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Association : la liquidation judiciaire ne fait pas disparaître le comité d’entreprise

Le code du travail assure, de longue date, la protection des salariés, élus du personnel du comité d’entreprise, après le terme de leur mandat ou l’extinction de ceux-ci à la suite de la disparition du comité (C. trav., anc. art. L. 2411-8, al. 2). Mais quand le comité d’entreprise disparaît-il ?

par Bertrand Inesle 31 janvier 2019

Avant la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, l’article L. 2322-7 du code du travail disposait que la suppression d’un comité d’entreprise était subordonnée à un accord entre l’employeur et l’ensemble des organisations syndicales représentatives et qu’à défaut d’accord, l’autorité administrative pouvait autoriser la suppression du comité d’entreprise en cas de réduction importante et durable du personnel ramenant l’effectif au-dessous de cinquante salariés (pour une application, v. CE 19 déc. 2018, n° 405070). Depuis cette loi, seule une baisse concrète et durable des effectifs en dessous du seuil de cinquante salariés autorise l’employeur à procéder unilatéralement à cette suppression (C. trav., anc. art. L. 2322-7 [L. n° 2015-994 du 17 août 2015]).

La Cour de cassation a néanmoins pu sous-entendre que la disparition de l’entreprise devait entraîner la dissolution du comité d’entreprise et la disparition des mandats qui y sont attachés (Soc. 28 févr. 1973, n° 72-40.046, Bull. civ. V, n° 122). Indépendamment de tout accord collectif, décision administrative ou décision unilatérale de l’employeur motivées par une baisse concrète des effectifs sur une certaine durée, la disparition de l’entité juridique, ayant la qualité d’employeur, devrait entraîner celle du comité d’entreprise et des mandats électifs de représentation du personnel. Ainsi les causes énumérées à l’article 1844-7 du code civil pour lesquelles une société prend fin devraient produire les mêmes effets à l’égard des institutions représentatives du personnel mises en place à ce même niveau, fixant ainsi la date à laquelle court le délai de protection de six mois accordée aux anciens membres élus du comité d’entreprise.

Dans un arrêt du 19 décembre 2018, la Cour de cassation vient apporter une limite à cette assertion.

En l’espèce, un salarié était membre de la délégation unique du personnel d’une association et a vu son mandat renouvelé en dernier lieu en décembre 2009. Le tribunal de grande instance a prononcé, le 4 avril 2012, la liquidation judiciaire de l’association, avec nomination d’un mandataire liquidateur puis a mis fin, le 3 mai 2012, à la poursuite de l’activité. Le comité d’entreprise s’est réuni pour la dernière fois le 8 juin 2012, notamment pour évoquer la liquidation des comptes du comité. Le 26 juillet 2012, l’inspecteur du travail a cependant refusé d’autoriser le licenciement du salarié, le ministre du travail confirmant cette décision. Le liquidateur a tout de même adressé, le 20 décembre 2012, au salarié une lettre valant, en cas de refus d’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, notification de la rupture du contrat de travail pour motif économique. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale et, en appel, les juges du fond ont accueilli la demande de nullité du licenciement. Le liquidateur a formé un pourvoi en cassation. Il soutenait principalement qu’en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise et de cessation complète et définitive de l’activité, le comité d’entreprise disparaît. Il reprochait, en conséquence, à la cour d’appel d’avoir dit que le statut protecteur courait jusqu’à son terme, l’association n’ayant pas définitivement disparu avant cette date, et d’avoir fixé la durée de protection de six mois accordée aux anciens élus à partir de cette disparition alors que la liquidation judiciaire avait été prononcée bien avant, qu’il avait été mis fin à la poursuite de l’activité de l’association et que le comité ne se réunissait plus.

La chambre sociale rejette le pourvoi aux motifs que ni un jugement de liquidation judiciaire ni un jugement ordonnant l’arrêt de la poursuite d’activité n’entraînent à eux seuls la dissolution de l’association.

Cela signifie donc que, tant que l’association n’avait pas définitivement disparu, à la suite de sa dissolution, le comité d’entreprise et les mandats correspondants n’avaient eux-mêmes pas encore disparus.

