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Autorité de chose jugée au pénal sur le civil : partage de responsabilité par le juge civil

C’est sans méconnaître l’autorité de la chose jugée au pénal que, dans l’exercice de son pouvoir souverain, une cour d’appel a estimé que les fautes commises par chacun des trois condamnés à des peines différentes étaient d’égale importance et qu’il y avait lieu, dans leurs rapports contributifs, de répartir à parts égales la charge de l’indemnisation.

par Mehdi Kebirle 8 octobre 2018

C’est une nouvelle décision relative aux limites de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil qu’a rendu la deuxième chambre civile le 13 septembre 2018.

Dans cette affaire, trois prévenus avaient été condamnés du chef d’escroquerie et de complicité d’escroquerie, pour des faits commis au préjudice d’une victime décédée depuis. Cette décision les avait en outre condamnés solidairement à payer aux ayants droit de la victime une certaine somme à titre de dommages-intérêts.

L’un des condamnés, après avoir réglé une partie de l’indemnisation, a fait commandement à un autre de lui en rembourser le tiers. Ce dernier a assigné les deux autres condamnés pour faire juger qu’ils étaient les seuls responsables du préjudice subi par les ayants droit.

Le demandeur a été débouté aux motifs que la charge du paiement de la condamnation prononcée solidairement à leur encontre devait être répartie par parts viriles entre eux, soit un tiers chacun. Selon les juges d’appel, il n’y avait pas lieu de mesurer la gravité des fautes des codébiteurs à l’aune des peines respectives – de quantum différents – prononcées car ces peines ne tenaient pas uniquement compte des faits commis mais également de la personnalité des prévenus et notamment des fonctions qu’ils occupaient.

Un pourvoi en cassation a été formé. Dans un moyen unique, le demandeur arguait de l’autorité absolue de chose jugée des décisions pénales au civil. Selon le demandeur, la différenciation des peines, même si elle n’était que partiellement fondée sur la gravité des faits, imposait une différenciation de la charge définitive de la dette civile.

L’argument est rejeté par la Cour de cassation. C’est sans méconnaître l’autorité de la chose jugée au pénal que, dans l’exercice de son pouvoir souverain, la cour d’appel a estimé que les fautes commises par chacun des trois condamnés à des peines différentes étaient d’égale importance et qu’il y avait lieu, dans leurs rapports contributifs, de répartir à parts égales la charge de l’indemnisation

Le mérite de cette décision est de rappeler que l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil ne supprime pas totalement la marge de liberté du juge civil. En vérité, elle ne fait que la brider. Rien n’interdit au juge civil d’apprécier les fautes en concours ayant conduit à la réalisation du dommage. Ainsi, dans un tel cas de concours, si la décision du juge pénal a une autorité absolue concernant la participation respective des individus poursuivis, le juge civil « peut doser la responsabilité des personnes poursuivies différemment du juge pénal » (Rép. civ., Chose jugée, n° 304 ; v. sur ce point, Crim. 15 nov. 1962, Bull. crim. n° 326 ; Civ. 2e, 26 juin 1968, Bull. civ. II, n° 191).

Au fond, la solution se comprend. Les facteurs de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale sont différents et il en résulte une conséquence importante. Selon la haute juridiction, l’appréciation par le juge répressif de la gravité respective des fautes imputées à divers prévenus en vue de la fixation de la peine, ne s’impose pas au juge civil, sollicité de statuer sur le partage des responsabilités et sur la répartition des dommages-intérêts qui en découle (V. not. Civ. 2e, 25 oct. 1955: JCP 1956. II. 9584 (2e esp.), note Esmein ; v. aussi, Req. 11 mai 1932, Gaz. Pal. 1932, 2, p. 246 ; Civ. 2e, 22 avr. 1959, n° 57-11.866, Bull. civ. II, n° 326). Il n’y a donc techniquement pas lieu de mesurer la gravité des fautes des codébiteurs à l’aune des peines respectives prononcées par le juge pénal. Les quantum de peines prononcés contre les auteurs d’une infraction ne saurait lié le juge civil quant à la détermination de la gravité des fautes imputés à ces derniers.

