proportionné ». Il conteste la lecture du parquet, pour qui « une interpellation ne pourrait avoir lieu que quand c’est nécessaire », autrement dit à la condition qu’il n’y ait pas de « vrais policiers » à proximité : « Ce n’est pas un critère posé par la loi ou la jurisprudence ».

Sur le maintien de l’ordre

Toujours est-il que cette même infraction d’immixtion est également reprochée à Benalla et Crase pour, dixit l’ordonnance de renvoi, avoir « participé activement à une opération de maintien de l’ordre », sans d’ailleurs que l’on comprenne bien s’il est question du Jardin des Plantes, de la Place de la Contrescarpe, ou des deux. Oui mais voilà, le maintien de l’ordre, « c’est une notion vague », plaide la défense Crase, non sans rappeler que le tribunal a dû interroger les témoins, et même les prévenus, pour tenter d’en déterminer le périmètre. Il est notamment reproché aux deux hommes d’avoir demandé à des manifestants, devenus entretemps partie civile, de changer de direction, ou d’avoir empêché des badauds de se rapprocher du lieu d’une interpellation, portant ainsi atteinte à leur liberté d’aller et venir. « Ce sont [juste] des citoyens investis, qui ont compris un ordre donné par une autorité légitime et le relaient », plaide l’avocat de Vincent Crase. Dans le même ordre d’idée, sa consœur représentant Benalla cite un récent préfet de police qui, « à la veille d’une manifestation, a appelé les manifestants à aider les forces de l’ordre ». Le premier maintient que, pour faire respecter le huis-clos d’une chambre de l’instruction en l’absence d’huissier, les avocats peuvent empêcher les quidams d’entrer, sans pour autant s’immiscer dans le pouvoir de police de l’audience de la présidence : « Que vous me disiez “mais restez assis, on n’a pas besoin de vous”, pourquoi pas. Mais que vous me disiez que c’est pénal, non ». Enfin, en réponse au parquet, qui avait semblé considérer deux courses-poursuites, dans le Jardin des Plantes puis sur la Place de la Contrescarpe, comme des opérations de maintien de l’ordre, la défense soutient, histoire de boucler la boucle, qu’il s’agissait en fait d’une phase des interpellations.

Sur les violences volontaires

On en vient aux violences volontaires, parfois en réunion, parfois avec ITT (de moins de 8 jours), possiblement exercées sur pas moins de cinq parties civiles. L’avocat de Crase commence par ironiser sur ces manifestants si « délicats » : « Nous sommes certains ici [à avoir] un âge qui nous a permis de connaître les barricades et de forcer des barrages de police. […] Quand on participe à une manifestation, on est la pour militer, et j’adore cela, mais on peut s’attendre à ce que les yeux piquent un petit peu ». S’agissant de l’une des parties civiles, il soutient que l’attitude de son client « est un geste nécessaire et proportionné ». À une autre, il rappelle ses déclarations sur PV : « C’est le seul qui ne m’a pas violenté ». D’une troisième, il déplore « le caractère évolutif des accusations ». Il confronte enfin les déclarations d’une quatrième à celles d’un témoin, pour démontrer qu’elles impliqueraient que son client se soit trouvé à deux endroits en même temps. Et de conclure sur Crase, « cet homme au parcours sain et construit, fier […] de servir petitement, mais de servir ». Même logique du côté de Benalla, où l’on plaide en outre sur la nécessité et la proportionnalité : « Il n’y a aucune violence, en tout cas aucune violence volontaire », soutient même son avocate. Elle en veut pour preuve le fait que personne n’ait cru bon, au mois de mai 2018, de procéder à un signalement au titre de l’article 40 : « C’est bien qu’ils ne voyaient pas dans cette scène […] d’intervention illégitime ».

Sur les images de vidéoprotection

Ce volet concerne surtout deux policiers, alors en poste à la « PP » : le commissaire Maxence Creusat et le contrôleur général Laurent Simonin. Il leur est reproché d’avoir fait accéder des personnes non-habilitées à des images du plan zonal de vidéoprotection (PZVP), d’avoir détourné celles-ci de leur finalité, et d’avoir violé le secret professionnel. La défense soutient au passage la violation du principe non bis in idem, que le parquet avait tenté de désamorcer par avance, la veille. Une avocate du commissaire plaide que « personne n’a contesté la matérialité [de ces infractions], mais l’intention coupable, je ne vois pas comment vous pourriez la motiver ». Puis glisse progressivement vers son second moyen de défense : « Il a la conviction de n’avoir commis aucune infraction, […] ce qui fonde également la légalité apparente de l’ordre de son supérieur », lequel n’est autre que le contrôleur général. Selon elle, l’action de son client « s’inscrit indubitablement dans le cadre d’une pratique qui a cours dans la police nationale », et n’est donc « ni isolée, ni suspecte ». « Dire qu’il ne pouvait pas ignorer que, [c’est] très commode, [mais] c’est l’argument de ceux qui n’en ont pas », poursuit-elle. Du contre-argument soulevé la veille par le parquet, celui de l’ordre manifestement illégal, elle retient donc surtout l’adverbe : « Il n’a pas été mis là pour faire beau, mais parce qu’il a un sens, [qui est] de façon évidente ». Imitant l’accent béarnais de l’un de ses confrères en défense, elle le cite : « La connerie n’est pas toujours pénale ». Et de conclure que son client « ne sera pas le fusible que d’aucuns en leur temps ont voulu faire de lui dans ce dossier ». Le second avocat du même commissaire déplore lui aussi qu’il fasse office de lampiste : « On sait maintenant que toute la préfecture de police, et même tout le ministère de l’Intérieur a partagé des informations protégées avec Alexandre Benalla. […] Et je ne suis pas sûr que [les images de] PZVP soient les plus graves ». Avant de souligner que son client « a déjà été beaucoup sanctionné », et que « quand on est fonctionnaire de police, une condamnation, même symbolique, c’est infâmant ».

