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Prostitution : conformité à la Constitution de l’infraction de recours à l’achat d’actes sexuels

La pénalisation des clients de prostituées, instituée par la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016, est conforme à la Constitution.

par Dorothée Goetzle 5 février 2019

Le 13 novembre 2018, le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de plusieurs dispositions résultant de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Ce texte, qui s’inscrivait dans le cadre de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes et d’égalité entre les femmes et les hommes, comporte plusieurs mesures novatrices relatives à l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel. Ces mesures phares de pénalisation des clients sont au cœur de cette QPC (v. Dalloz actualité, 24 janv. 2019, art. T. Coustet ). Toutefois, avant de se positionner sur la conformité de ces dispositions à la Constitution, le Conseil constitutionnel tient à rappeler qu’en faisant le choix de pénaliser les acheteurs de services sexuels, le législateur de 2016 avait pour buts de priver le proxénétisme de sources de profits et de lutter contre cette activité et contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle. La poursuite de ces objectifs par le législateur explique, pour le Conseil constitutionnel, que la loi du 13 avril 2016 soit, dans son ensemble, animée par le souci d’assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d’asservissement. Dans ce contexte, le premier alinéa de l’article 611-1 du code pénal institue une contravention réprimant le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage. Le premier alinéa de l’article 225-12-1 du même code érige en délit ces mêmes faits lorsqu’ils sont commis en situation de récidive légale. Dans le même esprit, l’article 225-20 crée une peine complémentaire visant à sanctionner le recours à la prostitution ainsi que le stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution.

Aux yeux des requérants, ces dispositions ont pour conséquence d’aggraver l’isolement et la clandestinité des personnes prostituées, en les exposant à des risques accrus de violences de la part de leurs clients. En outre, l’ensemble de ces dispositions les contraindraient, pour continuer à exercer leur activité, à accepter des conditions d’hygiène portant atteinte à leur droit à la protection de la santé. Intéressant, cet argument est pourtant balayé par le Conseil constitutionnel qui considère qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sanitaires mentionnées par les requérants. Parallèlement, ces derniers font grief à ce texte de réprimer sans distinction tout achat d’actes sexuels. La formule législative employée permettrait, à leurs yeux, de réprimer l’achat d’actes sexuels « même lorsqu’ils sont accomplis librement entre adultes consentants et même lorsque ces actes se déroulent uniquement dans un espace privé ». Or ils considèrent que cette interdiction générale et absolue est contraire au droit au respect de la vie privée, auquel ils rattachent le droit à l’autonomie personnelle et la liberté sexuelle.

Pour le Conseil constitutionnel, la démarche adoptée par le législateur est conforme à la Constitution. En effet, en réprimant tout recours à la prostitution, y compris lorsque les actes sexuels se présentent comme accomplis librement entre adultes consentants dans un espace privé, le législateur est manifestement parti du principe que, dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite des êtres humains. Or c’est uniquement parce qu’existe une demande de relations sexuelles tarifées que ces infractions peuvent être caractérisées. En conséquence, le Conseil constitutionnel en déduit que la pénalisation des acheteurs de services sexuels n’est pas manifestement inappropriée à l’objectif de politique publique poursuivi, à savoir priver le proxénétisme de sources de profits. Ce faisant, le Conseil en conclut que le législateur assure, dans ce texte, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, d’autre part, la liberté personnelle.

Les requérants reprochent également aux dispositions contestées de méconnaître la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle et les principes de nécessité et de proportionnalité des peines. Ces griefs sont eux aussi écartés par le Conseil constitutionnel. En effet, au regard de la nature des comportements réprimés, le Conseil estime que les peines instituées ne sont pas manifestement disproportionnées. En outre, au sujet de la conformité du texte à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, le Conseil constitutionnel considère que le texte ne comporte pas d’atteintes disproportionnées à ces droits au regard de l’objectif poursuivi.

En conséquence, le premier alinéa de l’article 225-12-1 et l’article 611-1 du code pénal sont déclarés conformes à la Constitution.