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Aide juridictionnelle et délai d’appel : prééminence du droit d’accès au juge

Bien qu’en vertu de l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, alors applicable en la cause, la demande d’aide juridictionnelle n’interrompt pas le délai d’appel, le droit d’accès au juge exclut que ce délai puisse courir tant qu’il n’a pas été définitivement statué sur une demande d’aide juridictionnelle formée dans ce délai.

par Cyrille Auché et Nastasia De Andradele 3 septembre 2020

Par un arrêt du 2 juillet 2020, la Cour de cassation se penche une nouvelle fois sur la question de l’aide juridictionnelle et rappelle à cette occasion la prééminence du droit fondamental d’accès au juge.

Par jugement signifié le 28 septembre 2015, M. X. a été condamné à payer une certaine somme au profit de la société Pages Jaunes.

En vue de relever appel de ce jugement, M. X. a sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle le 19 octobre 2015, qui lui a été accordée partiellement, à hauteur de 55 %, par une décision du bureau d’aide juridictionnelle du 14 janvier 2016.

Saisi d’un recours contre cette admission partielle, le premier président de la cour d’appel, par une décision du 10 mai 2016, lui a accordé l’aide juridictionnelle à hauteur de 70 %.

Entre-temps, M. X. a formé un appel par un acte du 3 mars 2016.

Le conseiller de la mise en état ayant déclaré cet appel irrecevable comme tardif, M. X. a déféré cette décision à la cour d’appel.

La cour d’appel déclara irrecevable comme tardif l’appel de M. X. interjeté le 3 mars 2016 contre le jugement signifié le 28 septembre 2015 au visa de l’article 38-1 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 dans sa rédaction applicable en la cause (cet article fut abrogé par un décr. n° 2016-1876 du 27 déc. 2016, portant diverses dispositions relatives à l’aide juridique, entré en vigueur le 1er janv. 2017) lequel disposait alors que « sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l’article 39, la demande d’aide juridictionnelle n’interrompt pas le délai d’appel ».

L’arrêt d’appel est cassé pour violation du droit d’accès à un juge tel qu’il résulte de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit à un procès équitable.

En effet, bien qu’en vertu de l’article 38-1 précité la demande d’aide juridictionnelle n’interrompt pas le délai d’appel, le droit d’accès au juge exclut que ce délai puisse courir tant qu’il n’a pas été définitivement statué sur une demande d’aide juridictionnelle formée dans ce délai (CEDH 9 oct. 2007, n° 9375/02, Saoud c/ France, RSC 2008. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; 6 oct. 2011, n° 52124/08, Staszkow c/ France).

En l’espèce, puisque M. X. avait formé un appel le 3 mars 2016, avant même qu’il ne soit définitivement statué sur sa demande d’aide juridictionnelle (le 10 mai 2016), son appel ne pouvait être jugé irrecevable.

Appréciation critique

Si la solution peut paraître très protectrice des intérêts du demandeur à l’aide juridictionnelle, elle porte sérieusement atteinte au principe de sécurité juridique auquel est en droit de s’attendre le bénéficiaire du jugement.

En effet, ce dernier qui aura pris l’initiative de faire signifier le jugement et qui est en possession d’un certificat de non appel croit que le jugement est définitif alors qu’une demande d’aide juridictionnelle est en cours.

D’autant plus que le greffe de la cour qui délivre les certificats de non appel n’a aucun lien avec le bureau d’aide juridictionnelle et ignore l’existence du dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle.

En tout état de cause, cet arrêt très protecteur du demandeur à l’aide juridictionnelle reste d’une portée assez limitée en l’état de la modification de l’article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (Décr. n° 2016-1876 du 27 déc. 2016, entré en vigueur le 1er janv. 2017, a modifié l’art. 38 en étendant l’effet interruptif de la demande d’aide juridictionnelle sur le délai d’appel).

Le droit désormais applicable

L’article 38, dans sa rédaction actuelle (telle qu’issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 sur la réforme de la procédure d’appel ; sur les réformes successives en matière d’aide juridictionnelle devant la cour d’appel, v. C. Auché et N. De Andrade, Procédure d’appel et aide juridictionnelle : retour sur les réformes successives et guide pratique, Dalloz actualité, 22 avr. 2020), dispose que : « Lorsqu’une action en justice ou un recours doit être intenté avant l’expiration d’un délai devant les juridictions de première instance ou d’appel, l’action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

  • a) De la notification de la décision d’admission provisoire ;
  • b) De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;
  • c) De la date à laquelle le demandeur à l’aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d’admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l’article 56 et de l’article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ;
  • d) Ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.
  • Lorsque la demande d’aide juridictionnelle est déposée au cours des délais impartis pour conclure ou former appel ou recours incident, mentionnés aux articles 905-2, 909 et 910 du code de procédure civile et aux articles R. 411-30 et R. 411-32 du code de la propriété intellectuelle, ces délais courent dans les conditions prévues aux b, c et d.

Par dérogation aux premier et sixième alinéas du présent article, les délais mentionnés ci-dessus ne sont pas interrompus lorsque, à la suite du rejet de sa demande d’aide juridictionnelle, le demandeur présente une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente ».

Champ d’application

L’article 38 vise tous les délais d’action (c’est-à-dire les délais de prescription ainsi que les délais de forclusion) mais aussi les voies de recours ordinaires (appel et opposition) ainsi que les voies de recours extraordinaires (recours en révision, tierce-opposition et pourvoi en cassation).

Mécanisme

La partie qui entend former une action et effectuer un recours avec le bénéfice de l’aide juridictionnelle doit déposer, préalablement à l’introduction de son action ou de son recours, une demande d’aide juridictionnelle.

La formalisation de cette demande aura pour effet d’interrompre le délai d’action (C. civ., art. 2241) ou le délai d’exercice de la voie de recours.

Un nouveau délai, de même durée que le délai initial, va recommencer à courir à compter de la décision définitive d’admission du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Concernant la désignation de l’auxiliaire de justice, la Cour de cassation semble là encore avoir une vision large puisqu’elle vise, outre l’avocat, « d’autres auxiliaires de justice », ce qui permet d’y inclure l’huissier de justice indispensable à l’introduction de l’action ou du recours (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-24.598, publié au Bulletin ; Dalloz actualité, 1er juill. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade).

Par ailleurs, la Cour de cassation considère que le point de départ de ce délai va courir à compter de la notification de la décision permettant d’attester la date de réception (Civ. 2e, 27 févr. 2020, F-P+B+I, n° 18-26.239, Dalloz actualité, 19 mars 2020, obs. G. Maugain).

Mise en garde

Les délais ne sont pas interrompus lorsque, à la suite du rejet de la demande d’aide juridictionnelle, une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente est déposée (C. civ., art. 2243 ; en tout état de cause, l’interruption d’un délai d’action est non avenue lorsque la demande est définitivement rejetée).