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Relaxe de la policière niçoise accusée de diffamation par Cazeneuve

Le tribunal correctionnel de Paris a relaxé jeudi, au bénéfice de la bonne foi, la policière municipale de Nice, Sandra Bertin. Cette dernière était poursuivie en diffamation par l’ancien ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.

par Pierre-Antoine Souchardle 22 septembre 2017

Dans une interview au Journal du dimanche (JDD) publié le 24 juillet, soit dix jours après l’attentat sur la promenade des Anglais, Sandra Bertin, responsable du Centre supervision urbain (CSU), avait affirmé avoir subi des pressions de la part d’émissaires de « la place Beauvau » pour modifier son rapport sur le déroulé de l’attentat du 14 juillet 2016 (v. Dalloz actualité, 8 juin 2017, art. P.-A. Souchard isset(node/185327) ? node/185327 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>185327 ; ibid., 8 juill. 2017, art. P.-A. Souchard isset(node/185879) ? node/185879 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>185879)

Le soir du 14 juillet, un conducteur au volant d’un 19T avait foncé sur la foule réunie sur la promenade des Anglais pour le feu d’artifice tuant 86 personnes et en blessant plus de 450.

Sandra Bertin avait affirmé avoir été « harcelée » le 15 juillet pour modifier son rapport sur le déroulé des faits survenus la veille. Elle avait déclaré dans cette interview que ses interlocuteurs lui auraient demandé « de bien préciser que l’on voyait la police nationale sur deux points dans le dispositif de sécurité », d’ajouter « or la police nationale était peut-être là mais elle ne m’est pas apparue sur les vidéos ».

Des propos polémiques qui s’ajoutaient à ceux, déjà controversés, de Christian Estrosi, homme fort de Nice, sur l’insuffisance des services de la police nationale déployés sur la promenade des Anglais.

Le tribunal a estimé jeudi que les propos de Mme Bertin devaient « être considérés dans leur ensemble comme diffamatoires ». Cependant, il a considéré que « le bénéfice de la bonne foi (devait) lui être accordé ».

Dans ses attendus, le tribunal a rappelé que le « contexte à l’évidence tendu entre le maire de Nice, dont elle (NDLR : Sandra Bertin) est proche, et le ministre de l’intérieur peut, au moins à première vue, chacun excipant des carences supposées de l’autre dans la prévention de l’attentat, jeter un doute sur la nature » de cette interview dix jours après le dramatique attentat. Un entretien publié le jour même du signalement au procureur de la République de Nice faisant état de pressions qu’elles avaient subies de la part de policiers nationaux.

Les débats ont montré que la demande de rapport à Mme Bertin émanait de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et non pas du cabinet du ministre, encore moins de celui-ci. Dans son jugement, le tribunal a souligné que « la démarche prêtée à Bernard Cazeneuve paraît irréaliste, voire inconcevable (…) toute tentative de manipulation ou de travestissement de la réalité étant, ainsi, inéluctablement vouée à l’échec ».

Les débats ont montré le cheminement de cette « commande » de rapport. L’une des responsables de la DCSP, la commissaire Myriam Benrhala, citée par l’avocat de M. Cazeneuve, a expliqué au tribunal, d’un ton ne souffrant guère la contradiction, qu’il fallait que l’information remonte coûte que coûte. Qu’il était nécessaire que la responsable du CSU puisse visionner les bandes vidéo pour indiquer où se trouvait le barriérage, la présence des forces de l’ordre… Afin d’avoir toutes les données nécessaires à la bonne information du Directeur général de la police nationale et du ministre.

Des fonctionnaires de police de Nice, dépêchés sur ses ordres au CSU, se sont donc relayés auprès de Mme Bertin pour qu’elle écrive ce rapport. Comme le relève le tribunal, ceux-ci se sont présentés, pour des questions de commodité, soit comme venant pour le compte du « cabinet du ministère de l’intérieur », soit évoqué une demande du émanant du « ministère » ou d’une « personne du ministère ».

L’enquête a montré que la commissaire Myriam Benrhala, a passé ce 15 juillet, 13 appels en deux heures à Mme Bertin. Ces « appels répétés » n’ont fait qu’accroître la tension de la policière, relève le tribunal. Que le souhait de Mme Benrhala de disposer d’une version modifiable du rapport « a pu constituer (pour Mme Bertin) un facteur supplémentaire de défiance », note le tribunal.

À ceci, il faut, selon le tribunal, ajouter la « fatigue physique et nerveuse incontestable de la prévenue qui venait de vivre en direct l’une des tragédies les plus terribles qui soit ». Cela a pu « concourir à une mauvaise compréhension de la demande » de Mme Benrhala.

Au vu de tous ces éléments, le tribunal a jugé que Mme Bertin « a pu, en toute bonne foi, interpréter de manière erronée la demande de Myriam Benrhala, et ce aussi bien en son contenu qu’en son origine, et exprimer, ainsi, son incompréhension, ses doutes, voire sa colère, par le biais des propos poursuivis.

Le tribunal a rejeté la constitution de partie civile de l’administration de la police nationale, « entité dont les contours précis restent au demeurant à préciser », d’autant que l’expression « Place Beauvau » est « trop vague et trop générique pour estimer qu’elle coïncide avec l’entité en question ».

Dans un communiqué transmis par son avocat Me Basile Ader, Bernard Cazeneuve « se félicite que le tribunal ait considéré que ces accusations étaient dénuées de tout fondement, qu’elles étaient mêmes “inconcevables” ». Il a pris « acte que Mme Bertin (a) pu se tromper de bonne foi, sur ce qu’on lui demandait, dans des circonstances particulièrement pénibles, de fatigue et d’émotion ». Bernard Cazeneuve ne fera pas appel de cette décision.

De son côté, l’avocat de Sandra Bertin, Me Emmanuel Marsigny a déclaré que le tribunal a reconnu que sa cliente « avait tout à fait pu légitimement, au regard de ce qu’il s’était passé, penser que la demande venait du ministre de l’Intérieur dans des conditions faisant naître des suspicions ».

Le ministère public avait requis la relaxe de Mme Bertin. Si ses propos étaient incontestablement diffamatoires, il estimait qu’au regard du contexte de tension et de fébrilité qui régnaient après le drame, Mme Bertin avait pu se tromper de bonne foi sur la nature de l’intervention des fonctionnaires de police.