Fondamentalement, cette solution ne comporte aucun risque de contradiction entre la chose jugée au pénal sur l’action publique et la chose jugée au civil sur la réparation. Le juge civil reste lié par la décision du juge pénal quant à la caractérisation de la faute mais il détermine ensuite souverainement les parts contributives de chacun des fautifs. « Le criminel emporte le civil », certes, mais jusqu’à un certain point seulement. L’action publique et l’action civile ont des ressorts différents. La première a un but social et consiste à déterminer la culpabilité et la responsabilité d’un délinquant à l’aune de son comportement fautif mais aussi d’éléments d’individualisation tenant à sa personnalité. La seconde vise des intérêts individuels en ce qu’elle permet d’indemniser une victime de son préjudice découlant, en principe, d’un fait fautif. Pour le dire autrement, au premier plan de l’une se trouve le fautif ; au premier plan de l’autre, la victime de l’atteinte. La gravité des fautes pénales ne saurait donc se transposer, à l’identique, sur le terrain civil dès lors que les finalités visées ne sont pas les mêmes. D’où l’absence de contradiction entre des quantum de peines différents et un partage à parts égales de la dette de réparation. En définitive, la solution retenue dans cet arrêt rappelle qu’il subsiste une forme de dualité, que nous pensons nécessaires, des fautes pénale et civile sans toutefois que cela n’emporte renoncement au principe de l’autorité du pénal sur le civil. Mais c’est aussi un rappel plus fondamental de la conception qui doit être retenue de l’« autorité » de chose jugée. L’autorité confère un ascendant, elle permet l’exercice d’une influence. Ce n’est pas une prépotence. De ce point de vue, il n’est pas certain que l’autorité de chose jugée au pénal puisse mériter l’adjectif « absolu » qui peut apparaître à bien des égards trompeur (V. sur ce point, Civ. 2e, 5 juill. 2018, F-P+B, n° 17-22.453, Dalloz actualité, 11 sept. 2018, obs. M. Kebir , note N. Rias ; RTD civ. 2013. 87, obs. J. Hauser ; JCP 2012. Act. 1193, obs. F. Meuris ; Defrénois 2013, p. 191, obs. J. Massip) mais elle n’ôte aucunement au juge civil tout pouvoir d’appréciation sur les suites à donner à une demande de réparation sur le terrain civil.

C’est à l’analyse une impérieuse nécessité. L’admission d’une faute pénale à l’encontre d’un individu ne ne permet pas au juge civil de considérer que ce dernier est resté étranger au fait incriminé. Toutefois, l’autorité, au civil, de la chose jugée au pénal ne peut porter que sur l’acquisition de la reconnaissance de la responsabilité civile dans son principe découlant de l’établissement de la culpabilité de l’auteur du chef de l’infraction qui lui est reprochée (Crim. 5 déc. 2017, no 17-80.688, Dalloz actualité, 3 janv. 2018, obs. V. Morgante ; RSC 2018. 125, obs. R. Parizot ; Gaz. Pal. 30 avr. 2018, note F. Fourment). En revanche, faute et condamnation ne sauraient se confondre. La détermination de la peine prend en compte d’autres éléments d’appréciation que le seul comportement de la personne condamnée, de sorte qu’en cas d’infraction impliquant diverses personnes, le « partage » des peines ne peut être simplement transposé sur le terrain de la réparation civile. Dit autrement, le quantum de peine ne reflète pas fidèlement le degré d’implication de cette personne dans la réalisation du dommage causé à la victime. Il n’est donc pas possible de mesurer ce degré d’implication à l’aune de la peine prononcée. Cela relève de l’appréciation du juge civil qui aura à connaître des suites de la condamnation pénale sur le terrain de la réparation, en particulier de tout ce qui concerne la contribution à la dette des coresponsables. La solution rapportée permet ainsi de faire la part des choses : le principe d’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil n’induit pas une perte totale d’autonomie du juge civil vis-à-vis du juge pénal.