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500 € de préjudice moral pour l’avocate faussement accusée de manquement grave

Un arrêt de la cour d’appel de Poitiers réforme une décision du bâtonnier des Deux-Sèvres qui avait refusé d’accorder des dommages et intérêts à une collaboratrice dont le contrat avait été rompu sans préavis.

par Anne Portmannle 27 novembre 2017

Une avocate conclut un contrat de collaboration avec un cabinet du barreau des Deux-Sèvres au mois de janvier 2016. Au mois de mai, elle décide de rompre le contrat à effet en août suivant. Pendant la durée du préavis, le cabinet lui signifie pourtant la rupture du contrat sans préavis, au motif qu’elle aurait détourné un client du cabinet vers d’autres avocats par courriel. Les rétrocessions d’honoraires de juillet et août ne sont pas payées à la collaboratrice. Celle-ci saisit le bâtonnier pour obtenir les rétrocessions qu’elle estime lui être dues, en contestant le détournement de clientèle dont on l’accuse.

Preuve de détournement de clientèle par production d’un message courriel

À l’appui de ses accusations de détournement de clientèle, le cabinet produisait un courrier écrit par la collaboratrice depuis sa messagerie personnelle, dirigeant l’un des clients dont le cabinet lui avait confié la charge vers d’autres avocats. La collaboratrice reprochait de son côté au cabinet d’avoir accédé à sa messagerie de façon irrégulière et déloyale. Le bâtonnier avait considéré que la production du courriel était irrecevable et que le manquement grave dont se plaignait le cabinet n’était pas justifié. Le cabinet a formé un recours, en faisant valoir qu’il avait eu accès « involontairement » à la messagerie personnelle de la collaboratrice, qui ne s’était pas déconnectée de celle-ci. Il soutenait également qu’il n’y avait pas de violation du secret professionnel puisque le courriel, qui concernait un client du cabinet, relevait du secret professionnel partagé.

La cour, examinant l’argumentation du cabinet, estime d’emblée que ce dernier ne peut sérieusement soutenir qu’il a eu accès fortuitement à la messagerie de la collaboratrice. Elle relève que le contrat de collaboration mentionne, à l’article 4, que l’installation du cabinet « lui garantira le secret professionnel et l’indépendance qu’implique le serment d’avocat ». Cette mention est visuellement soulignée par la cour dans son arrêt. Les juges en déduisent qu’il importe peu que le secret professionnel ait été partagé, cette circonstance ne permettait pas d’accéder aux messages personnels de la collaboratrice en son absence et sans son accord ni de prendre connaissance de leur contenu et de les imprimer. La preuve ainsi produite du détournement de clientèle est irrecevable.

Pas d’autres éléments

Le cabinet d’avocats faisait état d’autres présomptions concernant ce client. La cour examinant la chronologie du dossier a cependant considéré que le détournement de clientèle n’était pas établi. En effet, la collaboratrice, qui avait eu la gestion du dossier en première instance, n’était en contact avec le client que dans le cadre d’une procédure en omission de statuer qui concernait le jugement. Ce client avait conclu avec le cabinet demandeur une convention d’honoraires qui ne concernait que la première instance.

En outre, il n’est fait état d’aucune démarche faite par le cabinet pour conserver le client qui avait annoncé son intention de partir. La cour a également relevé que, plus tard, pour assurer sa défense en appel, le client n’a pas choisi la collaboratrice évincée comme avocat personnel, mais un autre conseil. Aucun élément ne permet de déduire qu’il existe une présomption de détournement de clientèle de la collaboratrice. Le contenu du courriel qu’elle a adressée au client relève en outre d’une information de base qu’elle lui a adressée dans le cadre de l’omission de statuer. La collaboratrice précisait d’ailleurs dans son envoi que le cabinet ne pouvait plus le conseiller pour la suite de la procédure puisqu’il avait décidé de prendre un autre avocat.

Le cabinet ne démontre pas l’existence d’un détournement de clientèle ni d’un autre manquement grave aux règles professionnelles par la collaboratrice en préavis. La décision du bâtonnier est donc confirmée en ce qu’elle a condamné le cabinet à payer à la collaboratrice la rétrocession d’honoraires pour toute la durée du préavis.

La cour octroie en plus 500 € de dommages et intérêts à la collaboratrice, qui a été accusée de détournement de clientèle et de déloyauté sans preuve et qui a subi une rupture unilatérale injustifiée du contrat. La faiblesse des dommages et intérêts s’explique cependant par le fait que la rupture du contrat de collaboration était déjà prévue et que l’avocate, en dehors de la perte des deux mois de rétrocession d’honoraires, ne rapporte pas la preuve de contraintes supplémentaires entraînées par l’anticipation de la rupture. La cour relève en outre que, même si le courriel litigieux avait été pris en compte, le cabinet ne prouvait pas le caractère flagrant des fautes graves imputées.