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Champ temporel des revirements de jurisprudence : la sévérité de la Cour européenne

Un revirement de jurisprudence peut, sous certaines réserves, s’appliquer à des situations juridiques nées avant son prononcé.

par O. Bacheletle 1 juin 2011

Alors que la question du champ d’application dans le temps des revirements de jurisprudence a, encore très récemment, donné lieu à de vives controverses en matière de garde à vue (Crim. 19 oct. 2010, D. 2010. 2434, obs. S. Lavric ; D. 2010. 2783, note J. Pradel ; D. 2010. 2809, note E. Dreyer ; JCP G. 2010, n° 1104, note H. Matsopoulou ; Gaz. pal. 24-26 oct. 2010, p. 15, note O. Bachelet ; Ass. plén., 15 avr. 2011, AJ Pénal 2011. 235, note S. Pellé ; Gaz. Pal. 17-19 avr. 2011, p. 10, note O. Bachelet), la Cour européenne a été amenée à se prononcer sur cette même question dans un contexte sensiblement différent.

En l’espèce, lors d’une opération de chirurgie esthétique, Mme Legrand contracta une infection nosocomiale. Elle engagea alors une action pénale à l’encontre du médecin. Renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires, celui-ci bénéficia d’une relaxe. À la suite du désistement de l’appel formé par Madame Legrand, ce jugement devint définitif.

Quelques mois plus tard, les époux Legrand saisirent les juridictions civiles afin d’obtenir la condamnation du médecin à leur verser des dommages-intérêts. Ce dernier fit alors valoir qu’une décision définitive avait déjà été rendue au pénal et qu’il était donc impossible de rejuger l’affaire en vertu du principe de l’« autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ». Cette exception fut, néanmoins, rejetée par les juges du fond, au moyen d’une distinction entre la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle du médecin, et ce dernier fut condamné à indemniser les époux Legrand.
Invoquant le bénéfice d’un arrêt rendu peu de temps auparavant, le 7 juillet 2006, par l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 7 juill. 2006, no 04-10.672, D. 2006. 2135, note L. Weiller ) le médecin forma un pourvoi. Reprenant la solution nouvellement dégagée dans cet arrêt, il fit valoir que les époux auraient dû présenter l’ensemble de leurs moyens dès leur première demande – à savoir devant le juge répressif –, un simple changement de fondement juridique ne suffisant plus à caractériser la nouveauté de la cause. Par application de sa nouvelle jurisprudence, la Cour de cassation cassa l’arrêt d’appel et priva ainsi définitivement les requérants de toute indemnisation.

Ceux-ci saisirent alors la Cour de Strasbourg au motif que l’application rétroactive de la nouvelle jurisprudence dégagée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation avait méconnu à la fois le droit à un procès équitable prévu par l’article 6, § 1er, de la Convention et le droit au respect des biens énoncé dans l’article 1er du Protocole n° 1.

S’agissant du droit au respect des biens,...

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