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Le retour du juge de l’exécution

Dans l’attente de l’adoption d’une disposition législative instaurant le recours du débiteur contre la mise à prix en matière de saisie de droits incorporels, le juge de l’exécution demeure compétent, dans les limites de la décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023, en application de l’article L. 213-6, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction résultant de cette décision, pour connaître des contestations des mesures d’exécution forcée mobilière.

L’abrogation partielle du premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire est sans incidence sur le cinquième alinéa aux termes duquel le juge de l’exécution connaît de la saisie des rémunérations, à l’exception des demandes ou moyens de défense échappant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, ce dont il résulte que le juge de l’exécution demeure compétent pour statuer sur la demande du créancier et les contestations y afférentes.

Le juge de l’exécution est revenu… mais à quel prix ? Tels sont l’apport de cet avis retentissant et la question qu’il pose inévitablement. À l’analyse, la solution est pratiquement bonne mais très problématique sous l’angle des sources du droit – car elle laisse l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire en état d’indétermination normative – et sous celui de l’autorité des décisions du juge constitutionnel – que, malgré les apparences, l’avis foule au pied.

Avant d’en venir à ce point, une recontextualisation s’impose à destination de ceux qui n’auraient pas suivi cette saga qui, aujourd’hui, déborde largement le cadre restreint des voies civiles d’exécution.

L’abrogation partielle de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire

L’histoire commence en 2023 par une décision du Conseil constitutionnel saisi sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

En substance, le requérant est débiteur dans le contexte d’une saisie de droits incorporels. Pour y échapper, il querelle la constitutionnalité de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire au départ d’une allégation : dans une telle procédure, le créancier poursuivant fixerait unilatéralement le prix de l’adjudication forcée des droits incorporels, sans que le débiteur puisse former un recours aux fins d’en obtenir une plus juste appréciation. Le requérant y voit une entrave à son droit à un recours effectif et reproche au législateur une incompétence négative par omission en ne prévoyant aucun recours en la matière. La QPC fait mouche.

Par une décision du 17 novembre 2023, les Sages de la rue de Montpensier censurent partiellement l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire par l’abrogation des mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de leur exécution forcée » (Cons. const. 17 nov. 2023, n° 2023-1068 QPC, Dalloz actualité, 21 nov. 2023, obs. F. Kieffer ; D. 2023. 2050 ; ibid. 2024. 1301, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier ; RTD civ. 2024. 727, obs. N. Cayrol ). L’abrogation est néanmoins différée. Le Conseil constitutionnel prévoit une condition et un terme dans lequel elle se trouve enfermée : jusqu’à l’adoption d’une disposition législative corrective (condition) et au plus tard au 1er décembre 2024 (terme), le juge de l’exécution demeurera compétent et le débiteur sera admis à contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication forcée dans le cadre d’une procédure de saisie de droits incorporels. Le Conseil ménagea ainsi la chèvre et le chou, laissant au législateur le temps de corriger son omission prétendue.

Après quelque temps, la correction fut programmée, prête à être votée. Mais c’était sans compter la funeste dissolution de juin 2024, qui tout balaya. Chacun sait le marasme politique et parlementaire qui s’ensuivit, et ce qui devait arriver arriva : au 1er décembre 2024, aucune disposition législative n’était venue rectifier l’omission du législateur. La censure partielle de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire allait donc déployer son plein effet au 1er décembre 2024.

La réaction ministérielle

En catastrophe, la Chancellerie a publié une circulaire (Circ. n° CIV/06/24 du 28 nov. 2024, BOMJ 29 nov.) dont l’objet était de tirer les conséquences de l’absence de disposition législative correctrice au 1er décembre 2024 et, donc, de prendre la mesure de l’abrogation partielle de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire à cette date. De la décision du 17 novembre 2023 du Conseil constitutionnel, la Chancellerie fera une interprétation maximaliste.

Selon le ministère, « le JEX ne sera plus compétent à compter du 1er décembre 2024 pour statuer sur les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée d’un titre exécutoire. La portée de la décision du Conseil constitutionnel n’est pas limitée à la seule saisie de droits incorporels ; elle s’étend à toutes les contestations portées à l’encontre des mesures d’exécution forcée de nature mobilière ».

