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Le travail au black, bête noire de l’ACOSS

Le bilan de la lutte contre le travail dissimulé reste décevant malgré des progrès. Publié hier, celui de 2017 confirme que l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) doit relever deux défis structurels : la faiblesse des redressements et du recouvrement.

par Ludovic Arbeletle 30 mai 2018

L’ACOSS continue de courir après le travail dissimulé. L’écart entre les redressements et la fraude sociale pour travail non déclaré est gigantesque. L’année 2017, dont un bilan a été livré à la presse hier, ne change pas fondamentalement la donne. Les sommes notifiées, qui s’élèvent à 541 millions d’euros contre 555 millions en 2016, restent beaucoup plus faibles que le manque à gagner, même s’il est toujours délicat d’évaluer la fraude. Sans parler du faible taux de recouvrement, quand il est connu. Le problème est structurel, de l’aveu implicite de l’ACOSS. Dans une étude qu’elle a publiée en 2016, qui apportait à la fois une nouvelle estimation et en republiait une ancienne, l’agence évaluait le manque à gagner en matière de cotisations sociales dans le secteur privé, dû au travail illégal, pour l’année 2012, à un montant compris entre 4,4 milliards d’euros (nouvelle estimation) et 24,7 milliards d’euros (ancienne estimation), selon la méthode retenue (v. le tableau ci-dessous).

Évaluation du manque à gagner en matière de cotisations sociales dans le secteur privé en 2012

  Estimation par contrôles aléatoires (*) Estimation par post-stratification (*)
Travail dissimulé 4,4 à 5,5 milliards d’euros 20,2 à 24,7 milliards d’euros
Hors travail dissimulé 1,8 à 2 milliards d’euros 1,8 à 2,2 milliards d’euros
Manque à gagner total 6,1 à 7,4 milliards d’euros 21,9 à 26,9 milliards d’euros

(*) englobe le manque à gagner des cotisations et contributions URSSAF et inclut les cotisations de retraite complémentaire.

Source : Évaluation de l’évasion fiscale, ACOSS, avril 2016.

Montants redressés au titre du travail dissimulé (en millions d’euros)

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Source : ACOSS.

Une estimation de la fraude sous-évaluée

Autant dire que les 541 millions d’euros redressés en 2017 font pâle figure même s’il faut reconnaître que les montants ont beaucoup augmenté depuis 2006, comme le montre le graphique ci-dessus. En février dernier, la Cour des comptes avait pointé du doigt des carences importantes dans la lutte contre le travail dissimulé. Les raisons tiennent à la fois au sujet du redressement et à celui du recouvrement. Ainsi, les magistrats financiers de la rue Cambon relevaient une évaluation insatisfaisante des cotisations éludées. D’ailleurs, l’ACOSS considère elle-même son estimation par contrôles aléatoires sous-évaluée, certains champs ayant été exclus comme celui de la fraude liée aux travailleurs indépendants ou aux particuliers employeurs. Ensuite, les magistrats financiers avançaient qu’« au régime général, la lutte contre le travail illégal (LCTI) représente une part toujours faible (16 %) de l’activité de contrôle des URSSAF, encore principalement tournée vers la correction des erreurs par le biais de contrôles comptables d’assiette. Les effectifs se consacrant à la LCTI sont passés de 156 à 170 entre 2014 et 2016, alors que l’ensemble de l’activité de contrôle (contrôles comptables et LCTI) emploie plus de 1 600 inspecteurs et contrôleurs du recouvrement sur un effectif total d’environ 13 000 salariés ».

Gestion des ressources humaines

À demi-mot, l’ACOSS reconnaît que les moyens humains alloués à la LCTI sont insuffisants. L’agence prévoit d’ailleurs que les inspecteurs du contrôle lui consacrent davantage de temps qu’aujourd’hui, 20 % sur la période 2018-2022. C’est aussi un sujet de gestion des ressources humaines. « Les redéploiements d’effectifs de contrôle se font dans le temps car ce ne sont pas forcément les mêmes compétences, argumente Yann-Gaël Amghar, directeur général de l’ACOSS. Ce n’est pas le même métier d’agir en situation frauduleuse et de vérifier l’exactitude juridique d’une déclaration d’une entreprise dans le cas d’un contrôle comptable d’assiette », ajoute-t-il.

Leviers technologique et juridique

L’agence compte aussi sur deux autres leviers pour améliorer les redressements notifiés. Premièrement, le développement du recours au ciblage pour mieux identifier les entreprises à risque. En 2017, un modèle expérimental de datamining a été lancé. Il calcule la probabilité d’une entreprise de générer une infraction de travail dissimulé. Le second levier est juridique. L’ACOSS compte sur l’actuel projet de loi relatif à la fraude pour obtenir un droit d’accès direct des organismes du recouvrement aux informations contenues dans les fichiers de l’administration fiscale.

Insolvabilité de certaines entreprises

L’ACOSS doit relever un autre défi majeur, celui du faible recouvrement des redressements pour travail au black. Dans ce même rapport, la Cour des comptes pointait du doigt que les notifications adressées en 2012 à la suite de redressements pour travail illégal n’étaient recouvrées qu’à hauteur de 12 % cinq ans plus tard – l’ACOSS évoque de son côté un taux de 11 % à trois ans. Explication du directeur général de l’ACOSS : « nous avons affaire à beaucoup d’entreprises qui organisent leur insolvabilité. Il y en a dont le business model repose sur le fait de ne jamais rien déclarer et de fermer dès qu’il y a un contrôle puis de recréer l’activité juste après ». Une nouveauté juridique pourrait contribuer à résoudre ce problème. La procédure de saisie conservatoire issue du décret du 25 septembre 2017. « Elle s’applique désormais systématiquement à tous les redressements dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé », apprécie l’ACOSS.

Manque de suivi régulier

Cela va-t-il résoudre l’intégralité des problèmes de recouvrement ? Pas sûr. Dans son rapport, la Cour des comptes relevait le fait que ce taux de recouvrement de 12 % est beaucoup plus faible que celui observé dans l’administration fiscale, qui avoisine 50 %. Réponse de l’ACOSS : la comparaison n’est pas fondée. L’agence considère notamment que les taux de recouvrement reflètent des champs de contrôle qui ne sont pas les mêmes. Selon elle, le domaine fiscal engloberait tous les types de contrôle, vérifications comprises, alors que celui de l’ACOSS serait limité à la LCTI. Mais la Cour des comptes pointait, toujours dans son rapport publié en février dernier, un autre problème, structurel : « le système d’information de l’ACOSS ne permet pas de connaître le total des sommes [recouvrées à la suite de constats d’erreurs ou de fraudes] car la mission de les collecter incombe à un autre service que celui qui dresse les constats, les montants à recouvrer n’étant pas distingués selon leur origine. L’ACOSS a seulement mis en œuvre, par des moyens ad hoc, un suivi ponctuel du recouvrement des redressements prononcés en 2012 à la suite d’actions de LCTI ». La lutte contre le travail dissimulé, c’est aussi un sujet d’organisation du travail de l’ACOSS.