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Action en responsabilité contre le gérant et le liquidateur de société commerciale : compétence

Les manquements commis par le gérant d’une société commerciale à l’occasion de l’exécution d’un contrat se rattachent par un lien direct à la gestion de celle-ci, peu important que le gérant n’ait pas la qualité de commerçant ou n’ait pas accompli d’actes de commerce.

par Xavier Delpechle 29 novembre 2018

Il est question, dans cet arrêt de cassation, d’un contrat de distribution, semble-t-il précisément de contrat de gérance non-salariée de fonds de commerce, même si l’arrêt ne le dit pas expressément. La société Fresh delices, ayant pour gérante Mme T., a été liée, entre mars 2001 et mars 2005, à l’opérateur de téléphonie mobile SFR par des contrats de partenariat et de distribution. À partir de mars 2007, Mme T. a saisi le conseil de prud’hommes afin d’obtenir la requalification des contrats de partenariat et de distribution en contrats de travail. Avec succès, puisque SFR a été condamné à payer à Mme T. diverses sommes au titre d’indemnités de licenciement et de rupture sans cause réelle et sérieuse.

On relèvera que la conclusion d’un contrat avec une personne morale, singulièrement une société, ne constitue pas un obstacle rédhibitoire à ce que ce contrat soit requalifié en contrat de travail. Il faut alors établir, outre l’existence d’un lien de subordination permanent, le caractère fictif de la société. En cas de fictivité, la relation contractuelle nouée avec le tiers sera alors considérée comme ayant été conclu entre ce dernier et, non pas la société, mais le « maître de l’affaire » (ou la maîtresse en l’occurrence), associé et/ou gérant de la société (Paris, 7 juin 2001, Formule 1, RJDA 1/2002, n° 41 ; sur cet arrêt, v. C. Cutajar, La franchise hôtelière à l’épreuve de la fictivité, RJDA 1/2002, p. 3 ; V. égal., Soc. 22 mars 2006, n° 05-42.233, Bull. civ. V, n° 122 ; D. 2007. 1911, obs. D. Ferrier ; Dr. soc. 2006. 789, obs. J. Savatier , qui retient la qualification de « société de façade »).

Mais, au cours de la procédure prud’homale, SFR a assigné la société Fresh delices devant le tribunal de commerce afin qu’il soit statué sur les conséquences de la décision prud’homale sur l’exécution des contrats de partenariat et de distribution. Il est vrai que le conseil de prud’hommes n’a pas vocation à se prononcer sur les conséquences de la fin (ce qu’entraîne la requalification en contrat de travail) de contrats commerciaux. Mais la société Fresh delices a fait l’objet d’une liquidation amiable. SFR, reprochant à Mme T. d’être à l’origine du préjudice que lui avait causé l’inexécution par sa société de ses obligations contractuelles et au liquidateur d’avoir commis une faute dans l’exercice de ses fonctions, les a assignés devant le tribunal de commerce de Paris. La gérante et le liquidateur ont alors soulevé l’exception d’incompétence du tribunal de commerce devant ce dernier, qui a refusé de se dessaisir. Elles ont alors formé un contredit devant la cour d’appel de Paris, visant à contester la compétence des juges consulaires. La cour d’appel de Paris a accueilli ce contredit, pour ce qui est à la fois de l’action dirigée contre la gérante et celle visant le liquidateur.

1. S’agissant d’abord de l’action en responsabilité contre la gérante, la cour d’appel de Paris estime, pour écarter la compétence du tribunal de commerce, que « l’action de la société SFR dirigée contre Mme T. relève de la juridiction civile dès lors qu’elle n’a pas la qualité de commerçante et que les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas des actes de commerce ni ne se rattachent à la gestion de la société par un lien direct ». Le terme juridiction civile paraît viser le tribunal de grande instance et non pas le conseil de prud’hommes, le litige étant ici étranger à une relation individuelle de travail.

L’arrêt est cassé au visa de l’article L. 721-3 du code de commerce, dont le 3° dispose : « Les tribunaux de commerce connaissent [des contestations] relatives aux sociétés commerciales ». La Cour de cassation avait déjà eu recours au critère du « lien direct » pour valider l’action en responsabilité diligentée par un tiers, cocontractant d’une société commerciale, contre le gérant – y compris – de fait de cette dernière, pour faute de gestion, bien que celui-ci ne fût pas commerçant : la haute juridiction subordonne la compétence de la juridiction consulaire à ce que les « faits allégués [se rattachent] par un lien direct à la gestion de sociétés commerciales » (Com. 27 oct. 2009, n° 08-20.384, D. 2010. 296 , note B. Dondero ; ibid. 2009. 2679, obs. X. Delpech ; Rev. sociétés 2010. 30, note B. Saintourens ; RTD com. 2009. 766, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ).

L’arrêt est ici cassé pour violation de la loi. Il est, en réalité, reproché, aux juges du fond d’avoir écarté l’existence d’un lien direct entre la faute alléguée et la gestion sociale. Or, ce critère est ici rempli comme l’affirme la Cour de cassation dans un attendu rédigé en des termes assez péremptoires (qui conduisent même à se demander si elle ne se statue pas plus en fait qu’en droit : « les manquements commis par le gérant d’une société commerciale à l’occasion de l’exécution d’un contrat se rattachent par un lien direct à la gestion de celle-ci, peu important que le gérant n’ait pas la qualité de commerçant ou n’ait pas accompli d’actes de commerce ». La reconnaissance de l’existence de ce lien direct par la Cour de cassation conduit cette dernière à prononcer une cassation sans renvoi : il est inutile de désigner une cour d’appel de renvoi pour constater l’évidence.

2. Pour ce qui est ensuite de l’action en responsabilité contre le liquidateur, qui, pas davantage que le gérant d’une société commerciale, n’est commerçant, mais professionnel libéral, la solution est parfaitement identique. La cour d’appel de Paris avait rejeté le contredit de compétence de la juridiction consulaire et retenu la compétence de la juridiction civile, car bien que l’action en responsabilité dirigée contre le liquidateur soit régie par l’article L. 237-12 du code de commerce, le liquidateur n’a pas la qualité de commerçant et n’accomplit pas des actes de commerce. Cet article soumet l’action en responsabilité civile contre le liquidateur au même régime que celle visant le dirigeant de société commerciale : le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions et que cette action en responsabilité est soumise à la prescription triennale.

La cour d’appel de Paris, s’agissant de l’action contre le liquidateur, ne recourt pas au même raisonnement pour écarter la compétence du tribunal de commerce. Nulle référence ici à la notion de « lien direct » avec la gestion sociale. Ce que lui reproche précisément la Cour de cassation, qui casse l’arrêt d’appel au même visa de l’article L. 721-3 du code de commerce : « le liquidateur, comme le gérant, agit dans l’intérêt social et réalise des opérations se rattachant directement à la gestion de la société commerciale ». La solution, cette fois, n’est pas totalement convaincante. Elle aboutit implicitement à reconnaître des prérogatives de gestion au liquidateur. Liquider = gérer ? N’est-ce pas un raccourci un peu hâtif ?