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Procès de Jérôme Cahuzac : « On a cru que je dansais sur le cadavre d’un homme »

Deuxième jour d’audience pour le procès de Jérôme Cahuzac qui comparaît devant la cour d’appel de Paris pour fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et minoration de déclaration de patrimoine lors de son arrivée au gouvernement. Condamné à trois ans ferme en première instance, il risque sept ans de prison.

par Marine Babonneaule 13 février 2018

S’il devait y avoir un mystère dans l’affaire Cahuzac, ce serait celui qui plane autour de l’ouverture du premier compte en Suisse en 1992. Lors du procès de 2016, l’ex-ministre du budget avait déclaré, à la surprise générale, que les fonds étaient destinés au financement – occulte – du parti politique de Michel Rocard. Ce dernier n’était plus là pour dire la vérité. La 32e chambre avait d’ailleurs estimé, dans son jugement du 8 décembre 2016, qu’elle ne disposait d’aucun élément « tangible » pour infirmer ou confirmer les propos du prévenu. Après tout, pourquoi pas, c’était une pratique « courante » à l’époque (v. not. Dalloz actualité, 9. déc 2016, art. M. Babonneau isset(node/182182) ? node/182182 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>182182). « On a cru que je dansais sur le cadavre d’un homme », a hier lancé Jérôme Cahuzac à la cour.

Alors, le président Dominique Pauthe a interrogé le prévenu sur la provenance de ces fonds. Lorsque Michel Rocard est débarqué de son poste de premier ministre en mai 1991, Jérôme Cahuzac doit quitter lui aussi le ministère des affaires sociales et de la solidarité. « Très vite, Rocard et ses proches collaborateurs s’installent dans des bureaux rue de Varenne […] Il m’est demandé comment aider au fonctionnement de la structure. Comment ? En allant voir les laboratoires pharmaceutiques. Ils savent très bien que j’ai eu des contacts très nombreux [lorsqu’il était au ministère dirigé par Claude Evin, ndlr]. Dans le cadre des lois existantes, je leur demande d’aider, ce qu’ils font […] en signant des chèques à l’ordre de l’association des amis de Michel Rocard […] J’ai fait ça pendant deux ans. Encore une fois, c’était parfaitement légal », raconte Jérôme Cahuzac qui ne dira, en revanche, pas un mot sur les donneurs d’ordre. Pour la défense, c’est clair, son client n’est pas « le concepteur » initial de la fraude

Des dons légaux mais plafonnés, donc insuffisants. « Certains membres de l’entourage Rocard » vont demander au chirurgien de faire plus. « Je comprends qu’ils veulent autre chose, ils veulent des avoirs dans le cadre du financement parallèle d’un parti. J’accepte. Après avoir hésité – c’était compliqué de demander des conseils – je finis par demander à quelqu’un de m’aider […] » Le compte UBS est ouvert en novembre 1992 en Suisse au nom de son ami Philippe Peninque. Des fonds y seront versés jusqu’en 1993 selon un mode opératoire que l’ancien médecin « ignore ». « Je suppose d’un compte de Peninque d’où ces sommes étaient initialement versées ? », s’interroge-t-il. Mais tout cela n’est pas de « la fraude », c’est illégal, théorise le prévenu qui reconnaît bien volontiers que c’était « une décision catastrophique d’accepter de faire ça ».

– Avez-vous expliqué à Philippe Peninque d’où venaient cet argent [les laboratoires pharmaceutiques, ndlr] ?, demande le président.

– La provenance, il s’en doutait. La finalité, je ne lui ai jamais dit.

– Et lors de l’enquête ?

– J’ai délibérément décidé de ne pas évoquer le financement politique […] le scandale était déjà considérable.

Puis tout va s’arrêter. Les élections européennes de 1994 auront la peau de Michel Rocard. « Chacun comprend que son destin politique est fortement compromis. Si tous le comprennent, tous ne réagissent pas de la même manière. Certains partent, d’autres restent », cingle Jérôme Cahuzac.

