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Rapport sur la protection juridique des majeurs : l’amorce d’une nouvelle ère

Profondément humanistes, les suggestions, riches et nombreuses, du rapport de Mme Anne Caron-Déglise, présidente du groupe de travail interministériel sur la protection juridique des majeurs, sont très concrètes et attestent d’une vision globale et à long terme des enjeux, tant juridiques que sociaux, que sous-tend la protection des personnes les plus fragiles. 

par Nathalie Peterkale 28 septembre 2018

Le rapport propose de revenir sur l’entrée de la personne vulnérable dans la mesure de protection par l’amélioration de l’évaluation de sa perte d’autonomie. 

Il part du constat que les atteintes à la capacité juridique portées par les régimes de protection des majeurs ne respectent pas suffisamment les droits fondamentaux et observe notamment, à la suite de la Cour des comptes (Cour des comptes, La protection juridique des majeurs. Une réforme ambitieuse, une mise en œuvre défaillante, sept. 2016), le faible nombre d’auditions menées dans le cadre de l’instruction de la requête. Or la philosophie de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 impose d’associer – à tout le moins d’informer – la personne aux décisions qui la concernent. Fort de ce constat, le rapport suggère d’améliorer l’évaluation de la perte d’autonomie par la mise en place d’une évaluation préalable de la situation du majeur ainsi que le renforcement du contenu du certificat médical circonstancié, dont les éléments actuels ne permettent pas de procéder à une analyse suffisamment fine de l’aptitude de la personne à comprendre et décider et ne tiennent pas compte de sa situation familiale et patrimoniale. Il invite, à l’instar du Défenseur des droits (Défenseur des droits, Protection juridique des majeurs vulnérables, sept. 2016), à créer une formation spécifique des médecins inscrits et souligne la nécessité de mettre en place, sans alourdir les conditions de recevabilité de la requête, une évaluation pluridisciplinaire permettant une approche globale de la situation de la personne à protéger. Une approche exclusivement médicale s’avère, en effet, impuissante à garantir l’application concrète des principes de nécessité, de subsidiarité et d’individualisation de la mesure de protection (C. civ., art. 428). Encore faut-il qu’une telle proposition reçoive un soutien financier à la hauteur de ses ambitions afin trouver une traduction concrète.

Le rapport relève la nécessité de construire un cadre juridique pour la reconnaissance et la protection des droits de la personne vulnérable.

On pénètre ici au cœur des suggestions du groupe de travail. Ce n’est rien de moins que l’éradication des vestiges de la culture paternaliste de la protection juridique qui est poursuivie. Tirant les enseignements du rapport du Défenseur des droits (Défenseur des droits, Protection juridique des majeurs vulnérables, préc.), Mme Caron-Déglise « estime qu’il est désormais temps d’instaurer un dispositif législatif consacrant effectivement le principe de la capacité juridique de la personne et se donnant les moyens de soutenir l’exercice de ses droits en favorisant l’expression de sa volonté et de ses préférences ». Ce soutien trouve appui sur un triple vecteur.

