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Russie : vers un encadrement plus strict des mesures d’éloignement des prisonniers

Pouvant aller à l’encontre du droit à la vie privée et familiale pour les prisonniers russes, et faisant l’objet de requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme, l’éloignement des condamnés pourrait faire l’objet d’un encadrement plus strict.

par Maxence Peniguetle 22 février 2018

Le respect du droit à une vie privée pour les personnes emprisonnées en Russie serait-il en passe de se voir amélioré ? C’est en tout cas ce que laisse penser une proposition d’amendement du code d’application des peines du pays présenté par Tatiana Moskalkova, l’Ombudsman des droits de l’homme de la Fédération de Russie. 

La situation actuelle

Au 1er février, selon les chiffres du Service fédéral des pénitenciers, le nombre de prisonniers s’élevait à 600 262. D’après les chiffres du directeur adjoint de l’institution, Valery Boyarinov, 80 % d’entre eux ne sont pas soumis à un éloignement forcé, rapporte le journal Kommersant. Interrogé par le quotidien, Andrei Babushkin, activiste et membre du Conseil présidentiel pour les droits de l’homme, estime lui qu’il y aurait « au moins 100 000 personnes isolées de leurs proches ».

Il s’agit des condamnés pour les crimes les plus graves, mais aussi des femmes et des mineurs de régions non équipées en infrastructures spécialement conçues pour eux. « Parfois même, ils envoient les condamnés dans des régions éloignées sans raison valable », remet en perspective Sergei Petryakov, à la tête de l’organisation de défense des droits de l’homme Zona Pravda.

Faire intervenir la Cour européenne des droits de l’homme

L’organisation, spécialisée dans la défense des prisonniers, met un point d’honneur à attaquer devant la Cour européenne des droits de l’homme les décisions d’éloignement. Le dernier exemple en date, avec la collaboration de l’avocat Igor Sholokhov, concerne un homme de 33 ans, originaire de la République de Kabardino-Balkarie, dans le Caucase. Condamné pour meurtre à vingt ans de régime pénitentiaire strict, Aslan Cherkesov purge sa peine au sein de la colonie de Krasnoyarsk, en Sibérie, soit à plus de 4 000 kilomètres par la route de sa région d’origine.

En l’éloignant ainsi, il estime que les autorités russes ont violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au respect de la vie privée et familiale. D’après Zona Pravda, Aslan Cherkesov n’a eu que trois visites familiales depuis 2012. À l’absence de visites, ses lettres sont souvent envoyées aux oubliettes, et celles qu’il devrait recevoir ne lui sont pas remises.

« Ce problème est systémique et viole les droits de milliers de condamnés qui se trouvent dans les institutions pénitentiaires de Russie », explique Sergueï Petryakov. Son organisation supporte maintenant huit plaintes adressées à la Cour européenne en relation avec l’éloignement de prisonniers. En mars 2017, dans une affaire similaire (CEDH 7 mars 2017, Polyakova et autres c/ Russie, n° 35090/09, AJ pénal 2017. 301, obs. S. Lavric ), la Cour strasbourgeoise avait donné raison aux demandeurs.

Ce qui pourrait changer

La problématique du placement des condamnés dans des régions reculées est abordée dans le rapport annuel 2017 de l’Ombudsman des droits de l’homme, Tatiana Moskalkova. « C’est un très gros problème, car les personnes concernées doivent aller de Moscou à Arkhangelsk, en Carélie, de la Tchétchénie au territoire de Krasnoïarsk, et par conséquent les relations sociales sont brisées, les gens souffrent », a expliqué Tatiana Moskalkova lors de la remise officielle du rapport. « Nous demandons aux autorités de l’État de nous soutenir en s’adressant aux députés de la Douma [le Parlement russe, NDLR] pour modifier le code d’application des peines », a ajouté la juriste.

Le document proposé, selon le journal Kommersant, souhaite la modification de l’article 73, qui concerne les « lieux de privation de liberté ». Aujourd’hui le paragraphe premier de l’article indique que les personnes doivent purger leur peine dans leur région de résidence ou dans celles où elles ont été condamnées, mais laisse en même temps la possibilité de les envoyer dans d’autres régions « pour des raisons de santé, de sécurité personnelle ou avec leur consentement ».

En cas d’absence d’installations dédiées pour les mineurs et les femmes par exemple, ou simplement si l’incarcération s’avère impossible dans les centres existants, le paragraphe second dispose que les personnes concernées doivent être envoyées dans une « autre région ». C’est à ce niveau-là qu’intervient le changement proposé : remplacer « autre région » par « la région la plus proche ».

« Il était grand temps »

Cette proposition d’amendement est saluée par les organisations de défense des droits de l’homme. Pour Tanya Lokshina, directrice du programme de Human Rights Watch en Russie, et même s’il « était grand temps », c’est une « mesure nécessaire », qui va « dans l’intérêt de nos prisonniers (…) pour leur faciliter à eux ainsi qu’à leurs proches l’accès à une vie de famille ».