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Affaire des photographies du procès Merah : rejet du pourvoi de Paris Match

L’interdiction d’enregistrer toute parole ou image d’un procès dès l’ouverture de l’audience constitue une mesure nécessaire à la sérénité et à la sincérité des débats judiciaires, et elle s’applique pendant les périodes de suspension de l’audience.

par Sabrina Lavricle 11 mai 2020

Le 9 novembre 2017, le parquet de Paris décidait d’ouvrir une enquête au lendemain de la publication par Paris Match (sur son compte twitter, son site internet et dans l’exemplaire « papier » de l’hebdomadaire) de deux photographies prises au cours du procès d’Abdelkader Merah et de Fettah Malki (Dalloz actualité, 13 nov. 2017, obs. J. Siber isset(node/187587) ? node/187587 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187587). La directrice de la publication de l’organe de presse, responsable en tant qu’auteur principal de l’infraction (art. 42 L. 28 juill. 1881), était alors poursuivie pour publication d’enregistrement sonore ou visuel effectué sans autorisation à l’audience d’une juridiction, sur le fondement de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et condamnée par le tribunal correctionnel puis la cour d’appel de Paris à une amende de 2 000 €.

Par son arrêt du 24 mars 2020, la chambre criminelle rejette le pourvoi formé par la prévenue. Dans celui-ci, elle faisait valoir en un moyen unique les trois arguments suivants : l’atteinte disproportionnée portée à la liberté de communication par la disposition en cause, fondement des poursuites et de sa condamnation ; l’absence d’incidence de la publication sur la bonne conduite du procès, l’autorité et l’impartialité judiciaires ou le droit à l’image des accusés, et au contraire sa contribution à un débat d’intérêt général, dans les termes de la jurisprudence européenne fondée sur l’article 10 de la Convention en matière de liberté d’expression ; le fait que l’une des photographies litigieuses, prise au cours d’une interruption d’audience, n’était pas soumise à la prohibition posée par l’article 38 ter précité.

Sur les deux premières branches du moyen, la chambre criminelle reprend la motivation exposée par les juges du fond pour conclure à l’absence d’atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Ainsi, s’il pouvait exister un intérêt légitime du public à être informé, spécialement dans ce dossier aux conséquences dramatiques et à l’important retentissement médiatique, « la liberté d’expression d[eva]it être mise en balance avec les autres intérêts en présence », à savoir la sérénité des débats et le droit à l’image des parties concernées. En outre, le procès était public et l’information était garantie par le biais de comptes rendus d’audience et de croquis de presse. La Haute cour estime ainsi que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à liberté d’expression (§ 1) mais permet également des restrictions à son exercice dès lors que celles-ci sont légales, légitimes et nécessaires dans une société démocratique (§ 2), n’a pas été méconnu. Et elle énonce, à la suite du Conseil constitutionnel et de sa décision QPC du 6 décembre 2019 portant sur l’article 38 ter (Cons. const. 6 déc. 2019, n° 2019-817 QPC, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. A. Leon ; D. 2019. 2355, et les obs. ; AJ pénal 2020. 76, étude C. Courtin ; Légipresse 2019. 666 et les obs. ; ibid. 2020. 118, étude E. Derieux ; ibid. 127, chron. E. Tordjman, G. Rialan et T. Beau de Loménie ), que « si […] toute personne a droit à la liberté d’expression et si le public a un intérêt légitime à recevoir des informations relatives, notamment, aux procédures en matière pénale ainsi qu’au fonctionnement de la justice, l’interdiction de tout enregistrement, fixation ou transmission de la parole ou de l’image après l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, et de leur cession ou de leur publication, constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à garantir la sérénité et la sincérité des débats judiciaires, qui conditionnent la manifestation de la vérité et contribuent ainsi à l’autorité et à l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