Celui, d’abord, du renforcement du principe de subsidiarité. La consolidation de ce dernier passe par le développement des dispositifs d’anticipation de la protection. C’est l’amélioration du mandat de protection future qui est ici ciblée. Lourdement handicapé par ses débuts médiatiques et les premiers arrêts relatifs à la matière, ce dispositif n’a pas trouvé son public. Surtout, le mandat de protection future obéit à une conception peu réaliste de l’anticipation. Il suffit de convoquer les statistiques du ministère de la justice : 83 % des mandants ont plus de 80 ans (ministère justice, DACS-Pôle d’évaluation de la justice civile, août 2015) ! Face à ce constat, le rapport recommande de puiser dans les ressources de la législation belge, afin d’autoriser la signature et la mise en œuvre concomitante du mandat de protection future, dès lors que la personne est douée d’un discernement suffisant pour conclure l’acte. Une telle proposition vise à autoriser un meilleur accompagnement de la personne fragile, non encore éligible à une mesure de protection judiciaire. Elle permet d’assurer un meilleur respect des prévisions du mandant, le mandat tardif esquivant le risque d’éviction sur ce seul fondement. Loin de verser dans l’angélisme, le rapport confie au juge le contrôle de l’adéquation du mandat aux intérêts du mandant et, donc, la mission de stabiliser le mandat de protection future. Encore faut-il que le juge en ait connaissance. De manière très pragmatique, la création d’un registre unique regroupant les dispositifs d’anticipation ainsi que les mesures judiciaires de protection est proposée. Si elle ne peut qu’être approuvée, pareille création mériterait d’être étendue aux mesures de retrait et de transfert de pouvoirs (C. civ., art. 1426, 1429 et 220-1), dont la publicité est déjà organisée, ainsi qu’aux mesures d’habilitation conjugale (C. civ., art. 217 et 219). Outre qu’il fait obstacle au principe de subsidiarité, le caractère occulte de ces dernières est lourd d’insécurité juridique. Il convient ici de rappeler que la réforme du droit des contrats a modifié les effets de la représentation judiciaire entre époux (C. civ., art. 219, al. 1er) par sa soumission au droit commun de la représentation (C. civ., art. 1156 et s.). L’article 1159, alinéa 1er, précise, désormais, que « l’établissement d’une représentation légale ou judiciaire dessaisit pendant sa durée le représenté des pouvoirs confiés au représentant ». L’article 219, alinéa 1er, devient ainsi une mesure restrictive des pouvoirs du conjoint empêché, laquelle ne devrait pas être dissimulée à son contractant (N. Peterka, Les implications de la réforme du droit des obligations en droit des personnes protégées, AJ fam. 2016. 533 ). Le rapport envisage, par ailleurs, d’ouvrir la fiducie à toutes les personnes protégées. Pareille suggestion est destinée à renforcer le principe de subsidiarité par la création d’un nouveau dispositif alternatif de protection. Une fois la fiducie constituée sous le contrôle du juge, le fiduciaire pourrait gérer le patrimoine de la personne protégée, dans les limites de sa mission, sans avoir à solliciter de nouvelles autorisations judiciaires. Une telle évolution réaliserait un compromis judicieux entre la déjudiciarisation et la protection des intérêts de la personne vulnérable, à la faveur d’un meilleur encadrement du contrat en présence d’un constituant sous mesure de protection (N. Peterka, La fiducie, une alternative au mandat de protection future ?, Dr. et patr. [n° 283], sept. 2018, p. 37). Dans le souci de garantir la subsidiarité de la protection judiciaire, le rapport suggère, via l’instauration d’une requête unique, la création de passerelles entre les procédures de mise sous protection judiciaire, d’habilitation familiale et la mesure d’accompagnement judiciaire. Il serait, à vrai dire, souhaitable d’élargir ces passerelles aux mesures de sauvegarde conjugale, afin que la subsidiarité déploie pleinement ses effets. Ce déploiement implique aussi que le juge se voit doté des moyens d’instruction nécessaires afin de prononcer la mesure la mieux adaptée à la situation de la personne. La mission propose, à cette fin, de créer pendant la sauvegarde provisoire un « mandat d’observation », au lieu et place de l’actuel mandat spécial, permettant au juge d’évaluer au mieux les besoins de l’intéressé pendant une durée maximale de dix-huit mois. Le rapport souligne ici l’importance de réserver la protection juridique des majeurs à un juge dédié, spécialisé dans le domaine de la protection des libertés individuelles et du contrôle du consentement. Au-delà de ces précisions procédurales, plusieurs retouches de l’habilitation familiale sont avancées, dont son ouverture à l’assistance. Pareille proposition ne pourra développer ses potentialités que si l’habilitation familiale par voie d’assistance s’émancipe du modèle de la curatelle simple à laquelle le réduit, dans sa version actuelle, le projet de loi de programmation pour la justice (Dalloz actualité, 5 avr. 2018, obs. N. Peterka isset(node/189993) ? node/189993 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189993).

