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Touche pas à mon poste : le CSA condamné à verser 1,1 million d’euros à la chaîne C8

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) devra indemniser la société C8 à hauteur de 1,1 million d’euros. C’est ce qu’a décidé le Conseil d’État le 13 novembre 2019, afin de réparer le préjudice subi par la chaîne, sanctionnée de façon indue par le CSA en raison d’une séquence controversée de l’émission « Touche pas à mon poste ».

par Claire Lamyle 22 novembre 2019

L’affaire débute en 2016. Au cours de l’émission « Touche pas à mon poste » (TPMP) animée par Cyril Hanouna, une séquence, tournée en caméra cachée, est diffusée avec pour objectif de piéger l’un des chroniqueurs. Celui-ci se retrouve témoin d’une fausse agression mortelle commise par l’animateur. Apparaissant tout d’abord déstabilisé, il décide d’appeler la police alors qu’il lui est demandé avec insistance de ne pas le faire. Il semble que le chroniqueur n’ait été avisé que le lendemain qu’il s’agissait d’une mise en scène.

Le CSA a été saisi de l’affaire. Il a considéré que le chroniqueur piégé a été placé dans une situation de détresse et de vulnérabilité manifeste pendant toute la durée de l’émission. En diffusant la séquence litigieuse, la société C8 a ainsi méconnu son obligation de retenue dans la diffusion d’images susceptibles d’humilier les personnes. Le CSA a condamné la chaîne, le 7 juin 2017 (v. Légipresse n° 350, juin 2017, p. 294), à une semaine d’interdiction de diffusion des séquences publicitaires au sein de l’émission, ainsi que pendant les quinze minutes précédant et suivant sa diffusion. Cette sanction a été exécutée à compter du 12 juin 2017.

Sur requête de la société C8, le Conseil d’État a annulé cette sanction le 18 juin 2018 (CE, 5e et 6e ch. réunies, 18 juin 2018, req. n° 412074, Légipresse 2018. 369 ; Lebon ; AJDA 2018. 2383 , chron. C. Nicolas et Y. Faure ; RFDA 2018. 949, concl. L. Marion ). La haute juridiction a jugé que la séquence litigieuse ne révélait, contrairement à ce qu’avait retenu le CSA, aucune méconnaissance des stipulations de l’article 2-3-4 de la convention du service C8 qui impose le respect de la dignité de la personne humaine. Le Conseil d’État a tenu compte du caractère humoristique de l’émission et de la protection qui s’attache à la liberté d’expression.

Forte de cette décision, C8 a demandé au Conseil d’État d’ordonner la réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi en raison de cette sanction « indue » du CSA, qu’elle avait exécutée. La chaîne réclamait la somme de 4,1 millions d’euros.

Par sa décision du 13 novembre 2019 (req. n° 415397), le Conseil d’État fait droit, sur le principe, à la demande de la chaîne. Il considère que l’illégalité de la décision de sanction prononcée par le CSA constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. Ainsi, la société C8 est en droit d’obtenir la réparation du préjudice qu’elle a subi, lequel est basé sur le montant des recettes publicitaires qu’elle aurait dû percevoir pour les séquences publicitaires qui ont été supprimées, en application de la sanction entachée d’illégalité.

Le Conseil d’État observe, au vu des éléments versés à l’instruction, qu’à la date de la décision attaquée, le chiffre d’affaires prévisionnel de la chaîne au titre des tranches horaires concernées par la sanction s’élevait, pour les trois semaines suivant le 12 juin 2017 (jour où la sanction a été exécutée), à 3,65 millions d’euros. Ce montant du carnet de commandes correspondait à un taux de remplissage de 84 % des écrans publicitaires en question. La perte de chiffre d’affaires ainsi évaluée doit toutefois faire l’objet d’un abattement de 9,7 % correspondant aux taxes et redevances directes qui auraient été payées par la chaîne sur ce chiffre d’affaires. Dans ces conditions, le Conseil d’État retient que la perte de recettes nette directement liée à la sanction annulée doit être estimée à 1,1 million d’euros.

En revanche, par une décision du même jour (req. n° 415396), le Conseil d’État rejette la requête de la chaîne C8 qui demandait une indemnisation pour une autre sanction du CSA qu’elle estimait illégale. Il s’agissait cette fois-ci d’une séquence, toujours diffusée dans l’émission TPMP, portant atteinte à l’image des femmes. Le Conseil d’État avait jugé le 18 juin 2018 (CE 18 juin 2018, req. n° 412071, Légipresse 2018. 369 ; Lebon ; AJDA 2018. 2383 , chron. C. Nicolas et Y. Faure ; RFDA 2018. 949, concl. L. Marion ) que la sanction n’était pas entachée d’illégalité. Il a donc logiquement considéré que la demande de réparation ne pouvait prospérer.