– Après la défaite de Michel Rocard, il n’est plus question de récolter des fonds, poursuit le magistrat. Mais les fonds restent et sont transférés sur un nouveau compte, cette fois-ci à votre nom. Que vouliez-vous en faire ?

– À l’époque, rien […] Le rôle de Michel Rocard devient nul, inexistant […] Je ne sais pas quoi faire. Par ailleurs, je suis pris dans un calendrier électoral personnel. Ces fonds, je ne sais pas comment vous dire, je ne sais pas quoi en faire […] Je ne vais pas aller proposer ces fonds à un autre […] Je demande à l’un de ceux de l’entourage, "cet argent, j’en fais quoi ?". "Tu bouges pas, on va te dire", me dit-on. On ne m’a jamais dit.

– Qu’est-ce qui va déterminer le transfert en 1993 ?, insister le président Pauthe.

– Je préfère que ces sommes soient à mon seul nom, le plus discrètement possible.

– Pourquoi votre femme a-t-elle une procuration sur ce compte ?

– En 1992, nous sommes une famille unie, j’ai une totale confiance en ma femme. Je lui dis "Cet argent ne nous appartient pas, nous n’y toucherons jamais". Elle me demande de façon plutôt directe s’il provient de financement politique, je lui réponds directement "oui".

« Je suis dans un déni dans lequel je m’enfonce »

Ce compte va désormais servir de réceptacle à ses revenus non déclarés de chirurgien capillaire international. Mais parce que sa carrière politique va également prendre un envol prodigieux, il cherchera toujours plus « de discrétion » et de « confidentialité » dans la gestion de ses avoirs. Et puis, les règles du secret bancaire suisse changent en 2010, il n’est « pas prudent » de conserver un compte là-bas. Singapour sera la dernière destination bancaire, au travers de sociétés panaméenne et seychelloise. Pas question donc de rapatrier l’argent. « À cette époque, dans ma famille politique, gagner beaucoup d’argent n’était pas forcément perçu comme une qualité mais comme une tare », estime-t-il.

– Il y a bien un moment où on bascule du côté de la fraude, vous basculez à deux, avec votre femme, poursuit le président de la cour d’appel.

– J’ai eu le temps de penser aux circonstances dans lesquelles les choses étaient faites. Pour moi, il n’y a pas eu un jour "je suis honnête", un jour "je suis malhonnête". C’est beaucoup plus insidieux. C’était plutôt “j’arrêterai l’année suivante“. Et puis, on s’habitue, c’est une fuite en avant, l’anesthésie est le terme juste, qui finit en catastrophe. Il a fallu une certaine surprise, l’électrochoc de mon élection en 2010 comme président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Jusque-là, j’étais certes parlementaire mais nous étions 577. Ce n’est pas une excuse…

L’avocat général s’interroge également sur le « paradoxe » affiché de Cahuzac. « Comment comprendre ce paradoxe qui consiste à se dire "embêté" d’avoir un compte mais sans arrêter de frauder ? ». Embêté, il l’est un peu Jérôme Cahuzac. « Le mot est faible. On m’a dit que les comptes bancaires laissent des traces indélébiles. J’en fais quoi de cet argent ? La chose qui peut paraître évidente aujourd’hui ne l’était pas. […] Je suis dans un déni dans lequel je m’enfonce, qui a culminé à des sommets inimaginables en 2012, qui me permet de me dire ce que j’ai à faire et non pas ce que j’ai fait. C’est très dur de trouver la réponse. Je ne voulais pas penser à ce que j’avais fait, ça ne me plaisait pas, mais à ce que j’avais à faire ».

Le mystère n’est pas résolu. Aujourd’hui, c’est la personnalité de Jérôme Cahuzac qui sera examinée. Le moment est très attendu : la défense appelle l’expert psychiatre auprès des tribunaux Daniel Zagury à la barre.