Le respect des choix et des préférences de la personne protégée repose, ensuite, sur la reconnaissance effective de ses droits. Foulant au pied le reproche d’inclusivité flagorneuse dont il a pu être gratifié, le groupe de travail a exploré les moyens de transcrire dans la réalité la promotion de la marge d’autonomie de la personne protégée sans sacrifier les droits des tiers. Ces outils passent, au premier chef, par le renforcement du droit à l’information. Le rapport propose ainsi de faire remonter les dispositions de l’article 457-1, consacrant le droit à l’information de la personne protégée sous une sous-section relative aux effets personnels de la curatelle et de la tutelle, dans les principes généraux de la protection des majeurs. Si cette proposition ne peut qu’être approuvée, celle suggérant d’ajouter, à l’article 414, que « la capacité du majeur est présumée jusqu’à preuve contraire. Elle peut, à titre exceptionnel et sur décision spécialement motivée du juge, être partiellement restreinte dans les conditions prévues au présent titre », appelle quelques nuances. Parce qu’elle participe de la personnalité (J. Carbonnier, Droit civil, t. 1., PUF, 2004, n° 290), la capacité juridique ne se conçoit pas en termes de preuve. Aussi serait-il préférable d’affirmer le principe de la capacité juridique de la personne protégée, sous réserve de la décision du juge et sans préjudice de l’article 414-1 du code civil. Au-delà, l’exercice concret des droits de la personne ne peut faire l’économie de l’avocat. La mission propose ici de rendre sa présence obligatoire en cas de dispense d’audition de l’intéressé ou, comme c’est déjà le cas, lorsque ce dernier en fait la demande (C. pr. civ., art. 1214). Si elle constitue sans conteste un progrès, la proposition ne va pas assez loin. À l’heure du bannissement de l’incapacité, la présence obligatoire de l’avocat dans la procédure de mise sous protection participe du noyau dur des droits fondamentaux et de l’émergence d’une éthique de cet auxiliaire de justice, à la hauteur des enjeux de la matière (V. Montourcy, L’éthique de l’avocat en droit des majeurs protégés, Gaz. Pal. 11 oct. 2016 [n° 135], p. 12). La reconnaissance de la marge d’autonomie de la personne protégée implique, par ailleurs, l’abrogation des dispositions du code électoral permettant au juge de priver la personne sous tutelle de son droit de vote et l’inscription de ce droit au rang des actes éminemment personnels, insusceptibles d’assistance et de représentation (C. civ., art. 458). Soutenue par le président de la République (Discours au Congrès de Versailles, 9 juill. 2018), la proposition est parfaitement cohérente au regard de l’esprit qui baigne la CIDPH et la loi de 2007. Il en est de même de celle envisageant le mariage et le PACS de la personne protégée sans autorisation judiciaire, son éligibilité au divorce par consentement mutuel sous le contrôle du juge, et de celle d’instaurer une articulation du code civil et du code de la santé publique plus respectueuse de l’intéressé. On se réjouit, par conséquent, que la plupart de ces suggestions soient prochainement intégrées au projet de loi de programmation pour la justice, ainsi que l’a annoncé la garde des Sceaux lors de la remise du rapport.

La considération des choix de la personne protégée implique, enfin, l’abrogation de la tutelle et de la curatelle au profit de la mise en place d’une mesure unique de protection, dite mesure de sauvegarde des droits. Il s’agit ici de la pièce maîtresse du rapport. La création d’une mesure unique répond au souci de favoriser une meilleure individualisation de la protection. La mesure unique serait en principe dénuée d’impact sur la capacité d’exercice de la personne protégée sous la réserve d’un pouvoir d’assistance et/ou de représentation décidé par le juge en fonction de la situation de la personne et de la nature de l’acte à accomplir. Le système actuel d’autonomie graduée prévu pour les actes simplement personnels serait ainsi étendu à la sphère patrimoniale. Si elle est séduisante, pareille proposition implique la refonte de l’architecture de la matière. Elle suppose surtout, ainsi que l’observe le rapport, de réécrire les règles gouvernant la sanction des actes de la personne protégée et de prévoir un dispositif de publicité permettant aux tiers de prendre connaissance des aménagements de la mesure.

Le rapport souligne la nécessité de mettre en place une politique publique de la protection des majeurs.

Il revient ici sur le contrôle de la gestion, dont les défaillances ont été mises à l’index par la Cour des comptes (Cour des comptes, La protection juridique des majeurs. Une réforme ambitieuse, une mise en œuvre défaillante, préc.). Le rapport redéfinit le contenu et le délai de l’inventaire, en le portant à six mois pour les biens autres que les meubles meublants. La proposition contraste avec les dispositions sanctionnatrices du projet de loi de programmation pour la justice (Dalloz actualité, 5 avr. 2018, obs. N. Peterka, préc.). Il en est de même des suggestions du rapport visant à renforcer le contrôle des comptes de gestion, notamment pour les personnes ayant de faibles ressources. Il se clôt sur la nécessité d’élaborer un véritable statut du mandataire judiciaire à la protection des majeurs dont les obligations, notamment en termes de formation, doivent être réévaluées et appelle de ses vœux la mise en place d’un délégué interministériel chargé de coordonner le dispositif.

Reste à souhaiter que ces propositions ambitieuses, toutes guidées par la protection et la dignité de la personne vulnérable, trouvent l’écho qu’elles méritent. Il en va de l’intérêt collectif mais aussi de l’intérêt individuel de tous.