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Quelle motivation en cas de condamnation à une amende délictuelle ?

L’intérêt de l’arrêt rapporté est de préciser les conséquences du revirement du 1er février 2017 dans lequel la chambre criminelle a posé le principe selon lequel toute peine doit être motivée en matière correctionnelle.

par Dorothée Goetzle 19 février 2018

Les inspecteurs de la santé publique vétérinaire des directions départementales de la protection des populations opèrent un contrôle au sein d’une SELAFA ayant pour objet l’exercice en commun de la profession de vétérinaires. Ils y constatent des infractions dont ils dressent procès-verbaux. La personne morale est ensuite poursuivie devant le tribunal correctionnel pour prescriptions irrégulières de médicaments vétérinaires sans examen clinique des animaux et délivrances de médicaments par un vétérinaire tenant officine ouverte. Les inspecteurs avaient, en effet, constaté que la SELAFA prescrivait sans examen clinique préalable, des médicaments ou aliments contenant des principes actifs ne figurant pas parmi ceux préconisés par le protocole de soins. Le conseil national de l’ordre des vétérinaires et le syndicat national des vétérinaires en exercice libéral se constituaient partie civile.Les premiers juges relaxaient la prévenue d’une partie des faits reprochés et la déclarait coupable de délivrance et prescription irrégulières de médicaments au préjudice de plusieurs exploitations agricoles spécialisées dans l’élevage de bovins adultes, de bovins lait, de volailles et de lapins. Les parties et le ministère public faisaient appel du jugement. La cour d’appel confirmait le choix des premiers juges et condamnait la prévenue à 50 000 € d’amende dont 30 000 € avec sursis pour prescription irrégulière de médicaments vétérinaires sans examen clinique des animaux et délivrance de médicaments par un vétérinaire tenant officine.

Dans son pourvoi en cassation, la SELAFA soulève deux arguments distincts. Alors que le premier moyen est relatif à une question de fond, puisqu’il remet en cause la caractérisation des infractions, le second moyen se concentre, lui, sur le choix de la peine.

Dans le premier moyen, le principal argument de la requérante consiste à souligner que ne peut être auteur de l’infraction posée à l’article L. 5442-10, alinéa 2, du code de la santé publique que le vétérinaire ayant prescrit des médicaments à des animaux auxquels il ne donne pas personnellement des soins ou dont la surveillance sanitaire et le suivi régulier ne lui sont pas confiés. Or, la personne morale reproche aux juges de ne pas avoir en l’espèce relever l’absence de ces deux conditions pour entrer en voie de condamnation. En outre, la requérante rappelle que la loi pénale est d’interprétation stricte et doit être interprétée in favorem, dans l’intérêt du prévenu. Ensuite, elle reproche à la cour d’appel d’avoir fondé sa décision sur un document non soumis à la libre discussion des parties. La SELAFA avait en effet déposé, après y avoir été autorisée par la cour d’appel, une note en délibéré. Or, la direction général de l’alimentation y a directement répondu en envoyant au président de la cour d’appel une note. Cette réponse n’a pas été communiquée à la prévenue. Ce faisant, la requérante considère qu’en n’excluant pas expressément cette réponse, faite en violation du contradictoire, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de s’assurer qu’elle n’a pas fondé sa décision sur un document n’ayant pas été soumis à la libre discussion des parties. L’ensemble de ces arguments est écarté par la Cour de cassation. Sur la caractérisation des infractions, la Haute juridiction approuve la cour d’appel qui avait, en effet, souligné que nonobstant la mise en place de bilans sanitaires et de protocoles de soins, des ordonnances avaient été délivrées, notamment du 9 février 2010 au 3 mai 2011 sans examen préalable des animaux et sans visites de suivi. Ensuite, sur le grief relatif à la violation du contradictoire, les hauts magistrats considèrent que la cour d’appel n’avait pas à mentionner la note de la direction générale de l’alimentation parvenue au cours du délibéré « dès lors qu’elle n’a pas fondé sa conviction sur ce document ».

