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Réduction Fillon et obligation de négocier

Un établissement public à caractère industriel et commercial ne peut être sanctionné par une minoration de la « réduction Fillon » sur le fondement d’une absence de négociation sur les salaires s’il n’est soumis à aucune obligation annuelle de négocier sur ce thème.

par Luc de Montvalonle 23 juillet 2019

La « réduction Fillon », dispositif de réduction des cotisations patronales sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC instauré en 2005, s’applique aux gains et rémunérations versés aux salariés de droit privé, mais également aux salariés des entreprises inscrites au répertoire national des entreprises contrôlées majoritairement par l’État et aux salariés des établissements publics à caractère industriel et commercial (CSS, art. L. 241-13). Le bénéfice de cette réduction est indirectement conditionné au respect de l’obligation de négocier en entreprise sur les salaires effectifs. L’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale disposait en effet, à partir du 1er janvier 2009, que « lorsque l’employeur n’a[vait] pas rempli au cours d’une année civile l’obligation définie au 1° de l’article L. 2242-8 du code du travail dans les conditions prévues aux articles L. 2242-1 à L. 2242-4 du même code, le montant de la réduction [était] diminué de 10 % au titre des rémunérations versées cette même année. Il [était] diminué de 100 % lorsque l’employeur ne rempli[ssait] pas cette obligation pour la troisième année consécutive ». Depuis 2016, cette minoration a été remplacée par une pénalité financière, plafonnée à 10 % ou 100 % de la réduction Fillon, en cas de manquement à l’obligation de négocier sur les salaires (Loi n° 2015-1702 du 21 déc. 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 ; C. trav., art. L. 2242-7).

Les offices publics de l’habitat, en tant qu’EPIC (CCH, art. L. 421-1), peuvent bénéficier de la réduction Fillon. Or, si les EPIC peuvent conclure des accords collectifs de travail dans les conditions prévues par le code du travail (C. trav., art. L. 2233-1), ils ne sont pas, sauf dispositions spécifiques en ce sens, assujettis à l’obligation annuelle de négocier (v. Rép. min. Q n° 50255, JO AN, 6 avr. 1992, p. 1642).

En l’espèce, l’URSSAF de Paris avait notifié à l’office public de l’habitat de Nanterre « un redressement portant notamment sur la réintégration dans l’assiette des cotisations du montant de la réduction Fillon indûment opérée, en raison de l’absence de négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs » en 2009, 2010 et 2011. L’URSSAF entendait récupérer 10 % de la réduction pour les deux premières années et son intégralité pour la troisième. Pour rejeter les demandes formulées par l’office, l’arrêt d’appel retenait « essentiellement que n’ayant pas ouvert de négociations sur les salaires au titre des années 2009, 2010 et 2011, l’office s’[était] soustrait à une obligation légale qui conditionnait le bénéfice de la réduction en litige ». L’office s’est pourvu en cassation, considérant notamment qu’il n’était pas débiteur d’une telle obligation.

L’obligation de négocier dans ces offices découle de l’article 11 du décret n° 2008-1093 du 27 octobre 2008. L’article 12 du même texte prévoyait un délai d’un an à compter de sa publication, soit jusqu’au 29 octobre 2009, pour engager cette négociation, ainsi qu’un délai d’un an à compter du début des négociations pour conclure un accord. En parallèle, une négociation sur les salaires au niveau national est prévue à l’article L. 421-24 du code de la construction et de l’habitation mais ni cet article, ni les dispositions réglementaires relatives à son application (Décr. n° 2007-1840 du 24 déc. 2007, art. 7) ne traitent de la négociation dans chaque office, au niveau local.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation devait donc articuler l’ensemble de ces dispositions pour déterminer si un office public de l’habitat pouvait être sanctionné sur le fondement de l’article L. 241-13 du code de la sécurité, pour ne pas avoir engagé de négociation sur les salaires. Elle a, pour ce faire, sollicité l’avis de la chambre sociale, afin de déterminer si les offices publics de l’habitat étaient tenus d’une obligation de négocier sur les salaires. Aux termes de l’avis rendu le 12 février 2019 (Soc. 13 févr. 2019, n° 17-18.061), ces offices sont soumis à « l’obligation d’engager annuellement une négociation sur les salaires effectifs en application de l’article L. 2242-8, 1, du code du travail, dans sa version alors applicable » depuis le 29 octobre 2009, « nonobstant les dispositions de l’article L. 421-24 du code de la construction et de l’habitation qui […] ne constituent pas des dispositions dérogeant à l’obligation de négociation annuelle au sein de chaque office public de l’habitat ». S’appuyant sur cet avis, la deuxième chambre civile a cassé la décision des juges du fond qui, en approuvant la minoration de 10 % de la réduction Fillon, au titre des années 2009 et 2010 et de son annulation au titre de l’année 2011, « alors que l’organisation d’une négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs ne pouvait être exigée de l’office public de l’habitat antérieurement au 29 octobre 2009, date d’entrée en vigueur de son obligation légale », avaient violé les dispositions légales et réglementaires précédemment exposées. En d’autres termes, les offices publics de l’habitat, en tant qu’EPIC, sont concernés par la réduction Fillon ; toutefois ils ne pouvaient être sanctionnés par une minoration partielle ou totale de cette réduction sur le fondement d’une absence de négociation sur les salaires avant le 29 octobre 2009, date à laquelle l’obligation annuelle de négocier sur ce thème est devenue effective dans ces offices. Si la sanction apparaît justifiée pour les années 2010 et 2011, il en va probablement différemment pour l’année 2009, le manquement à l’obligation de négocier ne pouvant être observé sur l’année civile complète, conformément aux dispositions de l’article L. 214-13 du code de la sécurité sociale alors applicables. Il appartiendra à la cour d’appel de Versailles, à qui l’affaire est renvoyée, de trancher le litige à la lumière de cette solution.