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Les acteurs du droit d’asile dénoncent un projet de loi régressif

Les avocats en droit d’asile, en accord avec les personnels de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), dénoncent la loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », examinée par l’assemblée nationale depuis hier soir.

par Julien Mucchiellile 17 avril 2018

Alors que l’Assemblée nationale, située de l’autre côté de la place, s’apprête à examiner le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », quelques centaines de personnes célèbrent les obsèques du droit d’asile. C’est une cérémonie simple : un orchestre de cuivres et une petite scène sur laquelle des tribuns indignés s’époumonent en vain (la sono est poussive). Ceux qui sont là tentent de se faire entendre depuis – au moins – le 30 janvier, quand l’avant-projet de loi a été rendu public. Ils sont, ce lundi 16 avril, sur la place Édouard-Herriot, attenante au palais Bourbon. Venus à l’appel de l’association d’avocats ELENA-France (association d’avocats du droit d’asile liée au conseil européen pour les réfugiés et exilés) et de plusieurs associations en faveur de l’accueil des immigrés, ils entendent protester une nouvelle fois, une dernière fois, contre ce projet de réforme, dont l’examen, après un passage en commission des lois il y a deux semaines, a débuté lundi à 21h30, et s’achèvera à la fin de la semaine. 1 110 amendements ont été déposés.

ELENA a tenté de rencontrer les membres du gouvernement à plusieurs reprises, pour négocier et inciter à une révision du projet. Ils ont fini par obtenir un rendez-vous au ministère de l’intérieur ce vendredi 13 avril, mais pas avec la personne prévue, ce qui a laissé à la délégation la désagréable impression d’être traitée avec légèreté.

Avant cela, il y eut la grève des 434 agents de la CNDA, qui dénoncèrent, du 13 février au 13 mars, la logique « expéditive » et « productiviste » aux dépens de la mise en œuvre d’une justice de qualité, poursuivie depuis plusieurs années et renforcée, selon eux, par cette loi.

Cette logique est symbolisée par la réduction des délais, qui se ferait au détriment de la qualité de l’instruction des demandes. En 2017, 47 814 décisions ont été rendues par la juridiction. Le délai moyen de jugement était de cinq mois et six jours. La proportion des dossiers traités par ordonnances, c’est-à-dire rejetés sans audience, est passée de 17 % en 2014 à 30 % en 2017, selon les chiffres fournis par les syndicats des personnels en grève. Le projet de loi actuellement examiné prévoit un raccourcissement de plusieurs délais, ce qui aurait pour conséquence, pensent les agents de la juridiction, de réduire le délai de la procédure à environ quatre mois et d’imposer, sans en donner les moyens, une pression supplémentaire aux magistrats et personnels.

Raccourcissement des délais

L’article 5 prévoit de raboter à quatre-vingt-dix jours (cent vingt jours actuellement) le délai au-delà duquel le dépôt d’une demande d’asile peut entraîner, à la demande de l’autorité administrative, l’examen de celle-ci selon la procédure accélérée. « Or ce délai, explique l’association ELENA dans un document contenant 21 propositions d’amendements, n’est nullement imputable (comme le pense le gouvernement) au demandeur d’asile et ne peut être considéré par l’administration comme l’indice d’un défaut de sérieux des motifs de la demande ». Il existe en effet de nombreux obstacles sur le chemin d’un demandeur d’asile : le défaut d’orientation et d’information, l’accès peu rapide à l’administration, l’accès au dépôt de la demande, le barrage de la langue et l’obligation de trouver un interprète disponible pour traduire les pièces du dossier – sont autant de facteurs qui impliquent que beaucoup de demandeurs d’asile ne parviennent pas à faire enregistrer dans le délai de cent vingt jours. Ils seront logiquement moins à y parvenir en moins de quatre-vingt-dix jours.

Ineffectivité des recours devant la CNDA

En outre, pour faciliter la tâche de l’OFPRA, le projet prévoit que les demandeurs soient notifiés de leurs convocations et de la décision concernant leur dossier « par tous moyens », ce qui serait un facteur supplémentaire d’insécurité juridique, explique l’association ELENA. Toute notification doit respecter certains critères, notamment ceux de la directive du 26 juin 2013, qui impose (§ 25) le droit à une notification correcte d’une décision et à une motivation de cette décision en fait et en droit. Le vague de la formulation du projet de loi, pensent les avocats, laisse craindre que cette exigence pourrait faire défaut. L’avis du Conseil d’État rendu le 15 février sur ce texte, fait la même analyse : « La combinaison d’un délai très bref avec des modalités incertaines de notification pourrait être regardée comme portant atteinte au caractère équitable de la procédure ».