Le second moyen de cassation, relatif au choix de la peine, est, à notre sens, le plus intéressant. Fondé notamment sur l’article 132-1 du code pénal, il repose sur le principe selon lequel toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée. Le législateur a, en effet, prévu dans la disposition précitée que « dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 ». La requérante reproche à la cour d’appel de l’avoir condamné à une peine d’amende de 50 000 €. Elle rappelle qu’en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges . En l’espèce, la requérante considère qu’en se bornant à retenir que le tribunal a fait une juste appréciation de la peine qui doit sanctionner les délits à hauteur du bénéfice dégagée par la prévenue, qui s’élève entre 200 000 et 300 000 €, sans s’expliquer sur ses charges qu’elle devait prendre en considération, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

Cet argument soulevé par la prévenue n’est pas dû au hasard. Il est à mettre en lien avec le revirement de jurisprudence du 1er février 2017 (E. Dreyer, La motivation de toute peine : un revirement à regret ? AJ pénal 2017. 175 ). En effet, dans cet arrêt du 1er février 2017 rendu par la formation plénière de la chambre criminelle, a été rappelé le principe selon lequel en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges. Au visa de ce principe, la chambre criminelle avait, en effet, sanctionné les juges du fond pour ne pas s’être suffisamment expliqué sur les ressources et les charges des prévenues qu’elle devait prendre en considération pour fonder sa décision. Il est évident que si ce revirement de jurisprudence a eu des conséquences sur le droit de la peine, il a également fortement impacté la pratique des juridictions correctionnelles. C’est donc sans réelle surprise que la prévenue espère pouvoir s’appuyer sur ce revirement pour remettre en cause le montant de l’amende prononcée à son encontre (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-83.984, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix , note C. Saas ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017. 277, note Leblois-Happe). Cette tentative est d’autant plus légitime que cette jurisprudence a depuis été confirmée. Ainsi, la chambre criminelle a précisé que n’a pas justifié sa décision la cour d’appel qui, pour condamner le prévenu à huit mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 € d’amende, énonce que les agissements dont il s’est rendu coupable ont porté atteinte à la liberté d’accès aux marchés publics et à l’égalité des candidats, et ont entraîné pour la société concurrente un préjudice important, sans s’expliquer sur la personnalité du prévenu, sur sa situation personnelle et sur le montant de ses ressources comme de ses charges (Crim. 15 mars 2017, n° 16-83.838, Dalloz actualité, 7 avr. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé ).

En l’espèce, ce moyen n’est toutefois pas accueilli par la Cour de cassation. En effet, la chambre criminelle se livre à une analyse de la motivation rendue par la cour d’appel et constate que cette juridiction, pour condamner la prévenue à une amende délictuelle de 50 000 € dont 30 000 € avec sursis, a souligné que les infractions commises étaient d’une gravité certaine « dès lors qu’elles sont révélatrices d’un éloignement du vétérinaire des élevages dont il accepte le suivi sanitaire et génèrent des risques importants, notamment en matière d’antibio-résistance et de santé des consommateurs ». Surtout, la chambre criminelle approuve les juges du fond d’avoir fixé le montant de l’amende en tenant compte du bénéfice annuel dégagé par la prévenue. Elle considère « qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a nécessairement pris en compte les ressources et les charges de la prévenue ».

Le rejet de ce pourvoi est intéressant sous plusieurs angles. D’abord, il rappelle que quel que soit le montant de l’amende, le juge est toujours amené à justifier son choix en se référant aux circonstances concrètes de l’espèce (Crim. 7 déc. 2016, n° 15-85.136, Dalloz actualité, 11 févr. 2017, obs. D. Aubert ; ibid. 2017. 245, chron. G. Guého, L. Ascensi, E. Pichon, B. Laurent et G. Barbier ; AJ pénal 2017. 141 ). Toutefois, cette motivation n’est pas totalement libre, car elle doit s’articuler autour de trois critères légaux : la gravité des faits, la personnalité de l’auteur et sa situation personnelle. En l’espèce, c’est sur ce dernier critère que se cristallisent les difficultés. Pour évoquer la situation personnelle de la prévenue, la cour d’appel faisait référence à sa situation financière. Ainsi, elle montrait que le montant de l’amende prononcée était proportionnel avec ses ressources et ses charges. 

Il est évident que depuis le revirement du 1er février 2017, la Cour de cassation exerce un contrôle nouveau sur l’existence et la suffisance des motifs adoptés par les juges du fond lorsqu’ils prononcent une amende. La chambre criminelle peut, en effet, censurer des décisions insuffisamment motivées sur la situation financière de la personne condamnée. En l’espèce, la requérante invitait en réalité la chambre criminelle à aller plus loin dans ce contrôle en exerçant un droit de regard sur la nécessité et la proportionnalité de la peine d’amende. Or, la chambre criminelle refuse de se prêter à cet exercice. Cette appréciation appartient, en effet, aux seuls juges du fond.