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Abus de biens sociaux : cinq ans de prison ferme pour l’ex-homme d’affaires Pierre Botton

L’ex-homme d’affaires Pierre Botton, qui avait été impliqué dans une retentissante affaire politico-financière des années 1990, a été, par un jugement rendu le mardi 2 juin 2020, déclaré coupable d’abus de confiance, abus de biens sociaux, faux et blanchiment de fraude fiscale et condamné à une peine de cinq ans de prison ferme.

par Sofian Goudjille 23 juin 2020

Pierre Botton est un ancien homme d’affaires qui était auparavant proche du milieu politico-médiatique. À la tête de plusieurs sociétés, il a également été directeur de campagne et gendre de Michel Noir, qui fut ministre RPR et maire de Lyon. Il se fit également connaître sur le plan judiciaire, en étant en 1996 condamné pour abus de biens sociaux aux côtés notamment de Michel Noir, du maire de Cannes de l’époque Michel Mouillot et du journaliste Patrick Poivre d’Arvor.

À l’issue de sa peine, et profondément marqué par son expérience carcérale, il fondera l’association Prisons du cœur, qui deviendra ensuite Ensemble contre la récidive et qui aura pour objectif d’améliorer les conditions de détention et de lutter contre la récidive des délinquants.

Malgré une intention affichée louable, une enquête sera ouverte en 2017 à son encontre par le parquet de Paris après un signalement du service antiblanchiment de Bercy, Tracfin. Il était alors soupçonné d’avoir récupéré indûment et à des fins personnelles une partie de l’argent de ses sociétés et, plus ignominieusement, de l’association en question.

L’enquête révélera l’existence de nombreuses factures atteignant pour certaines plusieurs centaines de milliers d’euros, argent qui aurait notamment servi pour la réalisation de travaux dans son domicile parisien, des frais de voyages, de restauration, d’hôtellerie de luxe ou encore le versement de loyers d’une villa à Cannes. Ces dépenses s’inscrivaient ainsi essentiellement dans une perspective de maintien et d’amélioration de son train de vie et de celui de ses proches et non pas dans le cadre des problématiques carcérales portées publiquement par lui et son association.

Dans ce jugement rendu le mardi 2 juin 2020, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé Pierre Botton pour une partie des faits mais l’a déclaré coupable d’abus de confiance, abus de biens sociaux, faux et blanchiment de fraude fiscale. Il a ainsi été condamné à une peine de cinq ans de prison ferme assortie d’une amende de 150 000 € et d’une peine complémentaire d’interdiction définitive de diriger une société ou une association. L’ancienne présidente de l’association, Anne-Valérie Noir, ex-femme de Pierre Botton et également poursuivie, a quant à elle été partiellement relaxée mais condamnée à une peine de dix-huit mois avec sursis pour des faits d’abus de confiance.

En allant plus loin que les réquisitions du parquet, lequel avait demandé quatre ans de prison ferme pour Pierre Botton et un an de sursis à l’encontre de Anne-Valérie Noir, la juridiction a montré la détermination qu’a désormais la justice à ne plus tolérer ce qui relève de ce que l’on nomme encore la délinquance en col blanc.

La motivation avancée par le tribunal relativement aux peines prononcées est éclairante et dénuée de toute ambiguïté. Le jugement énonce que les faits d’enrichissement personnels visés par la procédure « sont d’autant plus intolérables au corps social qu’ils ont été commis par une personne fortement médiatisée et ayant usé d’un réseau d’influences particulièrement étendu pour incarner, à tort ou à raison, le légitime combat contre la surpopulation carcérale, le respect des droits des personnes privées de liberté et la prévention de la récidive ». La juridiction conclut que « ce significatif dommage occasionné à la confiance publique […] doit recevoir une réponse pénale particulièrement ferme et dissuasive ». On comprend ainsi que ce jugement ferme et implacable a valeur d’exemple pour le corps social. L’affaire Botton s’inscrit dans le sillage tracé par l’affaire Cahuzac et la récente affaire Balkany en traduisant une volonté certaine du juge pénal de sanctionner fermement les faits relevant de la délinquance économique et financière.

On assiste ces dernières années à un renouvellement de ce que Michel Foucault nommait la « gestion différentielle des illégalismes ». Pour rompre avec la catégorie juridique d’« infraction » et avec la notion criminologique de « délinquance », le penseur eut recours en 1975 au concept d’« illégalisme », entendu comme l’ensemble des pratiques illicites associées chacune à des groupes sociaux distincts (M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, 1975, p. 84-89). C’est à l’aune de cette notion qu’il analysa les réformes de l’appareil judiciaire et de la pratique pénale tout au long du XVIIIe siècle. Il expliquait ainsi que, sous l’Ancien Régime, chaque couche sociale bénéficiait d’une marge d’impunité justifiée soit par l’incapacité du pouvoir à réprimer les auteurs de délits, soit par un « consentement muet » destiné à préserver l’ordre social.

Seulement, avec le développement du capitalisme, la bourgeoisie a peu à peu cessé de tolérer les infractions propres aux milieux populaires (vols, violences contre les biens et les personnes). Foucault explique alors que l’économie répressive s’est restructurée autour de l’opposition entre, d’un côté, les « illégalismes de biens » (auxquels se sont ajoutées plus tard les violences commises contre les personnes), celles-ci entraînant des châtiments prononcés par des tribunaux ordinaires, et, d’un autre côté, les « illégalismes de droit » (fraudes, évasions fiscales, opérations commerciales irrégulières) pouvant bénéficier de transactions, d’accommodements et d’amendes atténuées. Cette analyse a par la suite été reprise à leur compte par plusieurs chercheurs, lesquels ont développé cette idée d’une justice plus ou moins clémente selon l’appartenance de classe de ceux qu’elle condamne (v. not. N. Herpin, L’application de la loi. Deux poids, deux mesures, Le Seuil, 1977 ; R. Lévy, Du suspect au coupable. Le travail de la police judiciaire, Méridien Klincksieck, 1987 ; P. Lascoumes, Les affaires ou l’art de l’ombre. Les délinquances économiques et financières et leur contrôle, Le Centurion, 1986, p. 65 s.).

L’affaire Botton et celles qui l’ont précédée peuvent s’analyser comme les manifestations d’une évolution de cette « gestion différentielle des illégalismes ». Si l’approche foucaldienne apparaît toujours pertinente aujourd’hui, elle doit faire l’objet d’une relecture au regard des évolutions contemporaines connues par la société. Les années 2020 sont sensiblement différentes des années 1970. La sensibilité accrue de l’opinion publique aux injustices sociales, liée à une hypermédiatisation des affaires politico-financières, a rendu intolérable l’indulgence qui pourrait être encore aujourd’hui opposée par le législateur et le pouvoir judiciaire aux délits commis par les élites économiques et financières.

Cette « gestion différentielle des illégalismes » est toujours à l’œuvre aujourd’hui. Seulement, elle s’analyse désormais moins comme un instrument de domination d’une catégorisation sociale sur une autre (même s’il en reste certaines manifestations), que comme le moyen de justifier la différence de traitement entre les délinquants de droit commun et les « ennemis » de l’État (pour reprendre le champ sémantique proposé par la doctrine du droit pénal de l’ennemi, v. not. G. Jakobs, Aux limites de l’orientation par le droit : le droit pénal de l’ennemi, RSC 2009. 7 ), on pense bien sûr à la figure ultime du terroriste, celle-ci justifiant de plus en plus l’émergence d’un droit pénal d’exception. Mais ceci est une autre histoire…