Ce délai très bref est celui du recours contre une décision de refus de OFPRA, qui passerait, est-il prévu à l’article 6, d’un mois à quinze jours. L’association Elena demande qu’il soit de deux mois, ce qui est le délai de recours de droit commun en matière administrative.

Les avocats rappellent en outre que la procédure d’asile est déjà dérogatoire au droit commun, car en la matière le double degré de juridiction fait défaut (l’OFPRA est une administration), la CNDA étant la seule juridiction à pouvoir statuer sur le fond du dossier. « En pratique, beaucoup de demandeurs d’asile n’auront pas assez de temps pour introduire leur recours dans un délai aussi restreint », commente Thierry Jacqmin, avocat en droit d’asile et membre d’ELENA. Dans une situation de précarité et déjà pénalisés par une notification de décision aléatoire (v. art. 5), il prévoit que nombre de demandeurs d’asile n’auront pas le temps d’avoir en main la décision de rejet de l’OFPRA à contester, que le délai aura déjà expiré. ELENA note également, parmi les obstacles, « le barrage de la langue et du niveau d’instruction, la fragilité liée à la détresse psychologique ainsi que les cas fréquents de personnes isolées ». Autre conséquence : les recours introduits dans les délais seront insuffisamment motivés et donc traités par ordonnance, c’est-à-dire sans audience.

Si le demandeur parvient à faire un recours, celui-ci sera non suspensif pour ceux d’entre eux qui sont originaires de « pays sûrs » – cela signifie qu’ils pourront être expulsés avant que ne soit rendue une décision à leur encontre. Or, rappelle ELENA, cette disposition serait contraire au principe consacré par la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande ». Premièrement, la liste des pays sûrs est contestée. « La notion de pays d’origine sûr dévoyée à des fins de gestion des flux migratoires », écrivait le Sénat dans son rapport d’information n° 130 du 14 novembre 2012 sur la procédure de demande d’asile. Ensuite, cette appréciation ne prend aucunement en compte la situation individuelle du demandeur qui, bien qu’ils proviennent d’un pays dit sûr, est en danger du fait par exemple de son militantisme, de son appartenance à une communauté ou de son orientation sexuelle.

Renvoyer un demandeur d’asile dans son pays contrevient logiquement à l’effectivité du recours devant la CNDA. Il en est de même, dénonce ELENA, pour les personnes qui, faisant l’objet d’une OQTF antérieure à la décision de rejet de l’OFPRA, seront placées à centre de rétention (dont le délai maximum passe de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours) ou assignés à résidence, et qui pourront difficilement, dans ces conditions, exercer un recours effectif devant la CNDA. Cette disposition est également contenue dans le projet de loi.

Visioconférence

Le texte de loi ensuite, prévoit de pouvoir imposer au demandeur qu’il soit entendu par visioconférence. Cela était déjà possible avec l’accord de l’intéressé mais, désormais, les juges pourraient passer outre ce refus. Des personnes qui ne sont pas privées de liberté pourraient ainsi être empêchées d’accéder à un juge. Les magistrats, au premier chef, réprouvent cela : « Le SJA s’oppose avec force à ce projet. Si les apparences en termes de neutralité et d’impartialité de la justice sont sauves (contrairement à ce qui est le cas pour les audiences délocalisées), ce dispositif a pour effet de mettre à distance le juge et les parties qui ne se côtoient plus physiquement. Le principe pluriséculaire d’unité de temps et de lieu propre à tout procès se trouve mis à mal. La retransmission faussera la perception qu’a le juge des personnes, de leurs récits et des plaidoiries de leur conseil », a déclaré le syndicat de la juridiction administrative (avis du 2 févr. 2018).

Aux « obsèques » du droit d’asile, plusieurs députés de la France insoumise sont venus proclamer leur opposition au projet. Selon Thierry Jacqmin, plusieurs députés de la majorité parlementaire soutiennent les amendements proposés par ELENA, malgré le risque d’exclusion du groupe LREM, promise par Richard Ferrand aux indisciplinés.

 

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