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Profits subsistants liés à l’acquisition et à l’amélioration d’un même bien : évaluations distinctes

Lorsqu’un bien a été acquis puis amélioré et que chacune de ces opérations a fait naître une créance entre époux, les profits subsistants doivent être déterminés distinctement. La créance liée à l’acquisition se détermine d’après la valeur du bien au jour de la liquidation selon son état au jour de l’acquisition. Celle liée à l’amélioration se calcule d’après la différence entre la valeur du bien amélioré au jour de la liquidation et celle qui aurait été la sienne sans les travaux.

Les calculs de profits subsistants obéissent à une logique mathématique autant qu’à des prescriptions juridiques. Un bon juriste n’étant pas nécessairement matheux, il arrive que la pratique s’écarte du bon sens arithmétique tout en se croyant respectueuse des textes. En pareil cas, la Cour de cassation veille à préserver les orthodoxies mathématiques et juridiques.

En l’espèce, à la suite de leur divorce, deux époux séparés de biens se trouvaient en litige quant à la liquidation d’une créance conjugale. L’épouse avait contribué à financer l’acquisition et l’amélioration d’un bien personnel de l’époux : le paiement des échéances des emprunts avait été réalisé en piochant dans le compte joint du couple. Le premier emprunt avait uniquement servi à payer l’acquisition de la maison tandis que le solde du second emprunt avait été employé à la réalisation de travaux d’amélioration.

La cour d’appel Riom avait, dans un arrêt du 12 mai 2020, retenu une approche très simpliste consistant à considérer que l’épouse ne détenait qu’une seule créance, dont le calcul devait tenir compte de sa participation tant à l’acquisition qu’à l’amélioration du bien. La formule utilisée par les juges du fond était manifestement erronée : (total des versements / valeur actuelle de la maison avant travaux) x valeur de la maison après travaux.

Si l’épouse ne s’était pas pourvue en cassation, il aurait été indispensable qu’un pourvoi soit formé dans l’intérêt de la loi tant il est évident que la logique juridique avait été malmenée par la cour d’appel. La cassation était inévitable. Elle est ici prononcée pour violation des articles 1543, 1479, alinéa 2 et 1469, alinéa 3, du code civil, au visa desquelles la décision est rendue.

La Cour de cassation prend soin de structurer son arrêt en deux parties, en réponse au moyen lui-même divisé en deux branches. Il faut y voir l’expression formelle de l’enseignement substantiel de l’arrêt : il est nécessaire de distinguer la question de l’acquisition de celle de l’amélioration. Pour être tout à fait exact, la demanderesse au pourvoi disposait non-pas d’une seule créance mais de deux : l’une en raison de sa participation à l’acquisition du bien de son époux ; l’autre liée à sa contribution aux travaux d’amélioration du même bien. Or, les bases de calcul des deux créances étant différentes, il n’était pas possible de retenir une approche globale, même s’agissant d’un bien unique.

La Cour de cassation commence par rappeler les règles d’arbitrage en matière de créances entre époux. Il résulte du double renvoi légal (l’article 1543 du code civil renvoie à l’article 1479 qui lui-même renvoie au seul alinéa 3 de l’article 1469) qu’en matière de créances entre époux, le principe issu du droit commun (le nominalisme monétaire) est tempérée par une exception de droit spécial (la dette de valeur). Le montant de la créance est donc en principe celui de la dépense faite, mais s’il s’agit d’une dépense d’acquisition, d’amélioration ou de conservation, la créance ne peut être inférieure au profit subsistant. Ainsi, lorsque les fonds d’un époux séparé de biens ont servi à « acquérir » (§5) ou à « améliorer » (§9) un bien personnel de l’autre, « sa créance contre ce dernier ne peut être moindre que le profit subsistant ni moindre que le montant nominal de la dépense faite » (§§ 5 et 9). Cette précision apportée, il convient d’envisager distinctement le cas de l’acquisition et celui de l’amélioration, comme le rappelle à deux reprises la Cour de cassation (§§ 7 et 11).