Il faut voir dans cette formule l’affirmation de la conventionnalité de l’ingérence créée par l’interdiction de l’article 38 ter dans l’exercice de la liberté d’information qui implique le droit du public de recevoir des informations sur les procédures pénales en cours (V. déjà Crim. 8 juin 2010, no 09-87.526, Bull. crim. no 103 ; D. 2010. 1791 ; Légipresse 2010. 268 et les obs. ; ibid. 423, comm. B. Ader ; RSC 2010. 943, obs. J.-F. Renucci ; JCP 2010, no 1258, obs. E. Dreyer ; Gaz. Pal. 2010. II. 2996, note F. Fourment ; Dr. pénal 2011. Chron. 5, obs. O. Mouysset). La liberté de la presse d’informer le public sur des questions d’intérêt général se heurte, en la matière, non seulement au droit au respect de la vie privée (avec le droit à l’image, art. 8 Conv. EDH) mais encore au droit à un procès équitable (Conv. EDH, art. 6 ; la sérénité des débats judiciaires apparaissant comme la garantie d’un « bon » procès). À cet égard, la chambre criminelle énonce que « la spontanéité et la sincérité des dépositions et attitudes des accusés et des témoins […] dépend notamment, dans un procès aussi médiatisé, de la certitude qu’aucune publication de prises de vue n’interviendra ». L’interdiction de la captation d’images apparaît donc comme une entrave justifiée au droit des journalistes d’informer le public sur des procédures pénales en cours (l’information passant, comme le rappelle la chambre criminelle également, par des comptes rendus judiciaires et autres dessins de presse).

La Cour européenne reconnaît elle-même que des limites légitimes peuvent être imposées aux journalistes dans le cadre de l’exercice du droit à l’information. Depuis l’arrêt Bédat contre Suisse, en particulier, rendu en matière de violation du secret de l’enquête et de l’instruction, elle se montre plus exigeante lorsqu’il s’agit d’apprécier la mise en balance des articles 10 et 6, et ce dans l’optique de garantir une bonne administration de la justice (CEDH 29 mars 2016, Bédat c/ Suisse, no 56925/08, Légipresse 2016. 206 et les obs. ; RSC 2016. 592, obs. J.-P. Marguénaud ). Ainsi, la contribution à un débat d’intérêt général peut être neutralisée lorsque la presse perturbe le bon déroulement d’un procès et nuit au droit à un procès équitable des parties. Suivant cette nouvelle dynamique, dans l’arrêt Giesbert contre France, elle a jugé conforme à l’article 10 la condamnation de journalistes pour avoir publié des actes d’une procédure pénale en cours (ce que prohibe expressément l’art. 38, al. 1er, de la L. 29 juill. 1881), en estimant que leur intérêt à communiquer et celui du public à recevoir des informations dans le cadre de l’affaire « Bettencourt » n’étaient pas de nature à l’emporter sur les considérations relatives au procès équitable (CEDH 1er juin 2017, Giesbert c. France, no 68974/11, Dalloz actualité, 20 juin 2017, obs. N. Devouèze ; RSC 2017. 628, obs. J.-P. Marguénaud ).

Sur la troisième branche du moyen, qui soutenait que l’interdiction d’enregistrer ne s’appliquait pas lorsque l’audience est suspendue (l’une des photographies ayant été prise alors que l’accusé, encore dans la salle d’audience, attendait le verdict), la chambre criminelle estime là encore que la cour d’appel a fait l’exacte application de la loi dès lors que « l’interdiction instituée par l’article 38 ter précité, qui commence dès l’ouverture de l’audience et se prolonge jusqu’à ce que celle-ci soit levée, s’applique pendant les périodes de suspension de l’audience ».

L’article 38 ter précise en effet le point de départ de l’interdiction qui s’applique « dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires » (le texte autorisant des prises de vues avant le commencement des débats, sur demande présentée au président et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent). Et il faut donc comprendre que cette interdiction perdure tant que dure l’audience (et non les débats), jusqu’au prononcé du verdict (V. Crim. 8 juin 2010, préc.) et périodes de suspension incluses.