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Article
Projet de loi antipiratage : focus sur le blocage de sites notamment sportifs
Projet de loi antipiratage : focus sur le blocage de sites notamment sportifs
Le 20 mai 2021, le Sénat a examiné en séance publique le projet de loi visant à réguler et à protéger l’accès du public aux œuvres culturelles à l’ère numérique – dit « projet de loi antipiratage ». Le présent article a pour objet de présenter le volet consacré aux mesures de blocage des sites manifestement contrefaisants.
par Anne Marie Pecoraro, avocat associée UGGC Avocatsle 28 mai 2021
Le 5 mai 2021, lors de l’examen du projet de loi antipiratage en commission, son rapporteur, le sénateur Jean-Raymond Huguonet avait commencé par citer les vers de Jean de La Fontaine, immortalisant la fable de la Montagne qui accouche d’une souris si les principales mesures n’étaient pas confirmées.
Le sénateur évoquait par là la concision du texte (21 articles) examiné – comparé au texte réformant l’audiovisuel initialement porté par Franck Riester, alors ministre de la Culture.
Le projet de loi a donc été amendé en commission et présenté dans une version plus musclée pour être discuté en séance publique, même sur la question de la mise en œuvre de mesures de blocage de sites massivement contrefaisants (i) notamment sportifs (ii) les modifications ont été minimes (sur le projet de loi initial, v. Dalloz actualité, 27 avr. 2021, obs. N. Maximin).
À titre liminaire, il convient de rappeler que les textes applicables en droit français en matière de blocage de sites résultent pour l’essentiel de la transposition de l’article 8.3 de la directive européenne du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Cette directive a été transposée dans deux articles de la loi pour la confiance dans l’économie numérique dite « LCEN » (L. n° 2004-575, 21 juin 2004, art. 6-I, 8 et 8), dont l’un a été modifié par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet pour devenir l’actuel article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle.
À notre connaissance, l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle a été utilisé systématiquement comme fondement pour demander aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) de bloquer l’accès à des sites internet massivement contrefaisants de droits d’auteur et droits voisins et à demander à des moteurs de recherche de déréférencer lesdits sites.
Depuis 2010, la jurisprudence s’est donc construite sur le fondement de cet article et a progressivement posé les bases d’une réponse efficace en matière de lutte contre les sites massivement contrefaisants généralement opérés et hébergés depuis l’étranger.
Ce dispositif n’est toutefois pas parvenu à se parer contre la réapparition de sites contrefaisants – normalement bloqués – sous de nouveaux noms de domaine, les « sites miroirs ». Or, en pratique, il est lourd et coûteux pour les titulaires de droits de revenir devant le juge chaque fois qu’un nouveau nom de domaine est créé pour l’inclure dans une ordonnance de blocage.
Dispositions en vigueur relatives à la lutte contre le piratage et leur évolution projetée
De ce constat, diverses pistes – ayant pour facteur commun de permettre au juge l’actualisation des décisions de justice – ont été envisagées parmi lesquelles la consécration des injonctions dynamiques et l’introduction d’une procédure particulière pour demander au juge l’actualisation des décisions.
Dans le projet de loi initial, l’éventualité d’une consécration des injonctions dynamiques en droit français avait été écartée avant de revenir lors des débats en commission.
Un amendement de commission, notamment porté par la sénatrice Catherine Morin-Desailly et le sénateur Claude Kern, allait en effet dans le sens de la consécration des injonctions dynamiques, d’ailleurs similaire à celui de la sénatrice Laure Darcos. Comme les ayants droit et praticiens l’appellent de leurs vœux, il est censé permettre au tribunal judiciaire de prévoir – « dès sa décision initiale » – une extension de l’effet de la décision en cas de continuation de la contrefaçon, par un même service autrement accessible ou autrement localisé. Dans un tel cas – et c’est nouveau –, le périmètre de sa décision pourra être étendu à l’ensemble des autres accès à ce même service continuant la contrefaçon, y compris les « sites miroirs ». En pratique, cette avancée serait très utile si elle est bien organisée, elle est aussi pratiquée dans d’autres pays démocratiques.
Autrement dit, l’intérêt des injonctions dynamiques réside dans la possibilité, pour le juge, d’ordonner des injonctions visant des sites sur lesquels des atteintes sont constatées mais également applicables aux sites identiques qui viendraient à être créés ou découverts après le prononcé de l’injonction initiale et sur lesquels les mêmes atteintes seraient ainsi constatées.
Pour l’heure, alors que les deux amendements cités ont été, le 4 mai dernier, respectivement « retiré » et « rejeté », la lutte contre les sites miroirs est limitée – selon la mouture du projet de loi voté en séance publique – à l’introduction d’une procédure spécialement dédiée à la lutte contre les sites miroirs.
Ainsi, dès lors qu’une décision judiciaire « passée en force de chose jugée » a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne en application du code de la propriété intellectuelle, la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, issue de la fusion entre la Hadopi et le CSA), saisie par un titulaire de droits – « partie à la décision judiciaire » –, peut demander à toute personne visée dans la décision d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service visé par ladite décision. Et ce, pour une durée qui ne peut excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par le juge. Il faut noter que l’arbitrage fait en séance publique semble avoir restreint la liste des personnes auprès desquelles les mesures de blocage peuvent être demandées. En effet, le projet de loi initial prévoyait une liste plus ouverte au terme de laquelle les FAI et autres fournisseurs d’accès à des services de communication au public en ligne (v. LCEN, art. 6-I, 1) et tout fournisseur de noms de domaine pouvaient être sollicités.