« Ce n’est pas parce qu’on assume tout qu’on doit assumer ce qui n’a pas existé », enchaîne l’avocat du contrôleur général. Rappelant qu’un témoin avait dit de son client qu’il avait « manqué de sens politique », il précise que ce n’est pas peu dire, « quand on voit la défection de l’ensemble de sa hiérarchie ». Il souligne que Laurent Simonin, lorsqu’il a parlé d’images montrant des jets de projectiles de la part des manifestants en amont de l’intervention d’Alexandre Benalla, a toujours évoqué des « caméras de police », au pluriel, alors qu’il n’y avait ce jour-là qu’une seule caméra fonctionnelle de PZVP sur la Place de la Contrescarpe. Il en déduit que « d’autres vidéos ont peut-être été détruites, peut-être au terme du délai légal [de trente jours], et on ne saura jamais si elles montraient des jets de projectiles ou pas ». En outre, il conteste que la vidéo en question montre réellement ces projectiles : « Tout ce que ces images montrent, c’est qu’elles sont issues du PZVP, une diffusion volontaire était [dès lors] totalement suicidaire ». Alexandre Benalla étant également prévenu de recel dans ce volet, son avocate retourne un argument de l’accusation en soutenant que son client « a d’autant moins de raisons de penser que cette vidéo est issue du PZVP qu’en réalité, ces images n’auraient [plus] dû exister » lorsqu’elles ont circulé, deux mois et demi après la manifestation : « Il connaît la réglementation sur les délais de conservation, et il sait très bien que les images, au bout de trente jours, elles sont détruites ». Bref, selon elle, « il n’a pas du tout conscience d’être dans l’illégalité ».

Sur les passeports

Sont également reprochées à Alexandre Benalla d’autres infractions : l’usage sans droit (car postérieurement à son licenciement) de passeports diplomatiques, et le faux (et usage) en écriture privée, dans le cadre de l’obtention d’un passeport « de service ». Son avocate expédie la première en paraphrasant le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian : « C’est un titre qui ne donne aucun droit, [et] qui est distribué à des personnes les plus diverses, parfois par courtoisie ». Sur la seconde, elle maintient que la transmission au ministère de l’Intérieur, par Benalla, d’une attestation portant le nom de son supérieur et de la mention « original signé » ne peut en aucun cas constituer « un faux matériel, parce qu’il n’y a pas de contrefaçon de signature ». « Pour commettre un faux », poursuit-elle, « il faut avoir la volonté de le commettre ». Or, « ces faits, ils sont un peu brouillons, à l’image d’Alexandre Benalla. […] Il n’est pas dans la rigueur, c’est clair et net, et [cette] demande a pu donner une image suspecte », concède la même. « Mais on a essayé de construire un personnage », concut-elle : « Je ne dis pas qu’il n’avait pas une forme de jeunesse et de fougue. […]. Il n’était peut-être pas rigoureux. Mais un faussaire, jamais ».

De contexte, il est de nouveau question lors du « dernier mot » d’Alexandre Benalla. « J’ai trois choses à vous dire », lance-t-il : « Un aveu, […] des regrets […] et des excuses ». L’aveu consiste à saisir la perche tendue deux semaines plus tôt par la présidente, sur le téléphone prétendument égaré dont il s’était pourtant servi immédiatement en sortant garde à vue : « Oui, j’ai menti », confesse-t-il, « parce qu’il y avait sans doute des échanges [dont] on ne voulait pas qu’ils puissent se retrouver dans la presse ». Les regrets, pour leur part, concernent ses co-prévenus, et le fait « de ne pas avoir réussi à protéger l’institution que je servais, l’Élysée, […] et la trentaine de personnes qui se sont échouées dans le naufrage Benalla ». Enfin, les excuses s’adressent à « l’institution judiciaire, si […] mon comportement a pu paraître comme un manque de respect ».

Dans l’après-midi, une rumeur fort peu crédible avait parcouru la salle d’audience, et notamment les bancs de la presse : celle d’un délibéré rendu le soir même. Bien évidemment, à 21 heures passées, il a en fait été annoncé pour le vendredi 5 novembre 2021, à 14 heures.