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Requalification lors de l’instruction : pas d’obligation d’entendre le mis en examen

Sauf si une qualification criminelle est substituée à une qualification correctionnelle, le juge d’instruction peut, lors d’un interrogatoire, requalifier les faits reprochés au mis en examen sans recueillir préalablement ses observations ou celles de son avocat, y compris si le quantum de la peine encourue au titre de cette nouvelle qualification est plus sévère.

par Sébastien Fucini, MCFle 12 juillet 2021

Par un arrêt à la motivation très détaillée, la chambre criminelle a affirmé, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, que, « sauf si une qualification criminelle est substituée à une qualification correctionnelle, le juge d’instruction peut, lors d’un interrogatoire, requalifier les faits reprochés à la personne mise en examen sans recueillir préalablement ses observations ou celles de son avocat, y compris si le quantum de la peine encourue au titre de cette nouvelle qualification est plus sévère ». Pour en venir à cette affirmation, elle a procédé à un long raisonnement, par lequel elle a affirmé que l’article 6 n’impose pas une telle obligation lors de l’information judiciaire, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ayant affirmé qu’une telle obligation s’impose avant le procès dans l’acte d’inculpation ou au cours du procès. La chambre criminelle rejette ainsi un pourvoi à l’encontre d’un arrêt qui avait refusé la nullité tirée de l’absence de recueil préalable des observations du mis en examen avant la requalification des faits par le juge d’instruction.

De manière générale, l’exigence de respect du contradictoire impose le respect de certaines obligations en cas de requalification des faits. On le sait, la juridiction de jugement n’est pas tenue par les faits tels qu’ils ont été qualifiés dans l’acte de saisine, et les juges doivent restituer aux faits leur exacte qualification juridique (Crim. 20 nov. 1974, n° 74-91.918 ; 15 mars 2017, n° 16-82.609). Mais ils doivent préalablement mettre les parties en mesure de s’expliquer sur la nouvelle qualification envisagée (Crim. 27 janv. 2015, n° 14-81.723, AJ pénal 2015. 255, obs. G. Pitti  ; 8 mars 2017, n° 15-82.657). C’est ainsi que la Cour de cassation considère qu’une condamnation à la suite d’une requalification sans avoir permis aux parties de s’expliquer sur la nouvelle qualification retenue encourt la cassation (v. par ex. Crim. 12 juill. 2016, n° 15-80.477). Ce principe, qui n’est pas expressément prévu par la loi, se fonde selon la chambre criminelle sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette exigence de contradictoire préalablement à la requalification des faits ne s’applique pas, en principe, durant l’information judiciaire, puisque la qualification peut toujours évoluer jusqu’à la décision de renvoi, voire devant la juridiction de jugement. Une exception est cependant prévue par la loi : si les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime, le juge d’instruction doit le notifier à l’intéressé et recueillir préalablement ses éventuelles observations et celles de son avocat (C. pr. pén., art. 118, al. 1er). Cette règle est essentielle, puisqu’il est précisé qu’« à défaut de cette notification, il ne peut être fait application des dispositions de l’article 181 », autrement dit il ne peut être pris une ordonnance de mise en accusation.

Cependant, cette exigence de recueillir préalablement les observations ne s’applique pas en cas de requalification d’un délit en un autre délit. Dans l’arrêt commenté, la chambre criminelle justifie cette distinction par les conséquences importantes d’une requalification criminelle, notamment quant au régime de détention et à la juridiction compétente pour connaître de tels faits. C’est ainsi qu’elle justifie de ne pas étendre aux requalifications délictuelles la règle prévue à l’article 118 du code de procédure pénale. Or, dans une moindre mesure, des différences peuvent également exister en cas de requalification de délit à délit, notamment sur la durée maximale de la détention provisoire (C. pr. pén., art. 145-1).

C’est cependant sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme que se situe le cœur du raisonnement de la chambre criminelle. Citant la jurisprudence européenne, elle affirme que si l’accusé doit être informé des modifications de l’accusation et doit disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense sur la base de cette nouvelle qualification (CEDH 25 juill. 2000, Mattoccia c. Italie, req. n° 23969/94), cette information doit être donnée avant le procès dans l’acte d’inculpation ou, à tout le moins, au cours du procès (CEDH 20 avr. 2006, I.H. c. Autriche, req. n° 42780/98). Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais imposé de permettre aux parties de présenter des observations préalablement à une requalification intervenant dans la phase préparatoire du procès pénal. Elle insiste régulièrement sur l’exigence de procéder à un tel débat « en temps utile », que ce soit dans la phase préparatoire ou, à défaut, devant la juridiction de jugement (CEDH 19 déc. 2006, Mattei c. France, req. n° 34043/02, AJ pénal 2007. 82, obs. C. Saas ). Or, lorsqu’une telle requalification intervient durant l’information judiciaire, l’intéressé peut être entendu dans le cadre d’un interrogatoire ultérieur ou, à défaut, après la délivrance de l’avis de fin d’information, puis devant la juridiction de jugement. Les exigences découlant du principe du contradictoire ne doivent ainsi pas conduire à imposer un débat préalable systématique avant toute requalification lors de l’instruction.