Le tribunal judiciaire, pris en ses formations ordinaires, devait donc prendre le relais en raison de sa compétence résiduelle.

La difficulté est que l’analyse de l’exécutif ne fut pas partagée par tous. Assurément, elle en a convaincu certains, mais une portion non négligeable est demeurée non convaincue, ce qu’elle a fait savoir au ministère qui a, le 5 décembre 2024, livré un complément d’analyse par voie de dépêche. Au moyen de celle-ci, le ministère a doublement détaillé son raisonnement :

Primo, le dispositif de la décision constitutionnelle est clair quant à la portée de l’abrogation partielle de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire. En particulier, il est souligné que le « Conseil constitutionnel n’a, en l’espèce, pas limité la portée de la censure à la seule compétence du juge de l’exécution pour connaître des contestations qui s’élèvent à l’occasion d’une saisie de droits incorporels ».
 

Secundo, l’article L. 213-6, alinéa 1er, considéré en sa partie pertinente (« des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée ») instaure une compétence d’attribution – celle du JEX de statuer sur les difficultés d’exécution mobilière – relevant du domaine réservé au pouvoir législatif. Or, aucune autre disposition législative ne serait de nature à consolider concurremment cette compétence d’attribution, qui disparaitrait donc avec l’abrogation partielle de l’article L. 213-6.

Le JEX ne pourrait donc connaître des contestations relatives à l’exécution forcée en matière mobilière non plus que des difficultés relatives aux titres exécutoires, faute d’autonomie de cette dernière compétence (car le JEX ne saurait connaître de pareilles difficultés qu’à l’occasion d’une mesure d’exécution forcée, Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 19-25.156, Dalloz actualité, 13 avr. 2021, obs. F. Kieffer ; Rev. prat. rec. 2021. 14, chron. R. Laher et O. Salati ). Seule consolation : la saisie immobilière serait préservée par le maintien de l’article L. 213-6, alinéa 3, du code de l’organisation judiciaire (pour une pondération générale des conséquences qui seraient associées à la « mort du JEX », K. Castanier, En matière de contestation de saisie mobilière, le juge de l’exécution est mort, vive le tribunal judiciaire !, Dalloz actualité, 3 déc. 2024).

Les réactions doctrinales et praticiennes

Cette analyse augmentée n’a pas davantage convaincu la doctrine et les praticiens, du moins pas tous (v. not., C. Bléry et C. Roth, La mort du JEX : une annonce tout à fait exagérée, Droit en débats, 17 déc. 2024 ; A. Morf, Les conséquences procédurales de l’abrogation partielle de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, Procédures, n° 2, févr. 2025, p. 3), et ceci principalement pour deux raisons.

D’une part, l’analyse ministérielle faisait peu de cas du cinquième alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, qui paraît effectivement prévoir – et donc maintenir – la compétence du JEX en matière de saisie des rémunérations (en ce sens égal., K. Castanier, préc.). Nous y reviendrons.

D’autre part et surtout, méritait aussi considération le sixième alinéa de l’article L. 213-6, qui pouvait précisément servir de base légale à la compétence du JEX en matière d’exécution mobilière : « Le juge de l’exécution exerce également les compétences particulières qui lui sont dévolues par le code des procédures civiles d’exécution ». Cette disposition-relais, voie de passage entre la loi et le règlement, permettrait, à elle seule et par la grâce de sa formule générale, de préserver l’essentiel des compétences du JEX en matière mobilière, le code des procédures civiles d’exécution regorgeant de dispositions réglementaires permettant de consolider sa compétence d’attribution en la matière.

En somme, le premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire « n’est pas de valeur supérieure aux autres ; il ne conditionne pas leur existence » (C. Bléry et C. Roth, préc.) et en application de ces autres alinéas, ainsi que de quelques dispositions législatives éparses, « le JEX a, en réalité, conservé sa compétence, protégée par de nombreux textes » (C. Bléry et C. Roth, préc.). Incidemment, les mêmes observateurs souligneront que « les motifs de la décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023 ne portent pas sur d’autres mesures d’exécution forcée que la saisie des droits incorporels, de sorte que l’abrogation décidée en raison de l’incompétence négative du...

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