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Régime de la décision du bâtonnier en matière de suppléance

La décision du bâtonnier en matière de suppléance est de nature gracieuse. L’appel est recevable même en l’absence d’autres parties, la désignation erronée d’un intimé étant superfétatoire.

par Jérémy Jourdan-Marquesle 17 mai 2018

À la suite de la cessation d’activité d’une avocate, une société d’exercice libéral à responsabilité limitée a été désignée pour assurer la suppléance. Quelques mois plus tard, le suppléant a demandé au bâtonnier de l’ordre des avocats qu’il soit mis fin à la suppléance. La demande a été rejetée. Un appel a été interjeté contre la décision, lequel a été formé en intimant le conseil de l’ordre des avocats de ce barreau. Par voie de conclusions, le bâtonnier a par la suite été également intimé. La cour d’appel d’Agen, par un arrêt du 15 février 2017, a déclaré l’appel irrecevable, au motif que les conclusions ne modifient pas la détermination de l’intimé, qui est le conseil de l’ordre, et que celui-ci n’était pas l’auteur de la décision attaquée.

Un pourvoi est formé, lequel soulève, entre autres moyens, que « les recours formés à l’encontre des décisions du bâtonnier en matière de suppléance, si elles sont dépourvues de caractère juridictionnel, sont des procès faits à un acte ; qu’il suffit en conséquence que dans l’acte formalisant ce recours, soit précisément désignée la décision attaquée ».

C’est ce moyen qui est accueilli par la Cour de cassation, qui casse l’arrêt au visa des articles 172 et 277 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, 25 et 547, alinéa 2, du code de procédure civile. La Cour de cassation énonce, en chapeau, qu’« il résulte de la combinaison de ces textes que le recours contre la décision du bâtonnier statuant sur une requête en matière de suppléance, en l’absence de partie adverse, doit être exercé selon les règles applicables à la procédure en matière gracieuse, que le bâtonnier, autorité ayant rendu la décision attaquée, ne peut être intimé devant la cour d’appel, que la désignation erronée mais superfétatoire, dans la déclaration d’appel, du conseil de l’ordre comme partie intimée n’a pas pour effet d’entraîner l’irrecevabilité de l’appel et qu’en matière gracieuse, l’appel est recevable même en l’absence d’autres parties » (Civ. 1re, 3 mai 2018, n° 17-16.454).

La solution retenue par la Cour de cassation suit un raisonnement logique et apporte une réponse claire à l’interrogation soulevée. La question de la nature des décisions du bâtonnier et du conseil de l’ordre est particulièrement délicate, tant ces autorités assurent des tâches variées et cumulent des missions différentes (V. en dernier lieu, Civ. 2e, 14 févr. 2018, n° 16-27.909, Dalloz actualité, 6 mars 2018, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/189434) ? node/189434 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189434 ; Lexbase Hebdo, Édition Professions, n° 260, obs. G. Royer).

En matière de suppléance, les dispositions applicables se trouvent aux articles 170 à 172 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. On compte plusieurs hypothèses d’ouverture, notamment en cas d’omission obligatoire, d’omission facultative ou encore d’empêchement temporaire (V., S. Bortoluzzi, Suppléance – Administration provisoire, in Règles de la profession d’avocat, dir. H. Ader et A. Damien, Dalloz Action, 2016-2017, n° 144.11 ; V. égal., Code de l’avocat, 7e éd., Dalloz, 2018, sous décr. 27 nov. 1991, Suppléance). L’article 170 du décret prévoit que « lorsqu’un avocat est temporairement empêché, par cas de force majeure, d’exercer ses fonctions, il est provisoirement remplacé par un ou plusieurs suppléants qu’il choisit parmi les avocats inscrits au même barreau. Il en avise aussitôt le bâtonnier » (la disposition a également vocation à s’appliquer aux hypothèses d’omission : CNB, Comm. RU, avis n° 2012-017 du 9 mai 2012).

La durée de la suppléance ne peut excéder un an selon l’article 171 du décret, renouvelable une fois par le bâtonnier pour la même durée. Quant à la fin de la suppléance, elle est évoquée par l’article 172, alinéa 2, qui énonce qu’« il est mis fin à la suppléance par le bâtonnier soit d’office, soit à la requête du suppléé, du suppléant ou du procureur général ».

