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Trouble mental irréversible au cours du jugement : relaxe impossible

Lorsqu’il ne peut être statué sur la culpabilité d’une personne en raison de l’altération de ses facultés physiques ou psychiques survenue après les faits, la juridiction pénale, qui ne peut interrompre le cours de la justice, est tenue de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure.

par Sébastien Fucinile 14 septembre 2018

Si la loi contient des dispositions précises s’agissant des personnes atteintes de troubles mentaux au moment des faits, il en va autrement lorsque ces troubles apparaissent lors de l’instruction ou du jugement. Par un arrêt du 5 septembre 2017 rendu par la formation plénière de la chambre criminelle et promis à l’analyse au rapport annuel, la Cour de cassation affirme, dans un premier temps, qu’il se déduit de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 470 du code de procédure pénale qu’« il ne peut être statué sur la culpabilité d’une personne que l’altération de ses facultés physiques ou psychiques met dans l’impossibilité de se défendre personnellement contre l’accusation dont elle fait l’objet, fût-ce en présence de son tuteur et assistée d’un avocat ». Elle ajoute, dans un second temps, qu’« en l’absence de l’acquisition de la prescription de l’action publique ou de disposition légale lui permettant de statuer sur les intérêts civils, la juridiction pénale, qui ne peut interrompre le cours de la justice, est tenue de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure et ne peut la juger qu’après avoir constaté que l’accusé ou le prévenu a recouvré la capacité à se défendre ». La chambre criminelle a par conséquent cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel, qui avait relaxé le prévenu au motif qu’il présentait une altération irréversible de ses facultés intellectuelles. Ainsi, même s’il est établi que les troubles mentaux sont irréversibles et empêcheront tout jugement du prévenu à l’avenir, le juge ne peut que surseoir à statuer. Si cette décision est conforme à la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation en la matière, elle pose des difficultés particulières s’agissant de l’exercice de l’action civile.

La chambre criminelle a tout d’abord affirmé qu’une personne qui est dans l’impossibilité de se défendre en raison de troubles physiques ou mentaux ne peut faire l’objet d’un jugement sur sa culpabilité. Ce principe n’est cependant prévu par aucun texte. Pourtant, un certain nombre de textes existent en la matière. L’article 122-1 du code pénal, tout d’abord, prévoit une cause d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, lorsque ce dernier a aboli le discernement de l’auteur au moment des faits. Pour l’application de cette cause d’irresponsabilité, la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 a instauré, aux articles 706-119 et suivants du code de procédure pénale, une procédure particulière, pouvant aboutir à une ordonnance ou à un arrêt d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Le législateur a également prévu, par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, des dispositions particulières pour la poursuite, l’instruction et le jugement des majeurs protégés (C. pr. pén., art. 706-112 s.). Mais la loi ne prévoit rien lorsque l’intéressé présente lors de l’instruction ou du jugement un trouble mental d’une telle importance qu’il rend impossible la préparation de sa défense. Dans des termes similaires à ceux employés dans la décision commentée, la chambre criminelle avait déjà affirmé qu’en présence d’une altération des facultés telle qu’elle rendait impossible la préparation de la défense, il devait être sursis au renvoi du mis en examen devant la juridiction de jugement (Crim. 11 juill. 2007, n° 07-83.056, Bull. crim. n° 185 ; D. 2007. 2239 ; AJ pénal 2007. 485, obs. C. Saas ; v. aussi Rép. pén., Troubles psychiques – Malades mentaux, par E. Bonis-Garçon, n° 47). Le présent arrêt réaffirme le même principe s’agissant de la phase de jugement.