La solution, aussi surprenante qu’elle puisse paraître au regard des données de l’espèce, et surtout de l’absence totale d’activité de l’association, est néanmoins cohérente.

Cohérente, d’abord, s’il est tenu compte du droit positif en vigueur et des solutions retenues en droit des groupements. Il est vrai que les dispositions de l’article 1844-7, 7°, du code civil font de la liquidation judiciaire une cause d’extinction des sociétés en général. Mais la chambre commerciale a refusé d’étendre par analogie la règle aux associations, affirmant qu’une association ne prend pas fin par l’effet du jugement ordonnant sa liquidation judiciaire (Com. 8 juill. 2003, n° 01-02.050, Bull. civ. IV, n° 126 ; D. 2003. 2173, et les obs. ; Rev. sociétés 2003. 887, note P. Le Cannu ; 19 oct. 2010, n° 09-14.971, inédit ; Dalloz actualité, 4 nov. 2010, obs. A. Lienhard isset(node/138018) ? node/138018 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>138018). La justification tiendrait à l’absence de droit des membres de l’association sur le patrimoine de celle-ci (P. Le Cannu, préc.). Cela a pour conséquence que l’association, malgré l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, conserve sa personnalité juridique et sa capacité à agir par l’intermédiaire de son représentant (P. Le Cannu, préc.) et qu’après la décision de clôture de cette procédure pour extinction du passif, elle redevient maîtresse de ses biens (Com. 19 oct. 2010, préc.).

Pour la première fois, la chambre sociale adopte cette position pour en faire application aux comités d’entreprise et aux mandats de représentants élus du personnel. Elle apporte d’ailleurs deux précisions. Selon la première, le jugement ordonnant l’arrêt de la poursuite d’activité n’entraîne pas la dissolution de l’association. Il s’agit vraisemblablement du cas où, malgré la décision d’ouverture de la liquidation judiciaire, le juge autorise le maintien de l’activité et peut y mettre fin (C. com., art. L. 641-10). Cette hypothèse ne diffère guère, au fond, du fait d’ordonner la liquidation judiciaire de l’association puisque l’on se situe dans le cadre de la même procédure qui tend aux mêmes effets. Le maintien est ici nécessairement provisoire et opéré dans le but de la réalisation de l’actif et de l’apurement du passif. Selon la seconde précision apportée, le jugement de liquidation judiciaire et celui ordonnant l’arrêt de la poursuite d’activité sont « à eux seuls » insuffisants pour entraîner la dissolution de l’association. Ces décisions, sans être déterminantes de la disparition de l’association, peuvent donc néanmoins y contribuer, peut-être si elles conduisent les organes compétents de l’association à décider la dissolution et la liquidation de l’actif net subsistant (A. Lienhard, préc.) ou si elles entraînent la disparition de l’objet de l’association ou l’impossibilité de sa réalisation (sur la dissolution de l’association provoquée par la disparition de l’objet ou faisant suite à l’impossibilité de sa réalisation, v. Civ. 1re, 17 févr. 2016, n° 15-11.143, Bull. civ. I, n° 34 ; AJDA 2016. 884 ; JA 2016, n° 537, p. 10, obs. X. Delpech .

La solution est cohérente, ensuite, eu égard aux impératifs du droit du travail car, dès lors que la personne morale constituée par l’association n’a pas pris fin et que le personnel, même réduit de manière importante, n’a pas entièrement quitté l’entreprise, l’intérêt collectif de ces derniers, que le comité doit défendre dans la mesure de ses attributions, demeurent. Il est donc essentiel que le comité ne disparaisse qu’à compter de la dissolution de l’association et non de la perspective de cette disparition qui n’est pas acquise du seul fait de la procédure de liquidation judiciaire.

Pour finir, la portée de cet arrêt ne se cantonnera probablement pas au comité d’entreprise. Les textes relatifs au comité social et économique (C. trav., art. L. 2313-10 et L. 2411-8) militent en faveur d’une transposition et d’une continuation du régime applicable au comité d’entreprise vers celui du comité social et économique.