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Violences conjugales et CEDH : caractérisation de la tolérance générale

Les autorités bulgares n’ont pas protégé une femme tuée par son mari (violation de Conv. EDH, art. 2 : droit à la vie), mais la tolérance générale à l’égard de la violence contre les femmes n’a pas été démontrée (non-violation de Conv. EDH, art. 14 : interdiction de discrimination).

par Marine Chollet, Magistratele 22 avril 2022

Dans cette affaire, Mme V, a été tuée le 18 août 2017 par son mari, dont elle était séparée depuis 2014, par cinq tirs à bout portant dans la tête et le torse à une terrasse de café de Sofia. Elle avait déposé quatre plaintes contre son mari pour des faits de menaces de mort, de dégradations, de stalking (le fait de suivre quelqu’un de manière répétée ou de lui faire savoir que vous le surveillez, au point de lui faire craindre pour sa sécurité et son intégrité, selon la définition de la loi bulgare), la dernière fois quelques heures avant l’issue fatale. Elle avait également obtenu, quelques mois avant les faits, à titre provisoire en février 2017, puis à titre définitif en août 2017, une ordonnance de protection faisant l’interdiction à son ex-mari de l’approcher à moins de cent mètres, ainsi que son domicile et ses lieux de vie pendant un an. Elle en avait également signalé la violation par son agresseur en disant craindre pour sa vie, d’autant qu’elle le savait détenteur d’une arme.

L’enquête disciplinaire, qui a abouti à sanctionner plusieurs policiers, a révélé qu’à plusieurs reprises, ses plaintes avaient été confiées à différents officiers de police sans véritable suivi et sans appliquer les consignes issues de la loi de protection contre les violences domestiques de 2005, fixant notamment un délai de traitement accéléré.

L’ordonnance de protection dont elle bénéficiait n’a pas été transmise dans les délais aux autorités de police compétentes. À une seule exception près, où une patrouille de police est intervenue à la demande de sa mère aux prises avec son gendre qui voulait prendre en charge seul ses enfants, aucune de ses plaintes successives n’a donné lieu à une réponse appropriée au regard du danger réel et immédiat qu’elle encourait : aucune poursuite n’a été engagée, la saisie des armes de son agresseur n’a jamais été envisagée et en dépit des violations de l’ordonnance de protection, il ne lui a pas été accordée de protection policière, pourtant prévue en Bulgarie dans de telles hypothèses (la section 4, 2, de la loi de protection contre les violences domestiques de 2005 prévoit que la victime dont la vie ou la santé sont en danger peut demander des mesures de protection policière telles que de venir sur place inspecter les lieux, ou lui apporter une assistance immédiate. Dans un tel cas, l’officier saisi de la plainte doit immédiatement vérifier si l’agresseur présumé est détenteur d’une autorisation de détention d’arme et doit chercher à l’entendre sur les faits dénoncés ainsi que des témoins).

En particulier, elle avait signalé dès 2016 les faits suivants : ses pneus avaient été lacérés au cours d’une dispute où il l’avait menacée de mort à plusieurs reprises ; elle avait été suivie plusieurs fois en voiture par son ex-mari, et ce même après l’obtention d’une ordonnance de protection ; il l’avait plusieurs fois menacée de mort et poursuivie à pied au point qu’elle avait été obligée de s’enfuir en courant et de trouver refuge chez un tiers ; il était détenteur d’une arme de poing (dont il s’est avéré qu’il la détenait sans autorisation, son permis étant expiré depuis de nombreuses années).

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) examine non seulement la législation interne de la Bulgarie, qui apparaît relativement proche de la nôtre, en ce qu’elle prévoit la possibilité d’obtenir dans des délais très courts une ordonnance de protection provisoire, puis, sous quelques mois, définitive, dont la violation est réprimée pénalement, mais prévoit également la possibilité de saisir les armes d’un agresseur présumé. Elle est extrêmement précise sur la...

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