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Inconstitutionnalité du régime de restriction des communications en détention

L’absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat de s’opposer à ce que la personne prévenue corresponde par écrit avec les personnes de son choix est contraire à la Constitution.

par Dorothée Goetzle 26 juin 2018

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 avril 2018 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 40 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Relatif aux relations de la personne détenue avec l’extérieur, ce texte précise que « les personnes condamnées et, sous réserve que l’autorité judiciaire ne s’y oppose pas, les personnes prévenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix ». Aux yeux du requérant, à savoir la section française de l’Observatoire international des prisons, cette disposition méconnaîtrait, pour deux raisons, le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. En effet, d’une part, la décision par laquelle l’autorité judiciaire s’oppose à l’exercice, en détention, du droit de correspondre par écrit des personnes prévenues ne peut pas être contestée. D’autre part, les motifs susceptibles de justifier cette opposition ne sont pas précisés. Ces arguments sont identiques à ceux soulevés par la section française de l’Observatoire international des prisons dans une QPC du 24 mai 2017 relative à la délivrance des permis de visite et à l’autorisation d’accès au téléphone en cours de détention provisoire (Cons. const. 24 mai 2016, n° 2016-543 QPC, Dalloz actualité, 30 mai 2016, obs. M.-C. de Montecler ; D. 2016. 1137 ; AJ pénal 2016. 334 ; Constitutions 2016. 359, Décision ; ibid. 2017. 86, chron. A. Ponseille ).

Le Conseil constitutionnel place au cœur de son argumentation l’emblématique article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution ». Selon ce texte, qui a déjà été à l’origine de plusieurs déclarations d’inconstitutionnalité, l’absence de recours peut être potentiellement contraire à la Constitution (Cons. const. 13 juill. 2011, n° 2011-153 QPC, D. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2012. 44, obs. L. Ascensi ; Constitutions 2011. 520, obs. E. Daoud et A. Talbot ; RSC 2012. 233, obs. B. de Lamy ; 2 déc. 2011, n° 2011-203 QPC, D. 2012. 449, point de vue C.-J. Berr ; 21 mars 2014, n° 2014-375 QPC, D. 2014. 730 ; ibid. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2015. 1457, obs. L. Gay et A. Mangiavillano ; 4 avr. 2014, n° 2014-387 QPC, D. 2014. 829 ; ibid. 2015. 1457, obs. L. Gay et A. Mangiavillano ; Dr. soc. 2014. 948, chron. R. Salomon ; RSC 2014. 361, obs. A. Cerf-Hollender ). Ce principe, qui est une composante des droits de la défense (v. Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 18e éd., Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2016, p. 80), sert de point de départ au raisonnement du Conseil constitutionnel qui l’interprète comme signifiant qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes d’exercer un recours effectif devant une juridiction. Or, en l’espèce, ni l’article 40 ni aucune autre disposition ne permettent de contester devant une juridiction une décision refusant l’exercice, pour un individu placé en détention provisoire, du droit de correspondre par écrit avec les personnes de son choix. Dans une logique juridique implacable, le Conseil constitutionnel en conclut que « l’absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat conduit dès lors à ce que les dispositions contestées méconnaissent les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ». En conséquence sont déclarés contraires à la Constitution les mots « sous réserve que l’autorité judiciaire ne s’y oppose pas » figurant au premier alinéa de l’article 40 de la loi du 24 novembre 2009.

La date de l’abrogation est reportée au 1er mars 2019. Jusqu’à cette date, les personnes placées en détention provisoire pourront contester devant le président de la chambre de l’instruction les décisions de refus de l’autorité judiciaire. Cette contestation s’opérera dans les conditions prévues par la deuxième phrase du quatrième alinéa de l’article 145-4 du code de procédure pénale. Selon ce texte, le demandeur peut déférer la décision de refus « au président de la chambre de l’instruction, qui statue dans un délai de cinq jours par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. Lorsqu’il infirme la décision du juge d’instruction, le président de la chambre de l’instruction délivre le permis de visite ou l’autorisation de téléphoner ». Cette disposition est consécutive à la QPC du 24 mai 2016 relative à l’absence de voie de recours à l’encontre des décisions relatives au permis de visite et à l’autorisation de téléphoner d’une personne placée en détention provisoire. Il est intéressant de constater que cans cette décision, le Conseil constitutionnel a considéré, dans des termes identiques à ceux de la QPC rapportée, qu’au regard des conséquences qu’entraînent les refus de permis de visite et de téléphoner pour une personne placée en détention provisoire, l’absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat méconnaît l’article 16 de la Déclaration de 1789. Elle prive également de garanties légales la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale.

Il résulte de la lecture combinée de ces deux QPC que la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’inscrit aujourd’hui résolument et plus que jamais dans un mouvement de juridictionnalisation des décisions rendues à l’égard des personnes détenues en établissement pénitentiaire.