Dans la présente affaire, le suppléant a saisi le bâtonnier afin de demander à ce qu’il soit mis fin à la suppléance. Le bâtonnier n’ayant pas fait droit à sa demande, la question de la nature de la décision et de la voie de recours ouverte s’est posée. La Cour de cassation énonce à cet égard que le recours contre « la décision du bâtonnier statuant sur requête en matière de suppléance, en l’absence de partie adverse, doit être exercé selon les règles applicables à la procédure en matière gracieuse ». Implicitement, la Cour retient une qualification de décision gracieuse. L’article 25 du code de procédure civile énonce que « le juge statue en matière gracieuse lorsqu’en l’absence de litige il est saisi d’une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l’affaire ou de la qualité du requérant, qu’elle soit soumise à son contrôle » (V., C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, Dalloz, coll. « Précis », 2016, n° 1856). Une telle qualification paraît adaptée à l’hypothèse de la décision du bâtonnier, celui-ci ayant considéré en l’espèce que la suppléance dûment acceptée devait se poursuivre jusqu’à son terme.

Une telle qualification étant retenue, quelle est la voie de recours ouverte contre la décision ? L’article 277 du décret, visé par la Cour de cassation, énonce qu’« il est procédé comme en matière civile pour tout ce qui n’est pas réglé par le présent décret ». C’est bien le cas en matière de suppléance, aucune disposition ne réglant la question des voies de recours. Dès lors, la décision gracieuse est susceptible de recours, comme l’énonce l’article 543 du code de procédure civile : « la voie de l’appel est ouverte en toutes matières, même gracieuses, contre les jugements de première instance s’il n’en est autrement disposé ». L’absence de partie fait-elle obstacle au recours ? Là encore, l’arrêt vise l’article 547, alinéa 2, du code de procédure civile qui dispose qu’« en matière gracieuse, l’appel est recevable même en l’absence d’autres parties ».

C’est sur ce dernier point que s’est nouée la question litigieuse. En effet, l’appelant avait intimé le conseil de l’ordre. Cela s’explique par le fait que dans son courrier notifiant sa décision, le bâtonnier indiquait que le recours contre devait être formé dans le délai et selon les modalités prévues par l’article 16 du décret du 27 novembre 1991. Or l’alinéa 3 de cet article énonce que « sauf en matière disciplinaire, le conseil de l’ordre est partie à l’instance ». Quelle devait être la conséquence de cette erreur ? Pour la cour d’appel, le recours doit être déclaré irrecevable, car « le conseil de l’ordre […] n’était pas l’auteur de la décision attaquée ». Pour autant, à aucun moment cette motivation ne peut convaincre, car le juge ayant rendu une décision en première instance n’est jamais intimé en appel, conformément à l’adage « nul ne peut être juge et partie » (en dernier lieu, v. Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-24.740, Dalloz actualité, 23 janv. 2018, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/188743) ? node/188743 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188743 ; Procédures 2018, n° 3, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 595, note D. Mouralis ; ibid. 897, n° 6, obs. R. Libchaber).

Cependant, la solution de la Cour de cassation n’était pas certaine. Dans un arrêt récent, elle a retenu que « si l’erreur manifeste dans la désignation de l’intimé, au regard de l’objet du litige tel que déterminé par les prétentions des parties devant les juges du fond, n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité de l’appel, celui-ci ne peut en revanche être dirigé contre d’autres personnes que celles ayant été parties en première instance sans encourir l’irrecevabilité prévue par l’article 547 du code de procédure civile » (Civ. 2e, 7 sept. 2017, n° 16-21.756, Dalloz actualité, 19 sept. 2017, obs. C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; JCP 2017. 1982, note R. Laffly ; ibid. 2338, n° 7, obs. R. Libchaber ; RLDC 2017, n° 153, p. 36, note A. Boccara ; Procédures 2017, n° 11, p. 9, obs. H. Croze). Or dans la présente hypothèse, l’appel était bien dirigé contre une institution n’ayant pas vocation à être présente. Toutefois, la Cour de cassation considère que la désignation, dans la déclaration d’appel, du conseil de l’ordre est « erronée et superfétatoire ». Autrement dit, celle-ci ne porte pas à conséquence et n’entraîne pas l’irrecevabilité de l’appel. Si l’on peut se satisfaire de la décision, on se gardera donc de l’étendre au-delà de la matière gracieuse.