Pour ce faire, la Cour de cassation se fonde sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme : il s’agit d’asseoir ce principe sur le droit au procès équitable, et plus particulièrement sur le droit pour tout accusé de se défendre lui-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a en effet pu affirmer que le droit au procès équitable inclut « le droit de participer réellement à son procès », ce qui suppose de pouvoir comprendre et suivre les débats (CEDH 23 févr. 1994, Stanford c. Royaume-Uni, n° 16757/90, § 26). S’agissant d’une personne atteinte de troubles mentaux lors de son jugement, la CEDH a considéré que celle-ci pouvait être jugée dès lors que son état de santé lui permettait de se défendre convenablement. En revanche, dès lors que la capacité du requérant à se défendre est altérée « au point de l’empêcher d’être conscient de l’enjeu de la procédure », le fait de le juger pourrait être contraire à l’article 6 de la Convention (CEDH 23 févr. 2012, G… c. France, n° 27244/09, § 57, Dalloz actualité, 13 mars 2012, obs. O. Bachelet ; ibid. 1294, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2012. 357, obs. J.-P. Céré ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; RDSS 2012. 678, note P. Hennion-Jacquet ; RSC 2012. 683, obs. D. Roets ; ibid. 693, obs. D. Roets ). La Cour de cassation précise bien à ce sujet qu’il importe peu que l’intéressé soit jugé en présence de son tuteur et assisté de son avocat : l’exercice des droits de la défense implique la possibilité pour le prévenu de communiquer avec ses avocats et de préparer avec eux une ligne de défense.

Dans un second temps, et c’est là tout l’intérêt de l’arrêt, la chambre criminelle a précisé que les juges du fond ne pouvaient pas prononcer une relaxe en raison du caractère irréversible des troubles psychiques : la juridiction pénale ne peut que surseoir à statuer. La particularité tenait ici à ce que les experts avaient estimé que le prévenu était atteint d’une maladie le privant « de façon irréversible et définitive de ses capacités intellectuelles ». La cour d’appel avait alors estimé que le sursis à statuer n’était pas justifié et surtout qu’il paralysait l’action civile. En effet, en vertu de l’article 4, alinéa 2, du code de procédure pénale, il est sursis au jugement de l’action civile « tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement ». Or, en l’espèce, l’action publique avait bien été mise en mouvement et si le juge surseoit à statuer, il ne se prononce pas définitivement sur celle-ci. Certes, la partie civile pourrait exercer son action devant le juge civil : l’article 5 du code de procédure pénale ne s’oppose pas à ce que la partie civile renonce à son action devant le juge répressif pour la porter devant le juge civil. Il n’en reste pas moins que ce dernier serait tenu de surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une décision définitive sur l’action publique soit rendue par le juge répressif. Il en résulte, en l’espèce, l’impossibilité pour les parties civiles d’exercer l’action civile : si les troubles mentaux altèrent définitivement et de manière absolue les capacités intellectuelles du prévenu, la juridiction répressive devra sans cesse surseoir à statuer ; l’action publique mise en mouvement, il devra être sursis au jugement sur l’action civile tant qu’il n’aura pas été rendu une décision définitive par la juridiction répressive.

Cette difficulté n’a pas été niée par la chambre criminelle, mais elle a constaté que la cour d’appel « ne pouvait pas relaxer le prévenu pour un motif non prévu par la loi ». L’article 470 du code de procédure pénale prévoit en effet que, « si le tribunal estime que le fait poursuivi ne constitue aucune infraction à la loi pénale ou que le fait n’est pas établi, ou qu’il n’est pas imputable au prévenu, il renvoie celui-ci des fins de la poursuite ». Ce sont les seuls motifs pour lesquels le juge peut prononcer une relaxe. Certes, il n’est probablement pas opportun de prononcer une relaxe au motif de l’impossibilité du prévenu de se défendre découlant de troubles physiques ou mentaux. Souvent, un sursis à statuer sera d’ailleurs efficace, l’intéressé pouvant retrouver son aptitude à préparer sa défense au bout d’un certain temps. Mais pour les cas dans lesquels il peut être établi avec certitude que l’impossibilité de préparer sa défense est définitive, il serait opportun pour le législateur de prévoir une possibilité de mettre fin à l’action publique plutôt que de renvoyer sans cesse l’affaire à une audience ultérieure, et à tout le moins de permettre aux victimes d’exercer l’action civile.