En matière d’acquisition, le profit subsistant « se détermine d’après la proportion dans laquelle les fonds empruntés au patrimoine de l’époux appauvri ont contribué au financement de l’acquisition du bien personnel de son conjoint » (§ 5). En l’espèce, la créance devait donc « être évaluée distinctement de celle réclamée au titre des dépenses d’amélioration » et son calcul s’effectuer « en établissant la proportion de [la] contribution au paiement du coût global de l’acquisition puis en l’appliquant à la valeur du bien au jour de la liquidation de la créance selon son état lors de l’acquisition ». La formule mathématique est donc la suivante : (dépense faite pour l’acquisition / coût global de l’acquisition) x valeur du bien au jour de la liquidation selon son état lors de l’acquisition.

En matière d’amélioration, la base de calcul du profit subsistant est la plus-value que l’amélioration a procuré au bien. Celle-ci se détermine toujours par soustraction (jamais par un produit en croix contrairement à une erreur encore trop répandue). Il faut d’abord chiffrer la valeur effective (réelle) du bien au jour de la liquidation, puis déterminer une valeur fictive : celle qu’aurait eu le bien, à la même date, si aucune amélioration n’avait été réalisée. C’est en soustrayant la valeur fictive de la valeur effective que s’obtient la plus-value, qui représente la partie de la valeur totale du bien liée aux opérations d’amélioration. Sur cette base, il convient d’appliquer la proportion de contribution du créancier dans le coût des travaux. La Cour de cassation ne dit pas autre chose : « la créance réclamée (…) au titre des dépenses d’amélioration du bien (…) devait être évaluée distinctement de celle réclamée au titre des dépenses d’acquisition, le calcul du profit subsistant s’effectuant en établissant la proportion de sa contribution au paiement des travaux puis en l’appliquant à la différence existant entre la valeur au jour de la liquidation du bien amélioré et celle qui aurait été la sienne sans les travaux ». La formule est la suivante : (dépense faite pour l’amélioration / coût total des travaux) x (valeur effective du bien au jour de la liquidation - valeur fictive du bien au jour de la liquidation sans les travaux)

Cette solution de bonne orthodoxie juridique et mathématique est transposable en tous points en matière de récompenses puisque le calcul du profit subsistant obéit aux mêmes règles. Elle s’applique en outre quelle que soit la configuration. Même si l’époux créancier ne contribue qu’à l’acquisition et non aux améliorations postérieures, le profit subsistant doit être calculé d’après la valeur du bien sans les travaux.

Un exemple simple permet d’éclairer la logique ici applicable. Soient A et B mariés sous le régime de la séparation de biens. A acquiert en 2010 un bien pour un coût total de 100 000 €, financé par B à hauteur de 25 000 € (1/4, donc). Si, au jour de la liquidation en 2022, le bien non amélioré vaut 120 000 €, le profit subsistant correspond au quart de cette valeur, soit 30 000 €.

Imaginons cependant qu’entre l’acquisition et la liquidation de la créance, le bien ait été amélioré, en 2013, au moyen de travaux chiffrés à 10 000 €, financés pour moitié par chacun des époux (5 000 €). Prenons pour hypothèse que les améliorations ainsi réalisées ont généré une plus-value de 30 000 €, ce qui signifie que la valeur effective du bien au jour de la liquidation est de 150 000 €.

À en croire la cour d’appel de Riom, une seule formule mathématique suffirait à calculer l’unique créance due à B : (total des versements / valeur actuelle de la maison avant travaux) x valeur de la maison après travaux ; soit : (25 000 + 5 000) / 120 000 x 150 000 = 37 500 €.

En réalité, il convient de calculer deux créances, selon deux rapports de proportions et deux bases de réévaluation distinctes.

Pour l’acquisition, comme indiqué précédemment : (dépense faite pour l’acquisition / coût total de l’acquisition) x valeur actuelle du bien au jour de la liquidation dans son état au jour de l’acquisition ; soit (25 000 / 100 000) x 120 000 = 30 000 €.

Pour l’amélioration : (dépense faite pour l’amélioration / coût total des travaux) x plus-value générée par les travaux ; soit  (5 000 / 10 000) x (150 000 – 120 000) = ½ x 30 000 = 15 000 €.