Dans les mêmes conditions, l’Arcom peut également demander à tout exploitant de moteur de recherche, annuaire ou autre service de référencement de faire cesser le référencement des adresses électroniques donnant accès à ces services de communication au public en ligne.
Le projet de loi prévoit en outre que l’Arcom peut demander aux services de se justifier lorsqu’il n’est pas donné suite à sa saisine.
Par ailleurs, le projet de loi institue que l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux services contrefaisants – sans préjudice de la saisine prévue dans le code de la propriété intellectuelle (v. art. L. 336-2).
Les mécanismes précités sont censés apporter une réponse à la problématique soulevée par les sites miroirs, et notamment l’actualisation rapide des décisions de justice. Ils multiplient, en tout état de cause, les voies pour lutter contre la contrefaçon en ligne – la voie administrative venant s’ajouter à la voie judiciaire – et incarnent une avancée, dont il faudra accompagner l’efficacité pratique.
Dispositions particulières relatives à la lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives
Dans le domaine sportif, en particulier, les titulaires de droits sont confrontés à la difficulté de lutter contre le live streaming illicite. Il consiste à retransmettre en direct des manifestations et compétitions sportives sans autorisation.
Pour lutter contre ce phénomène, le projet de loi opte pour une forme de consécration des injonctions anticipatrices/préventives – qui a l’intérêt de permettre le blocage d’un site ou d’un flux sur la base d’une atteinte future concernant une œuvre ou un programme pour lequel aucune atteinte n’a été constatée par le passé.
Ainsi, lorsqu’ont été constatées des atteintes graves et répétées (a) au droit d’exploitation audiovisuelle prévu à l’article L. 333-1 du code du sport, (b) au droit voisin d’une entreprise de communication audiovisuelle prévu à l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, dès lors que le programme concerné est constitué d’une manifestation ou d’une compétition sportive, (c) ou à un droit acquis à titre exclusif par contrat ou accord d’exploitation audiovisuelle d’une compétition ou manifestation sportive, occasionnées par le contenu d’un service de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de compétitions ou manifestations sportives, et afin de prévenir ou de remédier (souligné par nous) à une nouvelle atteinte grave et irrémédiable à ces mêmes droits, le titulaire de ce droit peut saisir le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond ou en référé, aux fins d’obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.
Il s’agit d’une action attitrée qui peut être exercée dans les mêmes conditions par :
• une ligue sportive professionnelle, dans le cas où elle est concessionnaire de la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle de compétitions sportives professionnelles, susceptibles de faire l’objet ou faisant l’objet d’une atteinte grave et répétée ;
• l’entreprise de communication audiovisuelle, dans le cas où elle a acquis un droit à titre exclusif, par contrat ou accord d’exploitation audiovisuelle, d’une compétition ou manifestation sportive, que cette compétition ou manifestation sportive soit organisée sur le territoire français ou à l’étranger, dès lors que ce droit est susceptible de faire l’objet ou fait l’objet de l’atteinte grave et répétée.
Ces dispositions permettent de consacrer la possibilité d’obtenir des injonctions préventives, c’est-à-dire de bloquer à l’avance l’accès à des contenus contrefaisants. Il s’agit d’une forme de révolution puisque, jusqu’à présent, de telles injonctions se heurtaient à des obstacles procéduraux – notamment le fait que pour pouvoir agir en justice, le demandeur doit disposer d’un intérêt à agir né et actuel.
En outre, le président du tribunal judiciaire peut ordonner, au besoin sous astreinte, la mise en œuvre, pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive, dans la limite de la durée de la saison sportive mentionnée à l’article L. 333-1 [du code du sport], de toutes mesures proportionnées, telles que des mesures de blocage ou de déréférencement, propres à empêcher l’accès à partir du territoire français, à tout service de communication au public en ligne identifié ou qui n’a pas été identifié à la date de ladite ordonnance diffusant illicitement la compétition ou manifestation sportive, ou dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de la compétition ou manifestation sportive. Les mesures ordonnées par le président du tribunal judiciaire prennent fin, pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive, à l’issue de la diffusion autorisée par le titulaire du droit d’exploitation de cette compétition ou de cette manifestation.
En matière de diffusion des compétitions de football, par exemple, cette consécration permettra la préservation du modèle économique. En effet, le football et les médias entretiennent un lien consubstantiel sur la question du financement : les médias ont besoin du football pour générer des taux d’audience élevés – sources de retombées publicitaires importantes – et le football a besoin de ces derniers pour se financer – les droits audiovisuels représentant plus de 50 % du budget de la plupart des clubs professionnels de football français.
Finalement, le projet de loi antipiratage – même s’il pourrait aller plus loin – rajeunit les procédures pour les rendre plus adaptées au contexte numérique et à l’économie mondialisée. Il a la particularité de proposer, en plus de la voie judiciaire, une voie administrative alternative incarnée par la nouvelle autorité de régulation – l’Arcom – dont les missions sont élargies et s’aligne de facto sur les systèmes juridiques étrangers, notamment anglo-saxons.
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