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Tag sur la statue de Colbert : le parquet réclame une amende de 800 €

Écrire à la peinture rouge « Négrophobie d’État » sur le socle de la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale se résume-t-il à une dégradation ou à un délit d’opinion ? Le parquet de Paris a requis une amende de 800 € quand la défense a plaidé la relaxe. Décision le 28 juin.

par Pierre-Antoine Souchardle 11 mai 2021

Quelle plus belle tribune médiatique pour un militant de la cause noire que d’être jugé le 10 mai, journée nationale des mémoires et de réflexion sur la traite, l’esclavage et leurs abolitions ? « Cette journée qu’on jette comme un os à un chien, c’est ce jour-là que la justice française me considère comme un vulgaire délinquant », a regretté lundi Franco Lollia, éducateur et porte-parole de la Brigade anti-négrophobie.

« Je suis jugé pour une affaire de coloriage, de gribouillis », ironise-t-il à la barre de la 28e chambre du tribunal judiciaire de Paris. Franco Lollia est poursuivi pour avoir, le 23 juin 2020, barbouillé la statue de Colbert au pied de l’Assemblée nationale et inscrit sur le socle « Négrophobie d’État ». Un geste pour dénoncer « l’hypocrisie » de la France qui honore tout à la fois l’initiateur du Code noir et célèbre l’abolition de l’esclavage.

« J’ai voulu interpeller l’État français pour qu’il se questionne » sur sa négrophobie, explique-t-il. « Je suis jugé sur la forme et non sur le fond de l’action qui a été commise », poursuit M. Lollia, qui arbore un tee-shirt avec le symbole de son mouvement, une panthère noire sur rond argenté.

Injure faite à tous les Noirs

Ce jour de juin, lorsqu’il asperge de rouge – la couleur symbolisant le sang des victimes – la statue de Colbert, son geste, explique-t-il à la barre, s’analyse comme une dénonciation « de l’apologie de crime contre l’humanité ». La statue d’un homme qui s’est rendu coupable de tel crime est « une injure faite à tous les Noirs », souligne le militant. La statue de Colbert trouble l’ordre public social, en quelque sorte. « La présence de cette statue vandalise nos âmes et celles de nos ancêtres », a ainsi déclaré l’un des témoins du prévenu, Mme Jay Asani.

Citée comme témoin, la politologue et militante décoloniale Françoise Vergès s’est attachée à définir la négrophobie en s’appuyant sur le travail de Frantz Fanon, psychiatre, figure de l’anticolonialisme. Elle s’analyse, souligne-t-elle, « comme une névrose dont les symptômes comprennent l’attribution de caractéristiques négatives aux Noirs et aux choses noires, la peur anxieuse et le mépris des Noirs et de la culture noire, la haine des hommes noirs et l’objectivation des femmes noires ».

« Plutôt que de punir Franco, il serait temps d’entamer un processus de réparation et de mettre à disposition de la peinture pour les afro-descendants et tous ceux qui veulent, non pas effacer l’histoire, mais l’écrire en mettant au centre le respect de l’humanité de chacun », a poursuivi Mme Asani.

Délit d’opinion

Ni la partie civile ni le représentant du ministère public n’ont voulu entrer dans ce débat, préférant rester sur le terrain du droit, celui de l’élément intentionnel et de l’élément moral. « Il ne s’agit pas de dire si les faits historiques ont été commis ou non mais s’il y a une infraction pénale », a plaidé Me Ali Derrouiche, avocat de l’Assemblée nationale avant de réclamer 1 040,40 € au titre du préjudice matériel et 1 € symbolique au titre du préjudice moral.

« Monsieur Lollia ne conteste pas avoir peint une inscription sur la statue de Colbert », a relevé le procureur, Vincent Plumas. « Vous ne pouvez faire qu’une chose, entrez en voie de condamnation », a-t-il demandé au tribunal avant de requérir une amende de 800 €.

Les avocats de M. Lollia, Mes Georges-Emmanuel Germany, Guy Florentin, Patrice Tacita, Evita Chevry, Emmanuel Florentin, Emmanuelle Bruch, ont plaidé la relaxe, revenant sur l’histoire brutale de l’esclavage en Martinique ou en Guadeloupe.

« Dans une démocratie, la liberté d’expression est un droit fondamental. Vous êtes saisis d’un délit d’opinion », a attaqué Me Florentin. « L’intention n’était pas de dégrader mais de mettre en valeur le double discours d’un État », a-t-il ajouté. « Il a commis le geste juste, le geste utile socialement », a relevé Me Chevry, avant d’estimer qu’une relaxe s’imposait au nom de l’état de nécessité.

« On a prétendu que je voulais dégrader la statue. Ça n’a pas été le cas. Ce n’est pas une dégradation. C’est une amélioration qui visait, non pas à séparer, comme M. Macron aime le dire, mais qui visait à rassembler autour d’une histoire commune », a déclaré le prévenu à l’issue des plaidoiries de ses avocats. Il encourt jusqu’à 3 750 € d’amende et un travail d’intérêt général.