L’addition des deux créances donne : 30 000 + 15 000 = 45 000 € et non 37 500 €.

Autrement présenté :

Date Opération Pour A Pour B Total
2010 Acquisition 75 000 € 25 000 € 100 000 €
2013 Amélioration 5 000 € 5 000 € 10 000 €
2022

Liquidation

des créances

Acquisition Pas de créance

(25 000 / 100 000) x 120 000

= 1/4 x 120 000

= 30 000 €

120 000 €
Amélioration Pas de créance

(5 000 / 10 000) x (150 000 – 120 000)

= ½ x 30 000

= 15 000 €
 

30 000 €
Total Pas de créance 45 000 € 150 000 €

On le voit, la cour d’appel a commis plusieurs erreurs. La première est d’avoir considéré qu’il n’existait qu’une créance alors qu’il y en avait deux. La deuxième est d’avoir appliqué les mêmes rapports de proportion alors qu’ils n’étaient pas identiques : dans notre exemple, la contribution au financement de l’acquisition est d’1/4 et celle de l’amélioration est d’1/2. La troisième erreur est d’avoir appliqué une base de réévaluation unique alors qu’il aurait fallu appliquer chaque rapport de proportion sur l’assiette idoine : la valeur « acquisition » (120 000 € dans notre exemple) et la valeur « amélioration » (30 000 € dans notre exemple). Notons en outre une quatrième erreur : la cour d’appel avait déterminé le rapport de proportion en partie au jour des versements (pour le numérateur : « total des versements ») et en partie au jour de la liquidation (pour le dénominateur : « valeur actuelle de la maison avant travaux »). Bien au contraire, un rapport de proportion se détermine toujours à la date de la dépense faite puisqu’un profit subsistant n’est autre qu’une réévaluation de cette dépense à une date ultérieure.

Les erreurs commises par la cour d’appel sont d’autant plus surprenantes que la Cour de cassation avait déjà précisé qu’un profit subsistant résultant d’une acquisition se calcule d’après la valeur du bien déduction faite de la plus-value générée par l’amélioration postérieure (Civ. 1re, 5 nov. 2008, n° 07-14.379, AJ fam. 2009. 38, obs. P. Hilt  ; RTD civ. 2009. 164, obs. B. Vareille ). Cette méthode est d’ailleurs enseignée dans la plupart des encyclopédies et manuels consacrés au droit des régimes matrimoniaux (v. par ex., B. Vareille, Rép. civ., Communauté légale : liquidation et partage, nos 364 s. ; M. Grimaldi (dir.), Droit patrimonial de la famille 2022/2023, 7e éd., Dalloz Action, n° 144.82 ; N. Peterka et Q. Guiguet-Schielé, Régimes matrimoniaux, 6e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2020, n° 578, p. 364).

Même s’il n’énnonce pas une solution nouvelle, l’arrêt rendu ce 22 juin 2022 fera date car il réaffirme la règle en lui accordant, cette fois, les honneurs d’une large publication : il faut au moins cela pour limiter les risques d’erreurs. Mieux informée de la solution, la pratique notariale et judiciaire devra rapidement s’en saisir et la mettre en œuvre. Il est encore trop fréquent que les liquidateurs appliquent directement la proportion de contribution du créancier à l’acquisition sur la valeur totale du bien, y compris donc pour la partie de sa valeur liée à l’amélioration. Il est vrai que cette méthode a pour elle un argument : il ne peut y avoir d’amélioration sans acquisition, de sorte que celui qui finance l’acquisition devrait légitimement pouvoir prétendre à une partie de l’amélioration qu’il a rendu possible, même s’il n’y a pas contribué. Il s’agirait en somme d’amender la logique arithmétique au moyen d’un correctif d’équité. Il n’est pas certain qu’il s’agisse de la meilleure option. En effet, comment expliquer à celui qui a financé la totalité des travaux d’amélioration qu’il n’aura droit qu’à une partie de la plus-value ? Comment déterminer mathématiquement le coefficient d’équité ? Le mélange des notions est risqué : mieux vaut conserver une étanchéité de principe entre les opérations d’acquisition et d’amélioration. La morale est claire : il faut distinguer là où le bon sens distingue.